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Mgr Bernard Ginoux : « L’Eglise ne propose ni idoles, ni petites recettes de bien-être et c’est précisément pour cela qu’elle est essentielle »
©PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP

Rassemblements interdits

L’évêque de Montauban ne comprend pas pourquoi la célébration publique des messes restera interdite après le 11 mai, alors que l'eucharistie est un besoin essentiel des croyants.

Pauline de Préval

Pauline de Préval

Pauline de Préval est journaliste et réalisatrice. Auteure en janvier 2012 de Jeanne d’Arc, la sainteté casquée, aux éditions du Seuil, elle a publié en septembre 2015 Une saison au Thoronet, carnets spirituels.

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Mgr Bernard Ginoux

Mgr Bernard Ginoux

Mgr Bernard Ginoux est évêque de Montauban depuis 2007.

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Pauline de Préval : Le gouvernement a interdit la reprise de la célébration publique de la messe après le 11 mai. Comment avez-vous réagi à cette décision ?

Mgr Bernard Ginoux : Je n’ai pas compris, puisque tous les commerces rouvraient peu à peu. Cela me paraît un abus de pouvoir. L’Etat n’a pas se mêler de la manière dont nous vivons le culte. Il doit être garant de sa liberté. Or si on ne peut pas participer à l’eucharistie, où est cette liberté ?

Le ministre de l’Intérieur, monsieur Castaner, a déclaré que la prière n’a pas forcément besoin de lieu de rassemblement ». Après tout, en effet, est-ce que chacun ne peut pas lire l’Evangile chez lui et prier dans son for intérieur ?

Il est vrai qu’on peut prier partout. En ce sens, Monsieur Castaner a raison quand il parle de la prière, mais il oublie ou il connaît mal ce qu’est la foi catholique. Notre foi est nourrie par les sacrements et particulièrement par l’eucharistie. La messe n’est pas juste un rassemblement, une écoute de la parole de Dieu et de son commentaire, comme à la synagogue ou à la mosquée. A la messe, c’est le Christ lui-même passé le la mort à la vie qui se rend présent dans l’eucharistie pour que nous soyons nourris de sa présence et que nous la portions au monde. Le pain et le vin deviennent son corps et son sang. Le célébrant, au nom de l’église, accomplit ce que le Christ a demandé le soir du Jeudi Saint : « Faites ceci en mémoire de moi. Ceci est mon corps. Ceci est mon sang », c’est à dire la venue sur l’autel de la présence réelle du corps et du sang du Christ pour que nous le recevions : « Celui qui mange ma chair a la vie en lui ». 

L’eucharistie est donc un bien de première nécessité ?

Oui, c’est notre nourriture essentielle. Un besoin vital à la fois pour les fidèles et pour ceux qui célèbrent. Dans certains pays où la foi chrétienne est peu développée, des gens font des kilomètres pour aller communier. Beaucoup ont été martyrisés pour aller à la messe.

Pour pallier l’absence de célébration publique, certains prêtres ont pourtant célébré la messe devant une caméra. Pourquoi ne pas continuer ainsi ?

Comme vous dites, c’est un palliatif. Je le fais moi-même sur la chaîne YouTube de mon diocèse et beaucoup de gens s’en trouvent bien, mais cela ne suffit pas. Quand vous regardez un repas à la télévision, cela ne vous nourrit pas. De même, vous ne pouvez pas être nourri de l’eucharistie même si vous la suivez en direct. Nous, les prêtres, nous sommes au service non pas d’un Dieu virtuel, mais du Christ qui se rend réellement présent dans l’eucharistie. Lorsque je célèbre la messe, ce n’est pas moi qui agis, c’est le Christ. Et si je veux mettre les fidèles en communion avec lui, il faut qu’ils en vivent directement. Ma mission est de leur apporter la présence réelle. Zoom, WhatsApp, Skype, c’est bien, mais ce n’est pas la même chose que de serrer un être cher dans ses bras.

Est-ce que les prêtres n’auraient pas aussi un rôle à jouer aussi dans l’accompagnement des malades, des mourants et de leurs familles ? Alors qu’on assiste à un retour en force de la mort avec cette épidémie, jamais elle n’a été aussi escamotée, que ce soit dans les EHPAD ou lors des obsèques pratiquées en catimini …

Absolument. Personnellement, j’ai une expérience d’aumônier d’hôpital dans les années 1995-2000. J’ai donc vécu les grands moments du SIDA, la peur de malades, car on les croyait contagieux. On retrouve un peu la même chose aujourd’hui. C’est pourquoi j’ai dit aux prêtres et aux diacres de mon diocèse : allez auprès des malades. Portez-leur la communion. Donnez-leur le sacrement des malades. J’ai demandé aussi que les obsèques religieuses soient célébrées dans les églises et non pas seulement par une vague bénédiction au cimetière. Les familles avaient ainsi le réconfort d’une prière, d’un accompagnement, d’une présence de la parole de Dieu.  

