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Les mentalités ont changé : on ne manque pas d’entrepreneurs en France, mais d’investisseurs
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Start me up

L’Insee publie ce mercredi les chiffres des créations d’entreprise en France au mois de mai. Avec des ingénieurs fortement qualifiés et des coûts salariaux compétitifs, la tendance en terme de créations de start-ups est en hausse. Mais certains problèmes demeurent...

Pierre  Kosciusko-Morizet

Pierre Kosciusko-Morizet

Pierre Kosciusko-Morizet est un entrepreneur. Il est diplômé de HEC. En 2000, il co-fonde le site Price Minister qui est lancé en 2001 sur la toile. En 2008, il devient le président de l'Association pour le commerce et les services en ligne (ASCEL). Il est également un des deux présidents de l'Association des services Internet communautaires (ASIC).

Il a aussi co-fondé le fond investissement des entrepreneurs de l'Internet : ISAI

 

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Atlantico : L’Insee a publié ce mercredi ses chiffres sur les créations d’entreprises pour le mois de mai (-0,9%). Sur un an, celles-ci ont diminué de 4,5%. Quel risque pour la France de se passer d’entrepreneurs en période de crise ?

Pierre Kosciusko-Morizet : Cette baisse de créations d’entreprises pèse sur les maillons de l’économie française dans la mesure où les PME constituent la base de la chaine économique de notre pays. Ce sont elles qui créent des emplois et qui alimentent les grandes sociétés en les fournissant. Mais tous les secteurs ne sont pas touchés de façon similaire.

Pour ma part, j’investis essentiellement dans le secteur Internet et je remarque que la tendance en terme de créations de start-up est clairement à la hausse, un signe très positif donc. Malheureusement, la situation est très inquiétante dans les autres domaines d’autant plus que les chiffres du chômage sont déjà très mauvais. En effet, ce ne sont pas les grands groupes qui vont générer des emplois mais les nouvelles entreprises.

La plupart des entreprises créées en France disparaissent rapidement ou ne parviennent pas à atteindre une taille critique. Comment expliquer ce phénomène ?

Les grandes entreprises françaises ne se tournent pas assez vers les petites entreprises. Pour grossir, il faut soit qu’une grande entreprise vous passe commande, soit lever des fonds importants. Sur ce dernier point, notons que l’hexagone fait face à un déficit notable d’investisseurs, un facteur très handicapant pour le développement.

Aussi, les entrepreneurs français devraient être plus ambitieux et viser des objectifs de croissance aux niveaux européen et mondial. Par exemple, nos entreprises ne sont pas assez numérisées. Ainsi, les PME vendant sur internet sont moins nombreuses en France qu’en Allemagne ou qu’au Royaume-Uni alors qu’il s’agit pourtant d’un très bon moyen d’exporter. La France est trop tournée vers elle-même.

A l’inverse, certains pays de petites superficies n’ont pas le choix et regardent dès le départ vers le reste du monde afin de s'émanciper de leurs marchés trop locaux. Israël en est un parfait exemple puisque nombre d’entreprises technologiques naissent et deviennent globales rapidement. Certains pays comme les Etats-Unis ou la Chine disposent au contraire de marchés si grands qu’une entreprise tout juste créée grossit plus vite et profite de financements considérables pour se développer à l’étranger.

Mais outre ces facteurs de nature macro-économique, la peur du risque est encore trop importante en France ce qui se traduit par de plus faibles créations d’entreprises, moins d’exportations et des levés de fonds plus lentes. Il faudrait davantage parler de croissance, de développement et de conquête...

Le financement des jeunes entreprises innovantes n’est-il pas un obstacle majeur en France ?

Le premier fait marquant en terme de financement est culturel et renvoi encore à cette « culture du risque » : la France manque de Business Angels, des particuliers prêts à investir dans des sociétés qui démarrent. Nous investissons trop dans l’assurance vie afin de sécuriser nos actifs alors que les Américains détiennent un réseau de Business Angels bien plus étendu.

Pourtant, nous sentons un changement notamment depuis la loi TEPA qui, en permettant une défiscalisation de l’ISF ou de l’impôt sur le revenu par l’investissement dans des jeunes sociétés, a eu un effet positif. Mais soyons honnêtes, le retard est en encore important vis-à-vis des anglo-saxons... De même, il n’y a pas assez de fonds d’investissement, la législation en vigueur n’étant pas assez favorable ou stable.

Enfin, la bourse française ne valorise pas assez les entreprises et nos groupes restent trop peu agressifs. En effet, un investisseur est prêt à prendre une participation s’il sait qu’il pourra la céder à un fond d’investissement, un industriel ou... en bourse. Sur ces trois scénarios, les portes de sortie sont encore trop peu nombreuses, un facteur très pénalisant.

Est-ce pour ces mêmes raisons que vous avez vendu Price Minister à Rakuten, une entreprise japonaise, en 2010 ?

Effectivement. Nous avons voulu entrer en bourse en 2008 mais la crise financière nous a bloqués.

Aussi, nous n’étions pas assez axés vers l’international pour intéresser les fonds étrangers et leurs homologues français ne présentaient qu’un faible intérêt pour nous. Ils ne souhaitaient pas nous acheter pour nous aider à nous développer. A l’inverse des acquéreurs étrangers qui avaient des ambitions beaucoup plus importantes...

Nombre d’entrepreneurs quittent la Silicon Valley estimant que celle-ci est devenue « ultra concurrentiel » (pénurie de main d’œuvre qualifiée, salaires exorbitants, volatilité des ingénieurs...). Quels sont les atouts de la France ?

Plusieurs facteurs m’incitent à être en France. Nos ingénieurs sont de très bon niveau et le crédit impôt recherche les rende encore plus compétitifs en terme de coûts salariaux. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que Google ou Microsoft ont ouvert des bureaux de recherche et développement à Paris. Cependant, la baisse du coût du travail depuis dix ans en Allemagne a permis à Berlin de devenir la capital High-tech de l’Europe alors que cela aurait du être Paris.

Mais l’instabilité fiscale qui caractérise la France est très problématique. Par exemple, le crédit impôt recherche est régulièrement remis en cause que se soit d’un gouvernement à l'autre ou au sein d'un même gouvernement. Lorsqu’une mesure est adoptée, il devient alors difficile pour un entrepreneur d'avoir de la visibilité quant à sa durée d'application et de mise en vigueur.

Start In Paris, MashUp, Apéros Entrepreneur... Pouvons-nous parler d’une nouvelle génération de jeunes ayant ce rêve d’entreprendre ?

Sans hésiter ! J’ai créé ma première entreprise en 1998, puis Price Minister en août 2000. En l’espace de deux ans déjà, l’idée de créer une entreprise était devenu de plus en plus crédible dans les mentalités. Depuis, ce phénomène n’a pas arrêté de se développer.

Etant professeur à HEC, je vois beaucoup d’étudiants pour lesquels créer une entreprise est devenu un rêve alors que nous ne parlions que de banques d’affaires et de fonds d’investissement auparavant. En l’espace de dix ans, les choses ont donc beaucoup changé en France. D’ailleurs, à l’heure actuelle nous ne manquons pas d’entrepreneurs mais surtout d’investisseurs. Beaucoup trop de dossiers n’arrivent pas à se financer et la difficile situation économique actuelle fait qu’il n’y a que peu de grosses transactions en ce moment.

Mais restons positifs. Les Business Angels sont de plus en plus nombreux d’autant plus que les entrepreneurs ayant vendu leurs entreprises Internet réinvestissent l’essentiel de ce qu’ils ont gagné dans ce secteur.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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