Migrants en Méditerranée : pour comprendre le durcissement en cours de l’opinion<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Français demeurent rétifs à la mise en place de structures d'accueil pour les migrants.
Les Français demeurent rétifs à la mise en place de structures d'accueil pour les migrants.
©Reuters

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Alors que la séquence de drames occasionnés par les naufrages de candidats à l'immigration a beaucoup été diffusée dans les médias, les Français demeurent rétifs à la mise en place de structures d'accueil et préfèrent un renforcement de la lutte contre l'immigration clandestine.

 Ifop

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L'Ifop est un institut de sondages d'opinion et d'études marketing.

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Face aux drames occasionnés par les récents naufrages survenus en Méditerranée, l’opinion publique française est très partagée sur l’attitude à adopter. 47% des personnes interrogées par l’Ifop pour Dimanche Ouest France estiment ainsi que les pays européens devraient « renforcer les contrôles aux frontières et lutter contre l’immigration clandestine en provenance du sud de la Méditerranée » contre 46% qui souhaiteraient que l’accent soit mis sur une « aide au développement et à la stabilisation des pays du sud de la Méditerranée afin de fixer sur place les populations », 7% penchant pour le développement des programmes d’aide et d’accueil. Bien que le nombre de victimes soit impressionnant et que des images terribles aient tourné en boucle dans la plupart des médias ces dernières semaines, les Français se montrent aujourd’hui très rétifs à la mise en place de structures d’accueil et penchent soit pour un renforcement de la lutte contre l’immigration clandestine soit pour une aide au développement.

Aide au développement ou renforcement des contrôles aux frontières : une opinion très clivée

Les opinions sur cette épineuse question sont structurées par un triple clivage qui est à la fois générationnel, social et partisan. On constate ainsi que la priorité à l’aide au développement des pays de départ augmente avec l’âge : 38% seulement parmi les moins de 35 ans, 43% parmi les 35-49 ans, 47% auprès des 50-64 ans et 56% chez les 65 ans et plus. A l’inverse, le renforcement des contrôles aux frontières est majoritairement cité par les moins de 35 ans (54%) alors que cette option ne recueille que 37% parmi les seniors.

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Tout se passe comme si cette tranche d’âge restait largement acquise à l’idée, vulgarisée depuis de très nombreuses années, que l’aide au développement constituait la meilleure réponse aux flux migratoires alors que les jeunes générations y adhèrent désormais beaucoup moins et attendent beaucoup plus de fermeté aux frontières.

On retrouve également sur ce sujet un clivage assez traditionnel en termes de catégories socio-professionnelles. Les cadres supérieurs et professions libérales sont majoritairement acquis à l’aide au développement (53% contre 38%) alors que les employés et ouvriers penchent très nettement pour le renforcement des contrôles aux frontières : 60% contre 34% pour l’aide au développement. On a de nouveau sur ce cas concret, comme on le trouverait sur les enjeux européens, une illustration de l’opposition entre les tenants d’une société « ouverte », qui se recrutent davantage dans les CSP+, versus les adeptes d’une « société fermée », beaucoup plus représentés dans les milieux populaires.

La troisième ligne de clivage est, bien entendu, de nature politique. Les sympathisants de gauche souhaitent très majoritairement (à 64%) que les Etats européens mettent en priorité l’accent sur l’aide au développement de l’Afrique, contre 23% qui attentent un renforcement des contrôles aux frontières. On observe également que c’est parmi les sympathisants du Front de Gauche et d’Europe-Ecologie Les Verts, que l’idée de développer des programmes d’aide et d’accueil dans les pays européens est la plus citée (respectivement par 19% et 15% contre seulement 7% en moyenne).  L’électorat de l’UMP est lui majoritairement (55%) pour le renforcement des contrôles même si 43% adhèrent à l’aide au développement, cette proportion atteignant même 60% parmi les soutiens de l’UDI.

Les sympathisants frontistes, quant à eux, sont très massivement en attente d’un renforcement dans la lutte contre l’immigration clandestine avec 81% de citations.

Les chiffres de cette enquête témoignent par ailleurs d’un durcissement de l’opinion française sur le sujet. En effet, une précédente étude de l’Ifop réalisée pour La Croix en mars 2011 (1), soit au début du printemps arabe, évènement qui s’était accompagné d’un développement de ce phénomène de traversée par bateau en direction des côtes italiennes, montrait des résultats très différents. A l’époque, 61% de nos concitoyens se disaient favorables à ce que la priorité aille au développement économique des pays de départ contre 33% seulement en faveur d’un renforcement de la lutte contre l’immigration clandestine

Quatre ans plus tard, et alors que la pression migratoire a considérablement augmenté sur les frontières sud de l’Europe, l’idée de l’aide au développement est en repli de 15 points (de 61% à 46%) tandis que la demande d’un renforcement des contrôles aux frontières et de lutte contre l’immigration clandestine passe de 33% à 47%. Cette progression est particulièrement sensible dans l’électorat de l’UMP (+20 points contre +7 points pour les sympathisants socialistes).

