Michel Platini, un vrai stratège en costume de "Robin des Bois du football"<!-- --> | Atlantico.fr
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Michel Platini est le président de l'UEFA
Michel Platini est le président de l'UEFA
©Reuters

Bonnes feuilles

"Président Platini", publié aux Editions Grasset, de Arnaud Ramsay et Antoine Grynbaum est une enquête au long cours, nourrie de très nombreux témoignages, explorant la personnalité complexe de l'actuel président de l'UEFA et ancien capitaine de l'équipe de France. Les auteurs s’attachent à décrypter la façon dont il a consciencieusement grimpé les marches vers les sommets, montrant ses réussites mais aussi ses limites et ses ambiguïtés. (2/2)

Arnaud Ramsay

Arnaud Ramsay

Arnaud Ramsay est ancien rédacteur en chef à France Soir, chargé des sports. Passé également par France Football, Le Journal du Dimanche et M6, il est journaliste indépendant. Auteur des biographies de Bixente Lizarazu, Nicolas Anelka ou David Douillet, il vient de publier celle de Mourad Boudjellal " Ma mauvaise réputation" aux éditions La Martinière ainsi que « Ligue 1 : 80 ans de football professionnel » (Solar), avec Paul Dietschy.

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Antoine Grynbaum

Antoine Grynbaum

Antoine Grynbaum est journaliste sportif indépendant et commentateur de matchs de football. Il a déjà publié Foot et politique, les liaisons dangereuses et La Face cachée du sport aux éditions Gawsewitch.

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La question se posera toujours sans être tranchée avec certitude : Michel Platini a-t-il oeuvré pour un football plus humain de manière sincère, pour la postérité, ou avait-il simplement une très grande soif de pouvoir ? Un peu des trois, très certainement. Le fair-play financier aura servi ses intérêts : l’envie de moderniser le football et de corriger ses déviances avec un credo en tête : que le football reste d’abord et avant tout un jeu. Du charisme, des initiatives, des décisions fortes et un vrai consensus autour de lui : un président rassembleur et malin, capable d’esquiver, pour l’heure, les pièges avec panache. Qui aurait pu imaginer une telle reconversion ? Il a même étonné son ami Alain Cayzac, ancien président du PSG : « Je ne pensais pas qu’il était prêt à s’investir. Je me disais : “Est-ce qu’il va aller au charbon ? Est-ce qu’il va être prêt à faire 15 voyages par semaine ?” Le fait qu’il ait les capacités ne m’a pas surpris, qu’il ait envie de le faire, si. Maintenant, il y a vraiment pris goût. Il est écouté et très peu critiqué.» 

Roger Zabel, réalisateur d’un documentaire d’une heure et demie sur le meneur de jeu de l’équipe de France avant la Coupe du monde 1986, n’y aurait pas non plus songé une seconde. « Platini, peut-être en apparence, a toujours été un garçon insouciant, qui vit dans l’instant présent, passionné par le jeu, évoque le journaliste. Quand je dis qu’il est joueur avec un ballon, il est joueur dans la vie. Par exemple, chez les Bleus, il jouait beaucoup aux cartes, il adorait ça. Je le voyais mal s’investir dans des choses beaucoup plus rigoureuses et sérieuses. » 

Pour Cohn-Bendit, « quand il a été sacré champion d’Europe en 1984, il n’y pensait sûrement pas non plus ! ». Gérard Houllier, ex-sélectionneur de l’équipe de France et proche de Platini, avait imaginé un autre parcours : « Dans un premier temps, je pensais qu’il deviendrait manager de la Juventus de Turin, explique l’ancien entraîneur de l’Olympique lyonnais qui dirige aujourd’hui la division football de Red Bull. Il avait une vision au-dessus du lot, du recul. Michel, à l’époque, je l’aurais bien vu dans un rôle de patron d’un grand club avec une certaine philosophie de jeu. »

