Moitié floue : connaissez-vous vraiment la personne avec laquelle vous êtes en couple ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Science
Moitié floue : connaissez-vous vraiment la personne avec laquelle vous êtes en couple ?
©FRANCOIS GUILLOT / AFP

Twilight Zone

Plusieurs faits divers posent la question de savoir si on connaît vraiment la personne avec qui on partage sa vie. C'est notamment le cas de l'épouse de Didier Ramault, le meurtrier présumé d'Angélique Six, qui ne connaissait pas du tout son mari. C'est un cas extrême mais sans aller jusqu’à soupçonner son conjoint de mener une double vie mystérieuse, la question se pose pour tous...

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

Voir la bio »

Plusieurs faits divers posent la question de savoir si on connaît vraiment la personne avec qui on partage sa vie. De façon plus commune, et beaucoup moins extrême, ce phénomène  existe-t-il dans la vie des couples ?

Pascal Neveu : C’est toujours lorsqu’une affaire criminelle ou terroriste est révélée que nous nous posons cette question fondamentale : « Mais comment ai-je pu ne pas voir ou savoir ? », « Il/Elle était si gentill(le), prêt(e) à rendre service… avec son sourire… », « Comment aurais-je pu me douter ? », « Mais il/elle n’était pas comme ça avec moi ! »… 

Car au delà de ces histoires sordides et condamnables c’est la question de l’aveuglement qui nous pose souci. Certes l’amour rend aveugle au début…  mais ensuite ? Repartons du début.

Comment naît un couple dans son désir de construction ? (car nous parlons bien de couple et pas seulement de rencontre éphémère).

Dans une premier temps une, deux, plusieurs rencontres où mécanismes d’identifications et de projections vont faire que nous allons fusionner en ne faisant qu’un, en nous oubliant.

Au bout de quelques semaines, jusque 2 mois, un défusionnement a lieu… L’effet Cupidon laisse la place à la « confrontation » avec l’autre, cet autre, ce différent dont nous mesurons ce qui nous plaît, nous déplaît, ses zones d’ombre, ses vérités, avec lesquelles nous acceptons dès lors de composer et d’accepter de nous jeter dans le bain de nous définir « être ensemble »… un couple…

Mais sans encore tout savoir. Preuve en est ce qualificatif de « moitié »… nous ne sommes toujours pas nous-même…

C’est alors que ce désir de construction l’emporte, même si en parallèle nous continuons à nous découvrir, à nous livrer… et parfois oublier.

Dans l’affaire « Angélique », Laetcia Ramault avait connaissance du passé judiciaire de son compagnon. Mais qui n’a pas le droit à soigner ses démons, à se reconstruire, à se rééquilibrer et mener une vie sans encombre ?

Le problème principal reste ce que nous appelons le déni, ce mécanisme psychique le plus puissant qui nous aveugle tout autant que l’amour. Plus précisément il existerait un aveuglement complet entre la réalité extérieure et le ressenti intérieur d’une personne. Il est donc possible d’oublier, de dénier des faits, des événements… C’est le cas par exemple du déni de grossesse, des troubles de comportements alimentaires, également lors de deuil…

Citons les exemples du couple Courjault, Rose da Cruz… toutes les expertises psychiatriques ont démontré le déni.

Je sais combien ne peuvent pas comprendre ce que nous observons dans notre clinique.

Mais il est aussi des cas de complicité dans les couples où le conjoint ou la conjointe va vivre indirectement ce que l’autre opère en passage à l’acte criminel. Mais le psychisme est plus complexe.

Quels sont les mécanismes psychologiques et sociaux qui expliquent pourquoi et comment il est possible de vivre en couple sans connaître l'autre ?

Il faudrait déjà se connaître soi-même afin de connaître l’autre.

Dès la connaissance avec l’autre nous recherchons un effet miroir, alors que nous ne nous sommes pas encore perçus dans ce miroir, révélateur de ce que nous sommes. 

Le miroir ne doit pas être qu’une illusion mais une révélation, telle une photographie.

Et c’est bien là que dès lors les dés son pipés : car le miroir et la photographie ne nous montrent pas 2 êtres identiques !

Je vous laisse VOIR qui vous êtes entre un miroir et une photo. Faîtes en l’expérience.

Aussi, lorsque dans un couple on s’appelle « ma moitié », on se pense « ma moitié », on se vit « ma moitié »… Car notre personnalité, et plus précisément notre identité se construit à travers des rencontres qui vont nous enrichir émotionnellement, nous apporter, ou au contraire nous faire détester certaines personnes. C’est un bain nourricier qui est principalement parental, puis étendu à la famille, aux enseignants, au curé, au boulanger… C’est ce que nous allons appeler par la suite le transfert.

