Missiles braqués vers l'Europe, veto anti-français à l'ONU : l'atmosphère de la visite de Vladimir Poutine à Paris va-t-elle continuer à se dégrader ? <!-- --> | Atlantico.fr
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Des convergences existent entre Paris et Moscou sur la lutte contre le djihadisme et le respect de la souveraineté des États. Mais incontestablement, la Russie et la France sont à un point bas de leurs relations.
Des convergences existent entre Paris et Moscou sur la lutte contre le djihadisme et le respect de la souveraineté des États. Mais incontestablement, la Russie et la France sont à un point bas de leurs relations.
©Reuters

Escalade à haut risque

Ce week-end aura été l'occasion pour la Russie, une nouvelle fois, de marquer son opposition par rapport aux Occidentaux, et notamment vis-à-vis de la France, dans la résolution du conflit syrien. Le veto russe contre la résolution française présentée ce samedi au Conseil de sécurité témoigne également de l'éloignement diplomatique entre les deux pays qui remonte à l'annexion de la Crimée.

Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Ce week-end, la Russie a eu recours à son veto au sein du Conseil de sécurité contre une résolution française visant à interrompre les bombardements sur la ville d'Alep en Syrie. Que révèle cette situation quant au niveau des relations diplomatiques entretenues actuellement entre Paris et Moscou d'une manière générale, et sur le dossier syrien en particulier ? 

Cyrille Bret : L'usage du veto atteste d'une tendance à l'éloignement entre Paris et Moscou qui date de l'annexion de la Crimée et des opérations menées dans le Donbass, marquées par l'adoption de sanctions, et notamment l'annulation de la livraison de bâtiments de projection et de commandement Mistral. L'éloignement est fortement marqué sur les théâtres d'opération syrien et libyen. La France est attachée au respect du droit international humanitaire – la protection des civils et du personnel soignant – alors que tout un faisceau de signes indiquent que la Russie continue à soutenir le régime de Bachar al-Assad à Alep sans tenir compte de ce droit international humanitaire. Toutefois, des convergences existent entre Paris et Moscou sur la lutte contre le djihadisme et le respect de la souveraineté des États. Mais incontestablement, la Russie et la France sont à un point bas de leurs relations. Reste à voir comment cela se manifestera lors de la visite de Vladimir Poutine à Paris la semaine prochaine pour l'inauguration du Centre culturel et religieux russe au pied de la Tour Eiffel. Cette inauguration fait d'ailleurs partie de l'un des axes du soft power de Moscou en France, en plus de l'ouverture de l'exposition Potanine à Beaubourg, et de la transformation annoncée des médias russes francophones. 

Florent Parmentier : il est évident que depuis plusieurs années, la France et la Russie ne partagent pas le même diagnostic sur la situation en Syrie, et par conséquent, pas les mêmes remèdes non plus.

Pour Paris, le conflit syrien découle d’une guerre civile résultant des révolutions du "printemps arabe" de 2011, qu’un changement de régime pourrait résoudre ; le terrorisme n’est que le produit dérivé de la tyrannie et de l’obscurantisme. Pour Moscou, ce sont les puissances sunnites, via des mouvements djihadistes devenus incontrôlables, qui ont nourri le conflit syrien. L’objectif dans ce cadre est de protéger des implantations militaires russes dans la région et l’expansion de la puissance iranienne, que le pouvoir de Bachar Al-Assad peut garantir.

François Hollande a cherché à impliquer Vladimir Poutine dans la coalition contre Daech, mais les deux acteurs n’ont incontestablement pas la même perception des enjeux. Pour autant, en dépit de ce véto, Moscou mise un certain nombre d’espoirs sur la prochaine présidentielle française, en cas d’alternance. Une bonne partie du spectre politique, essentiellement à droite (Sarkozy, Fillon), mais aussi à gauche, semble intéressée pour une coopération plus poussée avec la Russie. Le phénomène Poutine dérange aujourd’hui autant qu’il fascine bon nombre d’hommes politiques.

En d’autres termes, le veto ne change pas fondamentalement les relations entre la France et la Russie, qui sont chacune sur leurs positions respectives, et il illustre l’absence de convergence d’intérêts sur ce point.  

Dans ce contexte de fortes tensions entre Russes et Occidentaux, Vladimir Poutine a décidé récemment du positionnement de missiles balistiques Iskander-M dans la ville de Kaliningrad, menaçant directement la Pologne et les Etats baltes, chacun membre de l'Otan. Comment interpréter ce déploiement ? Les pays voisins de la Russie et membres de l'Otan ne constituent-ils pas des "otages" dans ce contexte de tensions entre la Russie et les pays occidentaux ? 

Florent Parmentier : Il faut rappeler que la région de Kaliningrad, l’ancienne Königsberg, était traditionnellement une place forte militaire à l’époque soviétique. Il y a moins de militaires qui stationnent aujourd’hui qu’alors.

