Monde d’après et post-pandémie : La France face à l’heure de vérité<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron s'adresse à la presse avec le ministre de la Santé, Olivier Véran, après une visite du centre d'appels des services d'urgence SAMU-SMUR à l'hôpital Necker le 10 mars 2020 à Paris.
Emmanuel Macron s'adresse à la presse avec le ministre de la Santé, Olivier Véran, après une visite du centre d'appels des services d'urgence SAMU-SMUR à l'hôpital Necker le 10 mars 2020 à Paris.
©LUDOVIC MARIN / AFP / PISCINE

Bonnes feuilles

Nicolas Baverez publie « (Re)constructions » aux éditions de L’Observatoire. L'épidémie de Covid sera-t-elle la matrice du XXIe siècle, comme la Grande Guerre fut celle du XXe siècle ? En tout cas, la décennie 2020 sera décisive. L'heure n'est donc pas à la déploration mais à l'action. Démocratie, capitalisme, Europe, France : tout est à repenser. Extrait 2/2.

Nicolas Baverez

Nicolas Baverez

Nicolas Baverez est docteur en histoire et agrégé de sciences sociales. Un temps éditorialiste pour Les Echos et Le Monde, il analyse aujourd'hui la politique économique et internationale pour Le Point.

Il est l'auteur de Lettres béninoises et de Chroniques du déni français aux Editions Albin Michel.

 
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Comme toute grande crise historique, la pandémie a déchiré le voile de l’ignorance et des mensonges, en faisant la vérité sur la situation réelle de la France. Elle a montré l’inconséquence et l’impuissance de l’État, incapable d’anticiper, puis de gérer la pandémie. Elle a révélé la marginalisation de l’industrie et de la recherche françaises, lesquelles ne se limitent pas au secteur de la santé. Elle a mis au jour l’atomisation des individus et la déchirure de la Nation en communautés, en minorités, en tribus, en bandes qui ne partagent plus que la peur et la haine des autres. Elle a souligné la perte de souveraineté d’un pays qui dépend de la Chine pour l’approvisionnement de ses biens essentiels, des États-Unis pour sa sécurité et de l’Allemagne pour le financement de sa gigantesque dette. Dans la continuité du mouvement des Gilets jaunes, avec la mobilisation contre le pass sanitaire, elle a creusé le fossé de défiance qui sépare les citoyens des dirigeants et des institutions de la démocratie représentative.

Loin d’entraîner une clarification politique, l’épidémie se traduit pour l’heure par une immense confusion. Les urgences tiennent lieu de politiques. Le déversement aveugle de dépenses publiques financées par la dette, au nom du mantra absurde « quoi qu’il en coûte », est érigé en stratégie. Et ce, alors même qu’elles financent pour l’essentiel des charges de fonctionnement et les « clientèles » de la fonction publique, et non pas des investissements permettant d’améliorer la croissance potentielle ou de moderniser le pays. Et ce, alors même que le mythe du caractère gratuit et illimité de l’argent public –  ignorant le fait que la dette publique est celle des Français qui devront la rembourser  – prépare méthodiquement la faillite du pays. Le débat public se dissout en vaines polémiques et entretient les illusions sur la situation du pays comme l’infantilisation des Français. La France ne sort donc pas seulement de l’épidémie avec une économie, une société et un État effondrés ; elle a perdu le fil de son histoire ; elle s’est coupée de sa culture ; elle doute de ses valeurs.

La sortie de l’épidémie pourrait ainsi donner raison une nouvelle fois à Alexis de Tocqueville, qui situait le plus fort risque de secousse politique non pas au cœur des chocs historiques, mais au moment où la sortie de crise se profile. La France n’est pas seulement menacée de manquer la reprise et de se trouver marginalisée par l’Allemagne, qui prend de plus en plus ses distances avec elle pour se tourner vers les pays d’Europe centrale et orientale. Elle se trouve dans une situation prérévolutionnaire, comme l’a montré le mouvement des Gilets jaunes. Et la révolution, dans une période de déflation, de montée de la violence et de déchaînement des passions nationales, a basculé à l’extrême droite, comme dans les années 1930. Tous les facteurs favorables au vote populiste se trouvent en effet réunis dans notre pays : violente crise économique et sociale, désintégration de la classe moyenne, insécurité galopante, déclassement du pays et de ses citoyens, implosion des partis dits de gouvernement, délégitimation des institutions et des dirigeants.

