Le mianzi, la clé sans laquelle il est impossible de faire des affaires en Chine<!-- --> | Atlantico.fr
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Le plus important : sauver les apparences. Pas toujours si simple...
Le plus important : sauver les apparences. Pas toujours si simple...
©Flickr / Damien

Good business

Avant d'aller faire des affaires en Chine, il semblerait qu'il faille intégrer le principe de "Mianzi"... Une idée qui consiste à toujours sauver les apparences lors d'un échange, même défavorable !

Pierre  Picquart

Pierre Picquart

Pierre Picquart est docteur en Géopolitique de l’Université de Paris-VIII, spécialiste en Géographie humaine, expert international, et spécialiste de la Chine.

Il a rédigé notamment La Chine dans vingt ans et le reste du monde. Demain, tous chinois ? en 2011.

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Atlantico : Le "Mianzi", cette idée qui consiste à toujours sauver les apparences lors d'un échange, semble être au cœur de toutes les négociations en Chine. De quoi s'agit-il réellement ?

Pierre Picquart : Effectivement, il est nécessaire de connaître certaines particularités du monde chinois pour mieux l’appréhender et pour réussir nos échanges quels qu’ils soient. Avec une grange richesse culturelle et une civilisation cinq fois millénaire, l’incompréhension de la culture chinoise pourra faire perdre des contrats aux Occidentaux, ou provoquer des incidents conséquents, voire des ruptures.

Il s’agit de prendre en compte[1] les traditions, l’influence des philosophies (taôisme, bouddhisme confucianisme), les rapports hiérarchiques, la position sociale, la culture du privé lié au collectif, l’honneur, la perception chinoise de l’espace et du temps, le socle des institutions (travail, famille, amis), les relations favorables, le principe de la réussite comme celui de la confiance, et également, bien entendu, le concept très important du « Mianzi».

Le Mianzi, (面子), c’est la “face”, c’est-à-dire l’apparence, l’identité sociale et la façon qu’une personne aura d’être perçue en société. Cette notion est capitale en Chine et ceci est valable pour tous les Chinois. La notion d’honneur dans la culture chinoise suppose l’honnêteté, le respect et la confiance (dans tous les domaines). Elle s’apparente à la réputation et à l’image que l’on peut avoir dans un groupe, d’où le principe essentiel de « ne pas perdre la face ».

« Ne pas perdre la face » et également « ne pas faire perdre la face » à une personne (ce qui est une manière indirecte de perdre la face soi-même en portant la responsabilité de la gêne causée, donc du préjudice) font référence à une valeur culturelle chinoise fondamentale.

Avez-vous des exemples concrets des applications du "Mianzi" dans les affaires au quotidien ?

Même si les Chinois paraissent dans la vie de tous les jours spontanés et très joyeux (voir impulsifs, Gaulois, ripailleurs, joueurs, donc non distants sauf si ils ont perdu ou peuvent perdre la face) les exemples peuvent fleurir dans toutes les occasions, dans tous les lieux et dans tous les domaines : vie amicale, rapports amoureux ou vie de couple, relations sociétales et professionnelles, échanges commerciaux et diplomatiques…

En Chine, cette « notion noble » est connue de tous. Elle fait référence par exemple à la tenue, ou à l’expression du visage (pour ne pas attirer l’attention ou éviter des méprises). Il s’agit aussi d’éviter des indélicatesses, des sentiments ou des remarques qui pourraient les amener – ou des collaborateurs – à perdre la face ou surtout faire perdre la face aux autres.

Même chez les Chinois les plus modernes, il est important de ne pas perdre la face. Pour qu’une négociation aboutisse, il faudra préserver l’illusion que les deux cotés sont victorieux. Cette coutume fait partie intégrante de l’histoire de la Chine, où les Chinois- qui restaient au même endroit- passaient leur vie avec les mêmes personnes : amis, relations, famille… 

Plus une personne à un rôle hiérarchique important, plus elle fera attention à son honneur et à sa face. Cette notion est indispensable aux Chinois pour s’affirmer dans leur pays. Dans tous les cas, il s’agira de préserver les bonnes relations, en évitant les conflits, y compris en aidant les autres à ne pas perdre la face. Cette notion de Mianzi et de « ne pas perdre la face » existent dans toutes les catégories sociales et concernent tous les âges, y compris les jeunes, les urbains, les riches, les classes moyennes, ceux qui vivent modestement, ou les plus pauvres. 

Douze indications relatives« Mianzi » :

√ Respecter l’interlocuteur, sa culture, son entreprise, sa famille, son environnement ;

√ Être ponctuel, et éviter des critiques ouvertes qui mettraient mal à l’aise l’interlocuteur ;

√ Éviter d’offrir un cadeau de même valeur à des personnes ayant un statut différent ;

√ Évitez de critiquer le pays de l’interlocuteur, d’être arrogant ou trop sérieux ;

√ Ne pas manipuler, ne pas se gausser ou se croire supérieur : essayer d’être juste ;

√ La parole et l’expression faciale conduiront à éviter le non ferme, ou à le montrer,

√ Saluer en premier le responsable et ensuite les autres personnes qui l’accompagnent ;

√ Éventuellement, ne pas répondre à une question qui déplait, donc trouver un prétexte ;

√ Communiquer si nécessaire de façon indirecte, afin d’éviter tout désaccord ou conflit ;

√ Être sincère, « présent », mais laisser faire la réflexion et donner du temps au temps ;

√ Les injonctions et les défis lancés seront compris comme un manque de respect ;

√ Amener les choses délicates en douceur : par une voie indirecte, avec subtilité, réflexion ;

√ Humour bienvenu avec effet garanti, s’il est amical et valorisant, donc sympathique ;

A titre d’exemple souvent les étudiants chinois posent peu de questions. Ils ne critiquent ou ne conteste pas l’enseignement. Nous sommes très loin de la révolution culturelle. Pourquoi ? Ce serait prendre le risque d’un défi dans le cas où le professeur ne pourrait y répondre. 

