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Mémoire à court terme, mémoire à long terme : patatras, ce que les neuro-scientifiques pensaient savoir depuis 50 ans était faux
©Flickr/IsaacMao

Bonne mémoire

Les scientifiques du MIT et de l'Institut Riken de recherches au Japon ont fait de nouvelles découvertes sur le fonctionnement de la mémoire. Ce que l'on appelle mémoire à court terme et mémoire à long terme ne sont pas indépendantes mais liées. De nouveaux espoirs peuvent apparaître dans la traitement de certaines maladies.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Atlantico : Des chercheurs de l'Université du MIT en association avec l'Institut de recherche Riken au Japon a publié dans la revue Science une nouvelle étude sur le fonctionnement de la mémoire. Les résultats montrent que la mémoire a court terme et la mémoire à long terme ne serait pas indisociable ? Que nous apprend elle exactement ? 

Jean-Paul Mialet : « J’ai toujours eu une très bonne mémoire », ou au contraire « Je n’ai plus de mémoire » : ces constats familiers témoignent de la conception unitaire que nous avons de la mémoire. Au fond, il nous semble que la mémoire est un simple tiroir que l’on remplit  de souvenirs comme on peut (parfois incidemment, sans effort ; parfois au prix de répétitions laborieuses) et qui s’ouvrira et ramènera à la conscience les souvenirs au moment d’une remémoration occasionnelle (la madeleine de Proust) ou volontaire (les étudiants au moment de l’examen). Cette vision de la mémoire comme une capacité de stockage unique a été remise en cause par les observations des neurologues sur des patients cérébro-lésés, et par les recherches de la psychologie expérimentale sur la mémoire. 

Pendant longtemps, un modèle a prévalu, celui d’une mémoire en deux étapes: la mémoire à court terme et la mémoire à long terme. A l’origine de cette perspective, le célèbre patient HM, l’un des patients les plus fameux des neurosciences, examiné pendant cinq décades et objet de multiples publications. A la suite d’un accident de bicyclette survenu dans sa jeunesse, HM avait développé des crises d’épilepsie totalement invalidantes. A 27 ans, il fut décidé de procéder à une ablation chirurgicale d’une structure cérébrale profonde, l’hippocampe, qui paraissait être à l’origine des crises. Efficace pour l’épilepsie, le traitement laissa de profondes séquelles sur la mémoire de HM. Il oubliait à mesure les évènements qu’il venait de vivre, se trompait sur son âge, ne retenait pas les noms des personnes qu’on lui présentait et décrivait son état comme s’il « s’éveillait d’un rêve (…) chaque jour est nouveau ». En revanche, les souvenirs anciens, de même que les fonctions perceptives et intellectuelles étaient préservés. Cette découverte mettait fin à une conception de la mémoire qui en faisait une fonction intégrée au fonctionnement cognitif global et répartie dans l’ensemble du cortex : elle apportait la preuve que certaines structures cérébrales étaient spécialisées dans la rétention du souvenir. Et elle révélait de plus la coexistence de deux formes de mémoire : une mémoire à court terme dépendant de l’hippocampe, et stockant les événement immédiats ; une mémoire à long terme gardant les souvenirs de façon durable, qui mettait en jeu le cortex préfrontal et semblait n’intervenir qu’à la suite de l’activation de l’hippocampe.

Récemment, des chercheurs du Riken MIT travaillant sur des souris ont été capables d’identifier les neurones qui « engramment » certains souvenirs : l’engramme correspond à la transformation de l’état du neurone correspondant à la trace de l’événement stocké. Ils ont de plus développé une méthode permettant d’activer (« on ») ou d’inhiber (« off ») ces engrammes cellulaires. Puis ils ont utilisé un choc électrique dont ils ont suivi les traces neuronales. Une journée après le choc, la souris avait des engrammes identifiables dans le circuit à court terme, l’hippocampe, et dans le circuit à long terme, le cortex préfrontal. Le point critique est le suivant : si l’on met en silence (« off ») le circuit hippocampique, la souris ne se rappelle plus le choc. Le circuit à long terme est lui–même spontanément en silence. Or, si l’on active (« on ») le circuit à long terme, la souris se souvient du choc. Ainsi, une version du souvenir existe déjà dans la mémoire à long terme et elle a été crée simultanément à l’événement, en même temps que le stockage à court terme.

