Réduire les dépenses sans perdre en efficacité publique, c'est possible (et non M. Hollande, vous ne parviendrez pas à réduire le déficit autrement) <!-- --> | Atlantico.fr
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François Hollande a annoncé mardi une réduction des déficits par "une stabilité des dépenses et effectifs de la fonction publique".
François Hollande a annoncé mardi une réduction des déficits par "une stabilité des dépenses et effectifs de la fonction publique".
©Reuters

Des idées ?

Lors de sa rencontre mardi avec Mario Monti, François Hollande a annoncé une "réduction des déficits" par "une stabilité des dépenses et des effectifs de la fonction publique". Et si au lieu de les stabiliser, il décidait de les diminuer, où le gouvernement pourrait-il trouver des sources d'économie ?

Alain   Madelin, Jean Peyrelevade et Marc Touati

Alain Madelin, Jean Peyrelevade et Marc Touati

Alain Madelin a été député, Ministre de l'Economie et des Finances et président du Parti Républicain, devenu Démocratie Libérale, avant d'intégrer l'UMP.

Jean Peyrelevade est l'ancien conseiller économique du Premier ministre Pierre Mauroy, et également directeur adjoint de son cabinet. Économiste et administrateur de plusieurs sociétés françaises et européennes de premier plan, il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur l’évolution du capitalisme contemporain.

Marc Touati est économiste et président fondateur du cabinet ACDEFI (aux commandes de l'économie et de la finance). Il s'agit du premier cabinet de conseil économique et financier indépendant au service des entreprises et des professionnels.

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Atlantico : François Hollande a annoncé, dans le cadre de sa rencontre avec Mario Monti mardi, une « une stabilité des dépenses et des effectifs de la fonction publique » et « une réduction des déficits » pour le budget 2013. Stabiliser les dépenses pour réduire les déficits signifie-t-il que le gouvernement s'apprête à ne s'appuyer que sur des hausses d'impôts pour atteindre son objectif de 3% de déficit en 2013 ?

Alain Madelin : Si la France augmente les impôts, elle pénalisera la croissance et l'emploi. La règle d'or est par conséquent assez ambiguë : soit nous en faisons bon usage en acceptant de diminuer nos dépenses, soit nous augmentons les impôts avec les conséquences évoquées. Pourtant, cette dernière voie semble être celle privilégiée par le gouvernement.

De droite comme de gauche, la baisse des dépenses publiques est imposée par les marchés financiers. Nous ne pouvons plus pratiquer les recettes qui consistent à payer en fausse monnaie, c'est à dire en actionnant la planche à billet, ou reporter les réformes à plus tard en pénalisant les générations futures.

Jean Peyrelevade : Si la stabilisation des dépenses dont parle François Hollande est en volume (une augmentation qui n'est pas due à l'inflation), il sera obligé d'augmenter les impôts. Pour l'instant, le gouvernement s'engage surtout sur des hausses d'impôts avec, peut être, une certaine diminution des diminution des dépenses d'intervention.

Marc TouatiC’est malheureusement là l’erreur fondamentale du gouvernement actuel, mais aussi de quasiment tous les dirigeants français depuis une trentaine d’années. Stabiliser les dépenses ne suffit pas, il faut les réduire. Nous avons un poids des dépenses publiques de 56 % du PIB, l’un des niveaux les plus élevés du monde. Nous n’avons plus les moyens de cette gabegie. Et ce d’autant qu’en dépit de cette dernière, la croissance est nulle et la récession est en train de s’installer durablement.

Mais, comme le gouvernement n’a pas le courage de réduire les dépenses publiques, il ne pense qu’à augmenter les impôts. Or, la pression fiscale française est également l’une des plus fortes du monde (en pourcentage du PIB). Si elle augmente encore, cela va tout simplement casser le peu de croissance qui nous reste et aggraver la récession, d’où une nouvelle flambée du chômage.