La France fait donc face à une heure de vérité  : elle doit choisir entre la débâcle programmée, comme en  1940, ou la reconstruction, comme en  1945. Et ce choix conditionnera largement le destin de l’Europe. L’élection présidentielle de  2022 se présente ainsi comme la dernière chance pour les Français de sortir du déni, de se livrer à un examen de conscience sur leur responsabilité dans le déclassement de notre pays, de débattre d’un projet de redressement qui permette de mobiliser les énergies, de rassembler la Nation, de la repositionner dans le XXIe  siècle tout en la réconciliant avec ses valeurs. Voilà pourquoi il est vital que le débat ne soit pas tronqué, occulté, confisqué par la démagogie, comme ce fut trop souvent le cas par le passé.

L’épidémie de Covid-19, par le choc inouï qu’elle a provoqué pour chaque citoyen, constitue aussi une occasion unique. Elle a confronté tous les Français aux conséquences concrètes de la liquidation de l’industrie, de la marginalisation de la recherche, de l’incapacité de l’État de délivrer les services de base concernant la santé, l’éducation, la sécurité ou la justice. Par ailleurs, cette débâcle de l’État – symbolisée par les pénuries de masques, de tests, de respirateurs, de vaccins et de lits de réanimation, comme par l’incapacité à mettre en place effectivement le traçage et l’isolement des malades ou le contrôle des frontières –, dans son extravagance même, a suscité un sursaut de la société. Les soignants ont sauvé l’honneur du système de santé, faisant la preuve de leur réactivité, de leur excellence clinique et de leur sens éthique. La paralysie de l’État central a été contournée par l’imagination et l’agilité des élus locaux, de l’approvisionnement en masques à la vaccination de la population. L’organisation du territoire, polarisée autour des métropoles qui avaient capté les quatre cinquièmes de la croissance et des créations d’emplois depuis le début du siècle, a commencé à se rééquilibrer en faveur des villes moyennes. Les blocages de la bureaucratie ont dû céder devant les innovations médicales et technologiques. Les entreprises se sont adaptées avec une rapidité stupéfiante aux contraintes des confinements, ont basculé vers le télétravail et massivement accéléré leur recours aux technologies de l’information.

La France n’est pas finie. Elle dispose encore, grâce à ses citoyens, des talents et de l’énergie pour se redresser.

Mais il faut tirer rapidement les leçons de l’épidémie de Covid-19 en engageant une véritable révolution. Il est temps de cesser de sanctuariser tout ce qui nous ruine et de condamner tout ce qui pourrait nous sauver. Les Français doivent renoncer à attendre le salut d’un homme ou d’une femme providentiels, ou à s’en remettre à l’État pour reprendre collectivement en main notre destin. Cessons de rêver et de commémorer l’âge d’or mythifié des Trente Glorieuses pour affronter les problèmes du présent et reconstruire une France moderne dans l’histoire universelle du XXIe siècle, en renouant avec le fil de son histoire et de sa culture, qui conservent un lien indissoluble avec la dignité et la liberté des hommes.

Le déclin n’a rien de fatal

Le déclin de la France ne résulte ni de la loi d’airain du capitalisme mondialisé, ni de la construction européenne, comme le montre la réussite de l’Allemagne ou de l’Europe du Nord. Il est le fruit de la démagogie politique, basée sur le refus des réalités du XXIe siècle ; elle a enfermé les Français dans le renoncement pour les transformer en spectateurs de leur chute à travers le culte de la commémoration. Pourtant, le déclin n’a rien d’inéluctable : il peut être enrayé par un sursaut national, dont notre histoire comme nombre de démocraties montrent l’exemple.

Faute d’avoir réussi à conjuguer stabilité des institutions et liberté politique, la France présente un profil très heurté depuis 1789, alternant les phases de violents décrochages et de brillants rattrapages. Comme aimait à le souligner le général de Gaulle, elle est le pays qui ne fait des réformes qu’à l’occasion des révolutions. Ainsi en fut-il sous l’empire libéral, à la Belle Époque, au cours des Années folles et surtout durant les Trente Glorieuses.

A lire aussi : La pandémie de Covid-19 ou le sacrifice des libertés

Extrait du livre de Nicolas Baverez, « (Re)constructions », publié aux éditions de L’Observatoire

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