Nous sommes dans une société qui a évacué la mort. Certains jeunes et même certains adultes n’ont jamais rencontré la mort, et lorsqu’ils la rencontrent, ils sont désemparés. Dans les EHPAD, on entretient les gens dans la même ignorance. Il y a trente ans déjà, les maisons de retraite ne faisaient pas connaître les morts survenues dans leurs établissements pour ne pas effrayer les autres, ce qui ne faisait en réalité que les plonger dans une anxiété plus grande. Il faut donc que nous retrouvions la mort. Il faut que nous retrouvions le sens de la vie et de la mort. D’abord, il faut que nous fassions comprendre aux gens que la vie a une fin et que cette fin, nous ne la décidons pas, contrairement à ce qu’on prétend aujourd’hui avec le suicide assisté. Mais pour nous, chrétiens, quand on annonce la mort, on annonce la résurrection. C’est pourquoi la présence des ministres de l’Eglise auprès des malades et des gens en fin de vie est essentielle. Elle est porteuse d’espérance : tout ne s’arrête pas là. La vie la continue. Ma vie sur la terre a été un passage, mais l’essentiel, c’est la vie qui vient. Cette épidémie a fait beaucoup de mal psychologiquement, car les gens ne voient plus d’avenir. Il faut leur dire que cet avenir est toujours là. Il est là ici, mais ici prépare demain, c’est à dire mon avenir éternel. C’est pourquoi, l’eucharistie est importante. Quand je vis l’eucharistie, je vis à la fois la mort du Christ et sa résurrection. Je reçois la nourriture pour la vie éternelle.

Comment expliquez-vous que ce message d’espérance soit si peu entendu ? Tout se passe comme s’il n’y avait pas d’autre choix, en cette période de crise, qu’entre le scientisme et la pensée magique, à la Greta Thunberg ou Nicolas Hulot. Au Brésil, par exemple, c’est à Greta Thunberg que certains maires d’Amazonie font appel pour les sauver de l’épidémie…

Quand il n’y a plus Dieu au cœur de la société, il reste la dynamique de la pensée scientifique où l’homme se fait Dieu. Et comme on a besoin de sens, on se crée des idoles. Greta Thunberg est une idole. Ou alors, on se trouve des petites recettes de bien-être. Et cela, l’Eglise ne peut pas le donner. Elle ne promet pas le bonheur immédiat. La difficulté qu’elle a, c’est que l’acte de foi ne peut pas rester au niveau du sentiment. Or pour beaucoup de nos contemporains, c’est le sentiment qui guide tout. 

Tout de même, est-ce que ce n’est pas un constat de faillite pour l’Eglise, incapable d’apporter des réponses fortes à notre temps ? Car si les gens adhèrent à ces idoles, comme vous dites, c’est qu’elles répondent à des besoins non comblés…

Notre témoignage est sans doute imparfait, mais il y aussi des exigences de vie, des exigences d’amour concrètes, l’exigence de passer de la parole aux actes qui paraissent décalées aujourd’hui. Nos contemporains vivent dans le virtuel. J’entends beaucoup de voix s’élever pour appeler un monde meilleur. Mon expérience d’aumônier d’hôpital m’a appris que beaucoup de gens disaient quand ils étaient malades : « Si je m’en sors, rien ne sera jamais plus comme avant. Je vais changer ma vie ». Mais à la sortie, très peu changeaient réellement. L’être humain est ainsi fait. Ce monde meilleur que certains appellent de leurs voeux ne pourra advenir que s’il y a quelque chose qui transcende nos petits égoïsmes et si nous passons de la parole aux actes. Il ne suffira pas de dire : « Il faut sauver le monde ». Quelle prétention, d’ailleurs. Pour moi, je ne connais comme sauveur que le Christ. Et il faut se lever de bonne heure pour être le Christ. Etre chrétien, ce n’est pas seulement lire la parole de Dieu et se dire c’est bien, c’est beau. C’est s’y engager. D’où l’importance pour les prêtres du témoignage. C’est ce que j’ai fait avec les gilets jaunes. Et c’est aussi sans doute ce qu’il faudra faire face à la crise économique qui s’annonce.  

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