Une disposition à accueillir des réfugiés ou des migrants en très net retrait

Dans le même ordre d’idée, une autre enquête réalisée par l’Ifop pour Valeurs actuelles (2), indique que l’opinion française se montre très rétive à l’accueil de migrants africains. Seuls 32% s’y disent favorables, soit un niveau bien plus faible que ce que l’Ifop avait mesuré en juillet 2014 à propos des chrétiens d’Orient (54% des Français étaient favorables à leur accueil) et plus encore en avril 1999 lors de la guerre du Kosovo. A l’époque, 64% des personnes interrogées étaient favorables à l’accueil de réfugiés kosovars sur notre territoire.

Au moins trois éléments contribuent sans doute à expliquer cette moindre générosité. Le premier est lié au contexte économique : la propension à accueillir et donc à financer le séjour de réfugiés diminue en période de crise. Le deuxième élément réside sans doute dans le fait que pour les Kosovars comme pour les chrétiens d’Orient, il s’agissait dans les deux cas de populations en proie à des massacres et à des violences alors que les migrants africains (en tout cas une partie d’entre eux) sont des réfugiés économiques fuyant la misère mais pas nécessairement la guerre. Enfin le troisième élément renvoie probablement à la proximité culturelle perçue ou ressentie vis-à-vis de ces différents groupes. On constate ainsi que la propension à accueillir était la plus forte (64%) dans le cadre des Kosovars sans doute d’abord perçus comme Européens plus que comme musulmans, qu’elle atteignait (54%) pour des personnes provenant du Moyen-Orient, mais de confession chrétienne, et qu’elle n’est plus que de 32% pour les migrants africains.

Le facteur de la distance culturelle ressentie vis-à-vis de différents groupes n’exerce pas la même influence dans les différentes catégories socio-politiques. On constate en effet que c’est parmi le seniors que l’écart d’attitude est le plus spectaculaire. 76% des 65 ans et plus se disaient favorables à l’accueil de chrétiens d’Orient à l’été 2014 contre 37% pour les migrants africains aujourd’hui soit un différentiel de 39 points contre 13 points d’écarts seulement parmi les moins de 35 ans qui semblent donc appréhender ces questions différemment.

De la même façon, on constate que la différence de traitement entre les deux populations est beaucoup marquée à droite mais aussi centre, qu’à gauche.

Dans ce cadre, une très large majorité (71%) se déclare favorable à la suspension des accords de Schengen, et au rétablissement au moins provisoire, des contrôles fixes aux frontières de la France. Cette demande émane assez classiquement d’abord des électorats du FN (87%) et de l’UMP (80% (3)) mais 56% des sympathisants de gauche sont également sur cette position, ce qui traduit bien l’inquiétude existant aujourd’hui dans la société française concernant la question de la gestion des flux migratoires et de la maîtrise des frontières.

Le développement des flux migratoires : la concrétisation du sombre diagnostic posé dès le début de la « révolution de jasmin ».

L’inquiétude prévalant actuellement a certes été nourrie par les récents évènements s’étant déroulés entre les côtes libyennes et italiennes mais ces images n’ont en fait que réactivé un diagnostic formulé très précocement par nos concitoyens. Ainsi, dès février 2011, soit dans les premières semaines du printemps arabe, 81% des Français pensaient que ces révoltes auraient probablement comme conséquence une augmentation du nombre d’immigrés de ces pays en direction de l’Europe. 59% redoutaient également la prise de pouvoir par les islamistes (4).  A rebours du discours des responsables politiques et des médias, qui regardaient avec enthousiasme la « révolution de jasmin » prendre de l’ampleur et se propager dans différents pays arabes,  l’opinion publique en France (et plus encore en Italie et en Espagne) ressentait, quant à elle, plutôt de la crainte. 

Mars 2011 : Le sentiment à l’égard des révolutions arabes (5)

La nouvelle donne géopolitique se caractérisant par la montée en puissance de l’Etat islamique dans différents pays, la déstabilisation de la Libye, de la Syrie et du Yémen et le développement d’un terrorisme djihadiste capable de recruter et de frapper sur notre sol alimente l’inquiétude et vient valider, quatre ans après, le sombre diagnostic. Forts de ce constat, et dans un contexte marqué de surcroît par de graves difficultés économiques et un taux de chômage en progression constante, les Français demandent aujourd’hui que l’Etat reprenne le contrôle de ses frontières et se montrent beaucoup moins accueillants que par le passé.

Retrouvez toutes les analyses Ifop Focus sur www.ifop.com

(1) Enquête réalisée par internet du 7 au 10 mars 2011 auprès d’un échantillon national représentatif de 501 personnes.

(2) Enquête réalisée par internet du 24 au 27 avril 2015 auprès d’un échantillon national représentatif de 1050 personnes.

(3) Au regard de ces chiffres, on comprend le durcissement de la ligne de Nicolas Sarkozy sur les thématiques régaliennes et identitaires observé ces derniers mois.

(4) Sondage Ifop pour Dimanche Ouest-France réalisé par internet du 24 au 25 février 2011 auprès d’un échantillon national représentatif de 969 personnes.

(5) Ifop pour La Croix : Les européens face aux révolutions arabes – Mars 2011

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