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Mauvaise alimentation : voilà pourquoi un retour aux régimes ancestraux est préférable que l’adoption du régime mondial recommandé par les autorités
©Essa Ahmed / AFP

Dysnutrition

La revue médicale The Lancet prétend qu'un décès sur cinq dans le monde serait évitable en s'alimentant mieux. Toutefois de sérieuses limitations méthodologiques restreignent la portée de la publication.

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze

Guy-André Pelouze est chirurgien à Perpignan.

Passionné par les avancées extraordinaires de sa spécialité depuis un demi siècle, il est resté très attentif aux conditions d'exercice et à l'évolution du système qui conditionnent la qualité des soins.

Voir la bio »

Atlantico : Quelles maladies et carences provoquent ces régimes alimentaires non-équilibrés ? De quoi meurent les victimes de cette mauvaise alimentation ?

Guy-André Pelouze : Manger tue: nouvel épisode. Le Lancet (https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736%2819%2930041-8/fulltext) s’est engagé cette année à nous en convaincre par des articles qui prêchent le même remède pour tous les terriens (https://www.atlantico.fr/decryptage/3565176/eat-l-initiative-mondiale-qui-voudrait-nous-voir-adopter-le-meme-regime-alimentaire-partout-sur-la-planete--absolue-necessite-ou-fausse-bonne-idee--guy-andre-pelouze) mais il n’est pas sur que la méthode soit efficace. Pourquoi? De sérieuses limitations méthodologiques restreignent la portée de cet article.

Parlons de dysnutrition plutôt que de régimes mal-équilibrés ou sous optimaux

Il faut tout d’abord revenir sur une définition. Oublions définitivement le qualificatif équilibré pour l’alimentation car il n’a qu’un sens: ne changez rien, mangez un peu de tout. C’est totalement faux car cela revient à dire que dans un environnement urbanisé, avec un accès limité à des produits frais mais par contre un accès illimité à tous les produits industriels il serait parfaitement possible de manger sainement à condition d’équilibrer le caddie. Les auteurs ont dans cet article conceptualisé le régime “sous optimal”. Or ce qui caratérise nos générations depuis au moins la fin de la deuxième guerre mondiale c’est un niveau de dysnutrition croissant. Qu’est ce à dire? Les produits alimentaires sont très loin des aliments que nous avons consommé depuis le début de l’humanité au paléolithique et ensuite après la révolution de l’agriculture au néolithique. De plusieurs points de vue ils sont assez inadaptés au fonctionnement métabolique de notre organisme mais aussi à la prévention des grandes maladies chroniques. C’est cette inadaptation qui génère une dysnutrition.

Les données de cet article ne sont pas issues d’un étude nouvelle.

Il faut d’emblée préciser qu’il ne s’agit pas d’une étude au sens expérimental ou clinique du terme mais d’une analyse de plusieurs études déjà publiées. Ce n’est ni une étude épidémiologique d’observation, ni une étude interventionnelle, ni même une méta-analyse. Cette analyse est une compilation d’estimations des habitudes alimentaires des différents pays pour déterminer dans quelle proportion le régime alimentaire abrège la vie. Cette étude s’est intéressée à la compilation de données concernant 195 pays. En 2017, les auteurs affirment que 11 millions de décès (sur un intervalle d'incertitude de 95% [UI] 10–12) et 255 millions (234–274) de DALY étaient attribuables à des facteurs de risque liés à l'alimentation. Un apport élevé en sodium (3 millions [1–5] décès et 70 millions [34–118] DALY), un faible apport en céréales complètes (3 millions [2-4] décès et 82 millions [59-109] DALY), et une faible consommation de fruits (2 millions [1-4] de décès et 65 millions [41–92] DALY) sont d’après eux les principaux facteurs de risque de décès et de DALY dus à l’alimentation dans le monde et dans de nombreux pays. Les auteurs reconnaissent que ces données sur l'alimentation proviennent de sources diverses et que n’étant pas disponibles pour tous les pays, l'incertitude statistique des estimations est sensiblement augmentée.

Les données des études choisies sont très incertaines.