Le « Mianzi»sera utilisée en marketing, en B to B[1] et en B to C[2] : Parmi les enjeux : comment - dans la présentation d’un produit ou d’un service -, valoriser et donner de l’importance à leurs clients, à leurs familles… ? Il s’agira de renforcer le charisme et « la face » des interlocuteurs.

« L’honneur à la chinoise » se résume à la représentation que le Chinois veut projeter sur son interlocuteur. Les Chinois n’aiment pas perdre la face ! Il faudra même éviter de critiquer un employé devant les autres (vous-même, le patron, les employés et toutes les personnes présentes perdront la face). Il faudra même éviter dans les conversations le terme « erreur ». 

Ouvrir le discours ! La subtilité conduira à détourner le sujet, à trouver une stratégie, à proposer un autre ouvrage, une autre sortie, une autre piste commerciale à développer. Une simple petite remarque négative ou une suggestion mal comprise (au restaurant, en entreprise…), qui nous parait de bons sens – par exemple sur l’argent, un oubli, un retard ou un service non rendu– peut déstabiliser durablement une relation ou une situation. 

Bien sûr les Chinois sont pragmatiques, mais ils ne comprennent pas tous notre culture. Seuls des efforts, la patience, le conseil d’un ami chinois et le temps pourront dans 20 % des cas réparer une situation de "perte de la face"…. 

« Donnez-moi le temps de réfléchir », « Nous en discuterons plus tard «, « nous devons en parler avec le supérieur »… « Il est tard, nous en parlerons demain »… Les Chinois seront très sensibles à votre façon d’agir, et surtout ne pas perdre la face au regard d’un autre Chinois et d’un étranger. Vous n’allez pas déstabiliser l’ordre des choses, l’ordre social, l’harmonie, la société… 

Quelles peuvent-être les conséquences d'une méconnaissance de cette pratique ?

Les conséquences peuvent être redoutables mais dépendent des situations et des individus :

√ Rupture immédiate du contrat, de la relation, des rendez-vous, des contacts ;

√ « Silence radio » : c’est-à-dire, plus aucune nouvelle et distanciation entre les personnes ;

√ Syndrome dépressif de plusieurs jours pour la personne concernée par la perte de la face ;

√ Mutisme, perte de confiance… non réponse aux courriers, mails, messages… 

Les Français qui partent faire des affaires en Chine sont-ils suffisamment informés sur ces pratiques ? Comment se préparer ?

Bien évidemment, les Français et les Occidentaux en général ne sont pas du tout préparés ! C’est un concept bien difficile à appliquer pour ces derniers. Souvent, ils ne comprendront même pas pourquoi un « clash », une non réponse, ou un insuccès est intervenu ! De plus, les personnes chinoises concernées ne vous dirons jamais pourquoi… Elles se tairont, s’enfermeront dans le mutisme et seront absentes ou indifférentes. Elles vous rayeront mentalement de leur« carnet d’adresse ». Vous vous direz sans doute que c’est« incompréhensible » ou « pas de chance »… 

Cette valeur du « Mianzi»est difficile à gérer, car même en connaissant très bien la Chine et le peuple chinois, il est toujours possible de faire des erreurs car notre culture forte et différente est aussi individualiste, assez critique, judéo - chrétienne et cartésienne. Donc elle est différente sinon opposée, et dans les relations humaines, elle revient toujours au galop.

Donc, pour progresser, il faudra lire des ouvrages sur ce sujet, en discuter avec les Chinois qui parlent une de nos langues (ce n’est pas eux qui vous en parleront le premier), faire un séminaire, bien réfléchir sur cette question qui est capitale pour vivre et travailler avec les Chinois. 

Le "Mianzi" est-il seulement applicable aux affaires ?

Cette notion est tout autant valable pour le rôle que jouent les médias étrangers. A titre d’exemple, leurs manchettes sur la Chine étant mal ressenties par 99 % des Chinois. (Droits de l’homme, Tibet). Il en va de même en diplomatie (réévaluation du Yuan, appellation erronée de dictature). Il en sera de même pour les couples en amour, comme en amitié… Egalement en famille comme au bureau… Et au bar, comme dans la rue… Aussi au théâtre comme dans la salle de sport… 

On ne perdra pas la face ni celle de son pays. On ne fera pas perdre la face. Le Mianzi ! Tout se qui sera imposé ou posé en conflit sera rejeté immédiatement. Ce sont quelques idées pour comprendre l’importance de considérer nos propositions, écrits, critiques et suggestions au regard de la Chine. 

De quoi faire réfléchir nos commerciaux ou nos chroniqueurs sur l’impact (vis-à-vis des Chinois) de certaines de nos entêtes de journaux. Effet inverse garanti ! Les Chinois préféreront le conseil, l’astuce positive qui explicitera la situation concernée avec pédagogie. Le succès sera assuré ! 

Mais si vous aimez réellement un projet, une personne, un village ou ce pays, dites le sans détour. Les Chinois aiment de surcroit les compliments honnêtes et sincères. Les portes de la négociation, de la confiance, du partenariat et de l’avenir relationnel seront ouvertes.


[1]Ensemble des relations commerciales entre les entreprises et les professionnels (entreprises, commerce, artisanat, administration, milieu des affaires, professions libérales, associations…)

[2]Relations entre les affaires, les entreprises et le consommateur.

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