Aux yeux de Pape Diouf, ses cinq années àla Juve ont joué un rôle capital. « N ’oublions pas que Michel, dans un pays aussi ingrat et compliqué que l’Italie, a presque fait l’unanimité, et ce n’est pas rien », rappelle l’ancien président de l’Olympique de Marseille. Avant son arrivée à la tête de l’UEFA, le football européen était divisé en deux mondes : pauvres et riches, du grand classique. En obtenant la dissolution du G14 (groupement des clubs européens les plus puissants) et en passant un accord de coopération avec le syndicat international des joueurs, Platini a réconcilié l’instance européenne avec toutes les familles du football. Platini, l’artisan d’une paix sociale retrouvée et un homme présent au quotidien dans la discrète Nyon, en Suisse, à la différence de son prédécesseur, qui restait dans son pays natal, la Suède. Des initiatives, oui, mais certaines de plus en plus critiquées : le fair-play « utopique », la faillite de l’arbitrage à cinq. Mais au moins cherche-t-il à faire évoluer les mentalités dans un monde si conformiste, conservateur, ou la quête du pouvoir est obsessionnelle et apparaît comme le seul motif d’épanouissement.

Révolutionnaire, Platini ? Plutôt réformiste et très bon politique, capable d’arbitrer les rapports de force mais sans les transformer, en connaissant bien les limites à ne pas dépasser afin de se protéger personnellement. L’UEFA ou la perpétuelle quête d’influence : étendre son empire et porter ses revenus à des hauteurs records… Un président qui défend avant tout les intérêts de l’Union européenne de football, lesquels ne coïncident d’ailleurs pas toujours avec ceux du football « global ». Une personnalité duale, aussi : partagée entre ses envies réformistes et des ambitions toujours plus élevées. Le grand écart. Que restera-t-il de son passage à la tête de l’UEFA ? Une impression très positive, même si certaines décisions resteront incomprises : le Qatar, son silence dans l’affaire Timochenko, des jeux d’influence ici et là. Mais pouvait-il faire autrement ? La fonction crée des situations de tension et de polémique. Sera-t-il président de la FIFA ? Y pense-t-il tous les matins en se rasant ? Pas certain, mais l’étape suivante le mène inévitablement vers Zurich, siège de la plus grande instance du sport dans le monde avec 209 associations nationales et 310 employés venant de plus de 35 pays. Le Français a démontré depuis la réussite du Mondial 1998 ses capacités à diriger une équipe, à prendre des initiatives, à travailler avec les institutions. Aujourd’hui accompagné de ses deux principaux conseillers – l’ancien professeur de droit Gianni Infantino, secrétaire général de l’UEFA, Suisse d’origine italienne au crâne chauve et préposé au tirage au sort, et le Breton Kevin Lamour, d’abord bénévole dans la campagne de 2007 avant de devenir aujourd’hui une sorte de chef de cabinet –, Platini a forcément une stratégie en tête. De la finesse politique, il en faudra pour déstabiliser le camp Blatter, bien accroché à ses privilèges car il n’est évidemment plus question de football, ni de jeu. Alors « Robin des Bois du football » ou vrai stratège ? Un peu des deux : manoeuvrer d’un côté et adopter la posture de l’homme neuf pour conquérir le pouvoir de l’autre.

Malgré tout, selon Hervé Mathoux, qui a collaboré avec lui sur Canal + dans les années 2000, Platini n’a finalement pas tant évolué que ça. « Il est toujours agréable quand on le croise, rappelle le présentateur du Canal Football Club. Ses copains restent les mêmes, il les a gardés : Jean Tigana, Louis Nicollin… Je pense qu’au fond de lui, il est resté le joueur qu’il était avec son sens de l’humour. Il a pris une dimension politique, économique et fait en sorte d’être bien conseillé, bien entouré. Footballeur, il était déjà plus intelligent qu’un joueur lambda. » A l’instar de Yannick Noah, Alain Prost, Jean-Claude Killy, Jean-Pierre Rives ou Bernard Hinault, Michel Platini est une icône française, et pas uniquement du sport français. Son nom signifie quelque chose dans le monde entier, contrairement à la plupart des dirigeants du football actuel. Il ne court pas seulement après l’argent et la gloire : il a déjà les deux ! Les années passent si vite pour cet homme de 58 ans qui aura marqué son époque, également apôtre des remarques fines et drôles. La saga d’une reconversion réussie, l’histoire de l’un des plus grands numéros 10 du football, qui a prétendu un jour : « J’ai du mal à me souvenir que j’étais footballeur, mais je suis content que les gens me le rappellent de temps en temps… » A lui de ne pas l’oublier.

Extraits de "Président Platini", d'Arnaud Ramsay et Antoine Grynbaum, publié aux Editions Grasset. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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