Curieusement l’accent est mis sur de soi-disants nouvelles causes de mortalité ce qui conduit à rétrograder le tabac, et l’obésité. Parlons d’autre chose. C’est très suspect a priori pour des raisons factuelles: le tabac est facilement traçable (la question est simple et s’accompagne du nombre de cigarettes fumées par jour) et sa responsabilité facilement mesurable (le cancer du poumon mais aussi d’autres cacncers, les maladies coronariennes graves et l’insuffisance repiratoire qui conduit à l’oxygénothérapie). Les 7-8 millions de morts annuels sont certains et probablement sous estimés. L’obésité est facilement traçable (il suffit d’une balance) facilement mesurable (il suffit de faire une règle de trois IMC = Poids/Taille²) et sa responsabilité facilement mesurable. Les 4-5 millions de décès par an dus à l’obésité sont certains et probablement sous estimés. En revanche cette analyse de nombreux facteurs de l’alimentation présente une grande faiblesse: comme chacun le sait les aliments naturels sont très variés, les produits industriels de composition très différentes et notre mémoire des aliments consommés très biasée sur les aliments ingérés eux mêmes et leur quantité. Or toute l’analyse est basée sur des études observationnelles dont la clef de voute est un questionnaire alimentaire. Dans de nombreux cas il s’agit d’un questionnaire rempli par le patient a posteriori (de mémoire) et avec une fréquence assez faible tout au long de l’étude… Est-ce que le critère de “Poor quality diet”, une “alimentation de mauvaise qualité”, est facilement détectable, mesurable? À l’évidence non car les variations sont infinies. Il est impossible de les lister mais on peut souligner: l’imprécision du traitement des aliments, frais, cuits suivant différents modes, raffinés (céréales) ou encore produits industriels n’ayant plus de matrice alimentaire mais par contre beaucoup d’ingrédients non pris en compte. D’une part la classification est arbitraire voire politique comme par exemple la question des produits animaux. De même les seuils de quantité sont très arbitraires et donc difficiles à analyser dans des études de population. Le tableau N°1 résument cette analyse pour trois aliments jugés par les auteurs comme reponsables du plus grand nombre de morts dans le monde.


Caractéristique du régime alimentaire

Définition

Niveau “optimal” de consommation (plage optimale de consommation)

Type de preuves et commentaires

Riche en sodium

Sodium urinaire des 24 h exprimé en g/j

3 g (1–5)/j

Ne concerne que certains pays de forte consommation, à noter qu’a contarrio une consommation faible augmente le risque.

Faible en fruits

Consommation moyenne par jour de fruits (fruits frais, congelés, cuits, en conserve ou séchés, à l'exclusion des jus de fruits et des fruits salés ou marinés)

250 g (200–300)/j
Les français mangent en moyenne 140 g/j de fruits.

La définition adoptée  est trop vaste pour être utile car par exemple les fruits en conserve perdent une partie de leur contenu vitaminique et phénolique (http://ucce.ucdavis.edu/files/datastore/234-779.pdf) et les fruits séchés sont très riches en sucres ce qui peut fausser les études d’association avec la mortalité.

Faible en céréales intégrales

Consommation moyenne quotidienne de céréales entières, c’est à dire intégrales (son, germe et endosperme dans leur proportion naturelle) à partir de céréales de petit déjeuner, pain, riz, pâtes, biscuits à levure chimique, muffins, tortillas, pancakes et autres sources

125 g (100–150)/j

Nous ne savons pas combien les français consomment de céréales par jour ni combien de céréales complètes. C’est environ 250g/j de céréales et féculents selon l’étude INCA2 (https://www.anses.fr/en/content/detailed-results-inca-2-study). D’après la seule étude disponible les adultes français consomment 9 g/j en moyenne.

1/ Cette recommandation est faible en terme de preuves
2/ Très difficile à appliquer car les céréales brutes ou les produits à partir de farine intégrale sont rares

3/ Inapplicable chez toutes les personnes qui ont un intestin irritable, un Crohn, une RCH, une maladie coeliaque

4/ En revanche comme l’immense majorité des amidons consommés par les français sont raffinés il est important de confirmer cette recommandation par des études interventionnelles avant de la valider


Tableau N°1: les trois associations “responsables” de plusieurs millions de morts dans le monde sont de peu d’intérêt pour la France.