Ce déploiement peut être interprété comme une réponse au sommet de l’Otan de Varsovie, qui avait pour vocation d’affirmer l’unité de la coalition par rapport à des agissements russes de plus en plus agressifs, consistant à tester la résistance des uns et des autres. La leçon de la Crimée, où de nombreux acteurs ont considéré que l’Otan n’a pas été assez réactive, a été retenue. C’est dans le rapport de force que chaque partie pourra retrouver des marges de manœuvre dans la négociation. Le sommet de Varsovie avait également eu pour mérite d’envoyer 3 000 à 4 000 soldats de l’Otan en Pologne et dans les pays baltes, et soulevé la question du bouclier anti-missile, point de friction traditionnel avec la Russie.

Dans ces conditions, il était sans doute naïf de n’attendre aucune réaction de la part de la Russie. Le positionnement des missiles Iskander-M à Kaliningrad s’inscrit dans ce contexte ; le porte-parole du ministère russe de la Défense, Igor Konachenkov, ne manque pas de souligner pour sa part qu’il ne s’agit que de manœuvre d’entrainement de l’Armée russe sur son sol, considérant que c’était en soi un non-événement. 

Les pays voisins sont en effet des protagonistes de premier plan de cette tension internationale entre la Russie et l’Otan : otages en partie sans doute, mais aussi des acteurs qui entendent défendre légitimement leurs intérêts de sécurité, quitte à alimenter en retour la tension. 

Cyrille Bret Ce déploiement est l'un des points importants de la stratégie russe en Europe nordique et orientale depuis une dizaine d'années. Kaliningrad est une enclave située entre la Pologne et la Lituanie qui sert à la Russie de point avancé pour ses dispositifs de réponse à l'Otan. Outre les tensions suscitées par le dossier syrien, ce déploiement constitue une réponse au sommet de Varsovie du 8 juillet dernier au cours duquel l'Otan a décidé de continuer son extension en direction du Sud (Monténégro), et surtout de mettre sur pieds des forces militaires au sol dans les pays baltes. Tous les exercices réalisés par l'Otan au printemps dernier ont été considérés comme des provocations de la part de Moscou.

On ne peut pas vraiment parler d' "otages" pour la Pologne et les États baltes vis-à-vis de la Russie dans la mesure où ils sont les premiers opposants en Europe à la puissance russe; ce sont eux qui, d'ailleurs, ont initié la politique de sanctions contre la Russie. 

Le dossier syrien contribue à l'aggravation des tensions entre Occidentaux et Russes, les Américains ayant notamment suspendu les pourparlers avec la Russie lundi dernier. Le chef de la diplomatie allemande, Frank-Walter Steinmeier, a affirmé ce samedi que la situation actuelle était "plus dangereuse" que la Guerre froide. Dans quelle mesure cette affirmation correspond-elle à la réalité ? Jusqu'à quel point la situation avec la Russie pourrait-elle dégénérer ? 

Cyrille BretLa situation actuelle est différente de celle de la Guerre froide, et ce pour trois raisons. D'une part, il existe des conflits armés sur le sol européen, ce qui n'a pas eu lieu au cours de la Guerre froide en raison de l'équilibre de la terreur imposé par l'armement nucléaire. Ces conflits sont localisés dans le Donbass, mais il ne faut pas non plus oublier les cyberattaques dans les États baltes. Ensuite, il n'y a pas d'alternative claire entre un camp libre et un camp communiste. Le modèle idéologique que propose Vladimir Poutine n'est pas exportable ; il ne s'agit que de la promotion des intérêts russes par des tactiques hybrides. Enfin, il n'y a pas de situation de parité militaire, ni économique : la Russie est encore aujourd'hui un outsider qui essaye de rattraper son retard sur les Occidentaux. Pour ces raisons, le chef de la diplomatie allemande a raison de dire que la situation actuelle est "plus dangereuse" que la Guerre froide. L'escalade actuelle pourrait aller assez loin puisque les actions ouvertes et dans le cyberespace sont utilisées par les différents protagonistes, y compris en Syrie. Tout cela est donc préoccupant. 

Florent Parmentier : Alors qu’il y a encore quelques semaines, la Syrie pouvait être un espace potentiel de coopération, il s’agit aujourd’hui d’un nouveau point de tension, au-delà même de la question du maintien en place de Bachar al-Assad. Les Etats-Unis et les Européens entendent faire porter la responsabilité de l’escalade du conflit sur la seule Russie, là où les experts russes soulignent le rôle important des acteurs locaux, en particulier l’Arabie saoudite et les pays du Golfe. Ici comme ailleurs, la dialectique des faucons des deux côtés rend presque chimérique toute perspective de processus de paix en Syrie : la volonté des faucons américains de voir la Russie s’empêtrer en Syrie est réelle. A l’heure des élections américaines, la conclusion du conflit en Syrie semble aussi loin de se terminer qu’il y a cinq ans. Par ailleurs, il est saisissant d’observer qu’au même moment, le conflit se dégrade également au Yémen, et ce dans une indifférence quasi-générale.

Comme l’exprime le chef de la diplomatie allemande, la situation actuelle est effectivement dangereuse dans la mesure où le jeu devient extrêmement imprévisible entre la Russie, les Etats-Unis et les Européens. Les codes ne sont pas communs, et les rapports ne sont pas stabilisés. Toutefois, force est de constater qu’il y a quelques mois, des terrains d’entente avaient pu être trouvés sur la question du nucléaire en Iran, ce qui prouve que des avancées sectorielles et régionales communes ne sont pas à exclure.

Propos recueillis par Thomas Sila

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