Dans ce cadre, les revenus des entreprises et des ménages vont régresser, d’où une réduction de l’assiette fiscale, donc une baisse des recettes pour l’Etat, et in fine, une augmentation des déficits publics. En augmentant les impôts, le gouvernement va donc obtenir exactement l’inverse de ce qu’il souhaite et de ce qu’il annonce fièrement à ses partenaires européen.

Dans ces conditions, dans quels secteurs le gouvernement peut-il réaliser des économies ?

Alain Madelin : Pour rembourser notre dette, il faut de la croissance. Et vu le niveau élevée de celle-ci, la France aura besoin de beaucoup de croissance ! Il faut donc relancer la compétitivité de l'Etat et des entreprises. Briser les dépenses publiques ne suffira pas à stimuler la compétitivité de l'Etat. Il faut retracer les sphères entre celui-ci et la société en ayant le courage de remettre en cause toute une série de fonctions actuellement exercées par l'Etat... et l'Etat providence.

L'immense partie du secteur public échappe à la concurrence, les décisions étant prises par des responsables politiques selon leurs intérêts électoraux ou la pression des lobbies. Il faut qu'un certains nombre d'activités soient désormais traitées par la société et les entreprises en ouvrant une zone intermédiaire, comme les Partenariats publics-privés. Il faut résonner davantage en termes de marché et de concurrence pour que les acteurs utilisent au mieux l'argent attribué pour la réalisation de leurs missions.

Jean Peyrelevade : L'essentiel des dépenses qu'il faut diminuer n'est pas tant dans la sphère de l'Etat que dans l'appareil de protection sociale et les collectivités locales. Dans ces deux domaines, un grand nombre de réformes peuvent être adoptées. Il faudrait par exemple fusionner les départements et les régions ou même regrouper plusieurs communes entres elles : nous en avons 36 000.

Marc Touati : Il est clair qu’en phase de récession et d’augmentation du chômage, il serait suicidaire de réduire les dépenses sociales. Certes, ces dernières doivent être optimisées, notamment en réduisant les gaspillages et les fraudes. Mais surtout, la puissance publique française doit réduire ses dépenses de fonctionnement.

Ces dernières ont augmenté de 10 milliards d’euros par an au cours de la dernière décennie, soit un gaspillage de 100 milliards d’euros. Dans la mesure où celles-ci produisent peu ou pas de croissance économique, il est donc aisé de les réduire, sans générer de drame social. Pour y parvenir, il faut néanmoins un courage politique fort et une volonté qui dépasse l’Etat et s’applique notamment aux collectivités locales.


Quelles sont les marges de manœuvre sur la dette des collectivités locales ou des sécurités sociales ?

Alain Madelin : De façon générale, il faut clarifier les compétences des différentes entités que soit l'Etat ou les collectivités locales. Bien des activités effectuées par les ces dernières pourraient être déléguées aux entreprises.

Le système de santé est quant à lui bien trop rigide. Il n'y a pas de prix, mais des tarifs. Tant que les assureurs seront des "payeurs aveugles" et non des "acheteurs avisés", le système continuera à osciller entre des augmentations de cotisations et des baisses de remboursements d'une année sur l'autre, voire les deux en même temps...

Jean Peyrelevade : Les dépenses de sécurité sociale représente la moitié des dépenses publiques. La mesure la plus difficile à soutenir sur le plan politique mais qui est pourtant la plus efficace pour effectuer des économies sur ce poste est le recul de l'âge de départ à la retraite. La France doit s'aligner sur les autres pays européens en montant au moins à 64 ans 65 ans.

De même, il faut rationaliser les dépenses de l'Assurance maladie en réformant la carte hospitalière, l'utilisation des médicaments génériques, le parcours de soin ou encore les dossiers médicaux personnels.

Marc Touati :  Les collectivités locales doivent clairement optimiser et réduire leurs dépenses. On découvre par exemple que bien souvent, la règle du non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite a été contournée. Certes, celui-ci n’a pas été remplacé par un autre fonctionnaire, mais par un privé. Il y a donc moins de fonctionnaires, mais toujours autant, si ce n’est plus, de dépenses publiques.