Prenons un exemple: le sel

Compte tenu de l’extrême disparité des consommations à travers le monde nous voilà repartis sur une fausse piste. En dehors de la quantité i y a l’origine du sel. Les américains consomment beaucoup de sel dans les produits industriels alors que les chinois salent beaucoup leur préppartions culinaires à la maison. Le sel comme le cholestérol est un marqueur facilement mesurable et dans le cas du sel c’est celui de la prépondérance en général de … produits industriels dans votre alimentation! Dès lors est ce le thermomètre qui tue ou bien la dysnutrition consécutive à une alimentation faite de produits industriels et très peu d’aliments entiers, frais et pas ou peu transfomés? Cette analyse ne permet pas de le dire.


Figure N°1: Apports en sodium par pays, pour les adultes, moyenne des deux sexes, en 2010. (A) Apports moyens en g/j et (B) incertitude relative des données. Pour simplifier plus les pays apparaissent en gris foncé plus l’incertitude est grande. Les faits confirment l’extrême disparité des consommations de sel en fonction des pays, c’est pourquoi il n’est pas possible d’uniformiser les recommandations concernant le sel. Il est dangereux d’inciter les européens à consommer moins de sel car ils font partie des populations qui en consomment peu et que dans ces conditions susciter une obsession anti-sel peut au contraire nuire à la santé! (https://bmjopen.bmj.com/content/3/12/e003733.full)


J’ai dans Atlantico analysé dans deux articles l’absence de preuves solides de cette croisade contre le sel notamment en France où la consommation est alignée avec les recommandations (https://www.atlantico.fr/decryptage/3483678/dose-sel-conseillee-quotidiennement-doubler-selon-2tude-voila-pourquoi-c-est-important-pour-votre-sante-guy-andre-pelouze) (https://www.atlantico.fr/decryptage/3047311/sante-nouvelles-etudes-suggerent-bonne-partie-ce-que-nous-pensions-savoir-sel-faux-guy-andre-pelouze). Dans ces conditions annoncer que le sel tue 3 millions de personnes ne concerne que les pays où la consommation de sel est très élevée et la carte de la figure 1 donne la géographie de cette consommation. C’est un peu comme dire que la pollution aux particules fines tue X millions de personne et s’acharner à taxer ceux qui en produisent le moins au prétexte de faire quelque chose! Pour le sel ce type de slogan ne peut que conduire les européens ou les français à une obsession anti sel au nom du très faux adage moins on en mange mieux c’est… Il faut redire que c’est erroné.  Souvent les courbes en matière de risque ou de mortalités associé à la consommation d’un nutriment sont des courbes en J. Cela signifie qu’il y a un optimum qui est associé à une faible mortalité qui est sur l’axe des abscisses à la base du J (Figure N°2). Ceci n’est pas souligné dans cette analyse et c’est dommage.


Figure n°2: la mortalité cardiovasculaire et la courbe en J de la consommation de sel. Il faut se méfier des messages qui induisent des comportements qui se traduisent par: suppression du sel ou de l’alcool car ils peuvent paradxalement augmenter le risque (https://www.mja.com.au/journal/2013/198/8/j-curve-revisited-cardiovascular-benefits-moderate-alcohol-use-cannot-be). Qu’il s’agisse du risque d’accident cardiovasculaire (C) ou des morts de toutes causes (B) ou de cause cardiovasculaire (A)  l’association avec la consommation de sel suit une courbe en J.


Atlantico : Quels sont les pays les plus touchés ou ceux qui s'en sortent le mieux ?