En quoi les chercheurs se trompaient-ils lorsqu'ils pensaient que les mémoire a court et long terme étaient séparées ? 

Les deux mémoires ne sont donc pas des réservoirs distincts travaillant en cascade l’un derrière l’autre mais des activations simultanées de circuits différents. Elles correspondent plutôt à deux formes de mémoire qui se complètent l’une l’autre. Ce renouvellement des perspectives est sans doute plus fidèle à la complexité des processus de mémoire, que l’observation fine d’un psychologue du début du siècle dernier, Ewald Hering, décrivait comme la force de lien et d’unification grâce à laquelle notre conscience évitait la fragmentation : « La mémoire rassemble en un tout les innombrables évènements de notre existence ».  Mémoire à court terme et mémoire à long terme travaillent donc la main dans la main. La mémoire à court terme recueille les détails et le contexte vivide de l’événement ; la mémoire à long terme stocke des traits pertinents pour la conduite – en quelque sorte, elle tire la leçon de l’événement comme, dans le cas de la souris : cette boîte (celle du choc) = Danger. Le psychologue belge Axel Cleeremans, spécialiste de la mémoire, donne cet exemple du fonctionnement coopératif des deux mémoires : lorsque vous parquez votre voiture, la mémoire à court terme vous permet de retrouver l’endroit spécifique où vous l’avez garée, la mémoire à long terme vous guide dans les rues où vous avez le plus de chance de la parquer en tenant compte de votre expérience.

Quelle pourrait être l'application de ces résultats dans le traitement médical de patients souffrant de problèmes au cerveau ?

Kitamura, l’auteur de l’article de Science, observe que les engrammes cellulaires changent de statut spontanément au cours du temps : les engrammes hippocampiques passent de l ‘activité au silence et les engrammes préfrontaux du silence à l’activité. Et il souligne : mieux connaître les processus qui inactivent ou activent les engrammes pourraient aider à traiter certains troubles. Il y a là en effet une piste prometteuse pour améliorer les défauts de mémoire à court terme des amnésiques, notamment les dysfonctionnements rencontrés dans la maladie d’Alzheimer, ou, au contraire, délivrer certains hypermnésiques comme les syndromes de stress post traumatique, de l’accaparement de leur mémoire par le souvenir obsédant. Plus généralement, toutes les avancées dans la mémoire nous permettent également de progresser dans les questions posées par la conscience et peut être, de parvenir à mieux soulager ceux dont la conscience est tourmentée par l’irruption de représentations angoissantes. 

Quid de l’émotion dans la mémoire ?

Ajoutons une correction, au risque d’alourdir le propos. Une autre structure cérébrale profonde est impliquée dans ces souvenirs : c’est le noyau amygdalien. Pour simplifier, j’ai préféré l’ignorer jusque là, car on en parle peu dans les travaux sur la mémoire. Toutefois, le chirurgien de HM avait fait observer que son intervention avait détruit non seulement l’hippocampe, mais aussi l‘amygdale. Or l’amygdale est une structure impliquée dans l’anxiété, l’apprentissage de la peur et peut être la détection du plaisir. C’est donc une structure essentielle pour la tonalité émotionnelle du souvenir qui a disparu chez HM en même temps que son hippocampe. Or, les souris de Kitamura conservent un souvenir « amygdalien » du choc qui doit être distingué de l’activité de l’hippocampe : les engrammes cellulaires de l’amygdale qui encodent la peur du choc restent actives alors même que l’hippocampe est devenu silencieux. Tout en ouvrant de nouvelles perspectives, les recherches actuelles sur la mémoire s’éloignent donc de perspectives simplistes qui réduisaient autrefois le souvenir à un simple ensemble d’informations neutres, les unes éphémères et les autres durables, traitées par des structures cérébrales définies. Or, la complexité du souvenir chez la souris et de la circuiterie cérébrale qui le sous-tend n’est qu’un aperçu modeste de la complexité de la mémoire de l’humain, sensible à bien d’autres émotions que la souris. A titre d’exemple, gageons que l’on n’est pas près de comprendre les mystères de la mémoire sélective de l’être humain, un phénomène ordinaire et pourtant si irritant dans sa subjectivité !

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