Précisément dès lors que nous allons être en lien avec un autre va s’opérer un mélange confusionnel, émotionnel, un trouble transférentiel qui ne peut trouver sa solution qu’en sachant à qui réellement j’ai affaire. Et dès qu’il y a lien amoureux, se revivent tous les démons affectifs précédents (pardonnez la simplicité) : la mère le premier amour, le père le tiers séparateur, puis les premières amours, les illusions, les désillusions, les espoirs… Tout n’est que confusion dans l’amour. Sauf pour les plus éclairés  qui découvrent après avoir déblayé l’entassement de leur propre histoire, leurs dénis…

Nous ne sommes plus que rarement dans des contraintes sociales de couples. Il suffit de voir les chiffres de divorces car l’un et l’autre ne veulent plus vivre comme ce qui se pratiquait encore au 19ème siècle : la famille d’un côté, le couple de l’autre.

Pour autant, certaines contraintes liées à l’âge, au nom de famille, à la pérennisation de ce nom, au célibat… à la moquerie, à la honte… font qu’il faut « former couple » à tout prix, aveuglément. Nous sommes sortis des mariages arrangés. Mais nous ne sommes pas sortis des couples arrangés. Vivre en couple sans connaître l’autre ?

Je  répondrai « Le meilleur ami est le plu gros confident ». Mais dans la grande majorité des couples tout se passe très bien ! 

Entre les schémas inconscients, la reproduction d'injonctions sociales, l'aveuglement… que décide-t-on vraiment dans ce choix ?

C’est bien évidemment la question du transfert que je décrivais mais également et surtout de parvenir, d’être capable d’entendre son cœur et sa raison. Nous connaissons tous « Le coeur a sa raison que le cœur ignore ».

J’ai vu et suivi tant de cœurs aveuglés tant détruits par la suite. Ce qui me permet d’affirmer que l’amour est une pathologie. Cependant nous ne pouvons pas vivre sans amour. Et alors, suite à vos questions, en arriver à l’évitement de l’aveuglement.

J’y répondrai de 2 façons :

- toutes celles et ceux ayant appris le pire de l’autre m’ont toutes et tous dit : « En fait je le savais dès le début »

- toutes celles et ceux sous emprises l’ont découvert après coup

Le niveau d’aveuglement n’est donc pas le même, de déni non plus. Je me permets un exemple.

Un enfant (fille ou garçon) présente à ses parents sa copine ou son copain. Les parents, immédiatement, ressentent le pire… Sauf que l’enfant ne le verra jamais ainsi. L’aveuglement est déjà présent. Alors quid du futur ? Nous ne pouvons pas décider tant que nous-même restons dans notre propre aveuglement. 

Il est différentes formes d’aveuglement (exemples)

- de défiance

- de complaisance

- de soumission

- de non existence

Et c’est ce dernier point qui me semble le plus important : l’existence.

Peut-on dire que les personnes qui se connaissent mal ou peu elles-mêmes sont forcément plus confrontées à cette situation ?

Se connaître soi-même est tant une quête qu’une épreuve de vie. Des philosophes aux psychanalystes, tous n’ont cessé penser l’être et son existence.

Je ne suis nullement convaincu que qui que ce soit se connaissant mal ou peu ne vive pas un plein amour. Car qu’est-ce que se connaître… et jusqu’où ? L’introspection est infinie et finalement sans fin et sans intérêt dès que les fondamentaux s’expriment.

Libéré des carcans, des fantasmes, des idéaux de couples, évitant bien évidemment les dernières affaires… Qui ne se pose pas la question de l’assurance d’une vie vraie et stable ? Nous y aspirons toutes et tous. Ces histoires, hélas, éveillent les consciences.

Aussi quels sont les chiffres de notre meilleure réalisation ? Jamais je ne vous les donnerai. Pour une seule raison : nous ne les avons qu’après passage à l’acte.

MAIS, le plus fondamental reste que :

- toute rencontre invite à se connaître (d’un côté comme de l’autre : j’en tire quoi ?)

- toute rencontre demande d’être sincère : pourquoi cacher qui nous sommes alors que l’autre l’apprendra ?

- toute rencontre impose une vérité sur soi-même : quelle est ma recherche ? Celle de l’amour ou de l’amoureux ?

- toute rencontre ne peut provoquer qu’un sincère amour…

Après avoir relu cet écrit…  Ne restons pas aveugle !!! Platon disait « L ‘amour  est aveugle ». Mais il complétait «  L’homme est un aveugle qui va dans le droit chemin ».

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !