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Mauvaise passe pour l’Iran dans sa stratégie de contrôle du Moyen-Orient
©ATTA KENARE / AFP

Peu efficace

Alors que l'Iran semble engranger les victoires politiques et gagner en influence au Moyen-Orient (Irak, Syrie…) la république islamique a du mal à convertir ses succès en véritable vision socio-économique.

Clément Therme

Clément Therme

Clément Therme est chercheur associé à l'Institut universitaire européen de Florence. Il a notamment dirigé l’ouvrage L'Iran et ses rivaux. Entre nation et révolution aux éditions Passés composés (2020).

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Atlantico : Alors que l'Iran a pu étendre son influence en Irak et en Syrie et que la guerre au Yémen s'enlise au détriment de l'Arabie Saoudite, Téhéran se présente plus que jamais comme la puissance majeure au Moyen-Orient. A quel point cette mainmise sur la région est-elle solide ?

Clément Therme : Il y a souvent cette idée que l’Iran aurait des ambitions « hégémoniques », voire « impériales » sur la scène régionale. Cette dimension « nationaliste » ou « impériale » attribuée à l’Iran se confond, en particulier dans le monde arabe, avec celle, révolutionnaire, de la République islamique. Pourtant, si dans le discours politique à usage interne on a vu émerger un islamo-nationalisme au début des années 90, force est de constater que dans les mondes musulmans, la République islamique s’efforce de mettre en avant la face religieuse islamique de l’identité du régime plutôt que la dimension nationale. Bien sûr, dans l’imaginaire des élites politico-religieuses les deux se confondent, mais ce discours est désormais contesté, avec les manifestations contre le régime (2009 puis 2017-2018) et à l’extérieur où les communautés soutenues par la République islamique renvoient souvent les religieux iraniens à leur identité ethno-nationale, que ce soit en Irak, dans le golfe Persique, au Pakistan ou en Afghanistan. A cette fragilité idéologique sur la scène politique interne et externe de la politique régionale de Téhéran depuis 1979 s’ajoute le risque d’effondrement économique qu’elle implique. En effet, le régime de sanctions économiques contre l’Iran mise en œuvre par Washington est en partie fondé sur la nature « terroriste » des réseaux d’influence khomeynistes au Moyen-Orient et plus largement dans les mondes musulmans. Pour 2019, selon le FMI, la récession en Iran devrait atteindre près de 9,5% soit une réduction de près d’un dixième de la richesse du pays…

De plus, après le retrait américain de l’accord sur le nucléaire du 14 juillet 2015, en 2018, l’Iran a un temps tenu ses engagements, avant de changer de ligne au mois de mai 2019, faisant craindre un embrasement. Un risque qu’a renforcé l’attaque du 14 septembre 2019 sur des installations pétrolières saoudiennes, imputée à Téhéran par les États-Unis et l’Arabie saoudite. La situation géostratégique de tensions militaires accrues au Moyen-Orient est essentiellement liée au retrait américain de l’accord sur le nucléaire iranien. Cette décision a créé les conditions d’une confrontation militaire potentielle avec la République islamique : en déclenchant une confrontation économique avec elle, en prenant des mesures qui conduisent à tenter de réduire à zéro les exportations pétrolières iraniennes, les États-Unis ont pris le risque d’un affrontement militaire avec Téhéran. Sur le plan économique, l’Iran n’a pas les moyens de rivaliser avec Washington avec des exportations pétrolières qui se situent entre 200 000 et 400 000 barils par jour au mois d’octobre 2019.

L'Irak il y a quelques semaines et désormais le Liban sont en proie à des soulèvements populaires de très grande ampleur, réclamant des réformes, notamment sur le plan économique. La stratégie d'influence iranienne, efficace pour amener au pouvoir des régimes pro-Téhéran, propose-t-elle un système socio-économique pérenne dans la durée pour les pays concernés ?

Il n’existe pas de modèle d’ « économie islamique » positif proposé par la République islamique que ce soit au Liban ou en Irak. Par ailleurs le modèle théocratique iranien n’est pas pertinent dans des sociétés diverses et multiconfessionnelles où les citoyens chiites ne constituent une écrasante majorité de la population. Cette fusion théologico-politique (théorie de la tutelle du juriste-théologien, velayat-e faqih) n’est d’ailleurs revendiquée que par une minorité des chiites au Moyen-Orient. Enfin, la mauvaise santé de l’économie iranienne ne permet pas à l’Iran de faire rêver les populations de la région puisque la jeunesse iranienne elle-même rêve d’exil et reste majoritairement fascinée par la réussite économique occidentale en général et le succès économique américain en particulier. En revanche, les réseaux d’influence iraniens se nourrissent idéologiquement des sentiments anti-américains qui sont très présents dans la région en raison notamment des erreurs de la politique étrangère américaine (guerre d’Irak en 2003, retrait de l’Accord sur le nucléaire en 2018 ou abandon des Kurdes en 2019). A cela s’ajoute le cynisme de l’Occident en matière de droits de l’homme comme le montre les ventes d’armes de Washington, Paris ou Londres qui alimentent le conflit au Yémen et contribuent au désastre humanitaire dans ce pays. Autrement dit, le soft power iranien se nourrit plus des contradictions occidentales avec notamment leurs alliances avec les régimes autoritaires du Golfe qui signent la fin du discours sur les « valeurs » dans la politique étrangère des Etats démocratiques que sur l’exportation d’un « modèle socio-économique » vertueux que l’on pourrait appliquer aux autres pays de la région.

Qui pourrait bénéficier d'une perte d'influence de Téhéran dans la région ?

La contestation populaire contre l’influence iranienne au Liban ou en Irak doit se comprendre dans le contexte de deux systèmes politiques clientélistes au sein desquels les alliés politiques de Téhéran sont très puissants. Cette influence sécuritaire de Téhéran est aujourd’hui remise en cause par la « rue arabe ». Cela ne doit néanmoins pas faire oublier qu’une partie significative des services de sécurité des deux pays sont dans une relation de connivence avec Téhéran. Il y a des récits insistant alternativement sur l’augmentation ou le reflux de l’influence iranienne au Moyen-Orient depuis 2003 et la guerre d’Irak mais surtout depuis les printemps arabes de 2011. Mais c’est d’abord l’affaiblissement des Etats arabes qui a permis à l’Iran de développer ses réseaux d’influence. Cela ne signifie pas pour autant que l’Iran est une puissance « hégémonique » au Moyen-Orient. En effet, la principale faiblesse de la politique régionale iranienne n’est pas liée à l’évolution du contexte régional mais plutôt à son coût économique exorbitant et à son impopularité auprès de l’opinion publique iranienne. Ainsi, la question est plutôt de savoir jusqu’à quant la population iranienne va accepter le jeu à somme nulle proposer par les autorités de la République islamique entre une stabilité qui serait fondée sur ces réseaux d’influence au Moyen-Orient et le développement socio-économique du pays.

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