Le problème de la dette des collectivités locales mais aussi de l’ensemble de la puissance publique française c’est qu’elle ne génère pas assez d’activité économique. Depuis cinq ans, chaque année, il n’y a pas assez de croissance économique dans l’Hexagone et dans la plupart des régions pour simplement couvrir le paiement des intérêts de la dette publique. Pour régler ces derniers, il faut donc alors encore s’endetter. C’est ce que l’on appelle la bulle de la dette, ou, pour les plus sévères, le système Madoff appliqué à la dépense publique.

La dette des administrations de sécurité sociale est un question est délicate, car, face au marasme social actuel, il serait catastrophique de réduire les aides sociales. Pour autant, il faut absolument repenser ces dernières vers plus d’efficacité et moins de gaspillage. De même, face au vieillissement de la population, il faut mieux allouer les dépenses publiques, par exemple moins de militaire et de dépenses de fonctionnement dans les administrations locales et régionales, mais plus pour certains hôpitaux. 


Parmi ces sources d'économies, lesquelles sont prioritaires ? Quels sont les leviers les plus rapides pour diminuer le déficit des administrations publiques ?

Alain Madelin : Cela fait trente ans que les réformes les plus essentielles sont systématiquement repoussées. Par exemple, il n'y a eu aucune privatisation majeure depuis plusieurs années. Toutes les réformes doivent être engagées en même temps. Certes, il y a un risque. Mais François Mitterrand disait : "Il n'y a pas de politiques sans risques, il n'y a que des politiques sans chances".

Jean Peyrelevade : La priorité doit être donnée à la réforme des retraites car l'effet est immédiat. En effet, pendant la période de transition sur laquelle l'âge est allongé, le montant des retraites à payer est plus faible. Enfin, il faut absorber les départements par les régions.

Trop d'administrations se superposent. Par exemple, Paris, Lyon et Marseille sont toutes les trois divisées sous forme d'arrondissements, chacun comprenant des maires et des conseillers municipaux alors que leurs pouvoirs sont quasi-nuls.

Marc TouatiLa priorité est de réduire les dépenses de fonctionnement de toutes les administrations publiques : centrales, locales et sociales. Ensuite, il est encore possible de réduire certaines dépenses militaires. Le système de retraite par répartition doit également être amélioré et épaulé par un financement privé.

Sur ce dernier point, vu le dogmatisme qui règne dans le gouvernement actuel, il ne faut malheureusement pas rêver. Quoique, on ne sait jamais : ce sont parfois les pacifistes qui font la guerre et les guerriers qui font la paix. N’oublions pas par exemple que c’est un gouvernement de « gauche », celui de Gerhard Schröder, qui a initié les réformes allemandes… 

Alors que le gouvernement maintien sa croissance prévisionnelle à 1,2% pour 2013, là où la plupart des économistes s'attendent à des niveaux plus faibles. La réduction des déficits risque-t-elle de freiner l'activité économique ?

Jean Peyrelevade : La réduction des déficits risque de pénaliser la croissance, surtout si le gouvernement procède par des augmentations d'impôts. A l'inverse, certaines réductions de dépenses n'ont pas d'effet sur la croissance. Ainsi, le décalage de l'âge de départ à la retraite peut avoir des effets sur la structure de l'emploi, mais n'a aucun effet sur la croissance.

Marc Touati : Si la réduction des déficits passe par une augmentation des impôts, il faut se préparer au pire : une récession qui s’installera au moins jusqu’à la fin 2013. Nous serons donc très loin de 1,2 % de croissance pour l’an prochain.

En revanche, si l’on réduit intelligemment les dépenses, tout en modernisant notre économie (notamment le marché du travail) et aussi en réduisant certains impôts (sur les entreprises, mais aussi sur les salaires), alors la croissance française a une chance de redémarrer. L’espoir fait vivre…

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