Tout dépend du critère alimentaire choisi. C’est pourquoi il vaut mieux s’en tenir à l’espérance de vie. Les pays ou bien les zones géographiques où l’espérance de vie est élevée ont des régimes alimentaires ancestraux très efficaces du point de vue de la santé. Pourquoi? Parce que dans le passé l’absence de systèmes d’hygiène et de médecine a contraint les habitants à utiliser au mieux leurs propres ressources et à reconnaitre ce qui altérait leur santé. Dans un environnement de rareté et sans médecine chimique ou interventionnelle la sélection naturelle laisse peu de chance de se reproduire à ceux qui ont des comportements à risque ou bien une alimentation dangereuse… Ensuite de nombreuses populations ayant une longue espérance de vie et une très bonne qualité de vie jusqu’à très tard dans l’âge sont insulaires. Il faut en tirer des conclusions en terme d’alimentation. Ces populations ont été beaucoup moins exposées à l’alimentation industrielle. Elles ont aussi été beaucoup moins exposées à l’abondance alimentaire car l’insularité a longtemps restreint les capacités de production notamment de céréales et donc d’élevage intensif. Ensuite c’est éssentiellement les pays du pourtour méditerranéen qui ont en général un profil alimentaire favorable à une longue espérance de vie. Mais on sait que l’exposition solaire, l’activité physique et d’autres facteurs jouent un rôle important à côté de l’alimentation.

Atlantico : Comment peut-on faire évoluer les tendances ? Peut-on élaborer un régime idéal via ces données ?

Ce qui est vain c’est la volonté d’uniformiser les régimes alimentaires dans un monde de différences, différences de niches écologiques, différences ethniques, culturelles et individuelles. Surtout quand la justification est uniquement environnementale alors que le critère principal d’évaluation de ces régimes alimentaires à travers le monde est son retentissement sur la santé. Ces données peuvent très accessoirement aider au contraire à traduire en recommandations spécifiques les liens supposés de causalité retrouvés. Il est surtout utile de rappeler que des études interventionnelles sont indispensables. Elles seules peuvent valider les associations retrouvées dans les études observationnelles. Par exemple les asiatiques mangent beaucoup plus de sel que nous. Il est important de vérifier par des essais cliniques interventionnels aléatoires qu’une politique de réduction de l’apport en sel est efficace sur la mortalité parmi ces populations. C’est en cours en Chine alors que ce serait peu utile en France. Au sujet des fruits par exemple, compte tenu des biais, il serait utile de savoir quelles sont en France les consommations qui diminuent la mortalité par un essai interventionnel. En effet il n’est pas prouvé que passer de 140 g/j à 250 g/j s’accompagne d’une diminution de la mortalité. De même pour les céréales intégrales, qui sont très difficiles à trouver dans la vie de tous les jours, un essai interventionnel aléatoire est vraiment souhaitable avant de demander systématiquement un pain intégral à votre boulanger.
La France a un modèle alimentaire assez performant en terme d’espérance de vie, de taux de maladies cardiovasculaires, d’obésité et de diabète type 2. Il est moins performant en terme de cancers (399 500 cancers en 2017) mais nous savons que la partie de la population qui fume et boit beaucoup explique largement cet aspect. Il faut améliorer ce modèle sans ruiner ses bases. Ne sous estimons pas, dans la détérioration de l’IMC moyen en France, l’apport calorique en constante augmentation depuis la fin de la deuxième guerre mondiale alors que la dépense énergétique s’est effondrée (Tableau N°2). L’IMC moyen en France était à 25,3 en 2014. Il s’est détérioré depuis. Il est certain que la disparité des comportements alimentaires rend très difficile la formulation d’un régime idéal. Je m’explique. L’individu qui n’a aucune activité physique va rapidement observer une prise de poids au cours de sa vie même s’il s’alimente suivant les recommandations officielles. Si son génotype est défavorable cette prise de poids va conduire rapidement à un diabète type 2. À l’inverse un individu ayant une activité physique importante qui s’alimente principalement de junk food c’est à dire en majorité d’aliments industriels présentera une inflammation chronique de basse intensité à l’origine de maladies non infectieuses comme les maladies cardiovasculaires. Il faut le répéter le conseil nutritionnel est une médecine de précision totalement personnalisée. S’agissant des recommandations générales elles restent basées sur une alimentation d’aliments entiers frais et peu transformés. L’autre recommandation est la restriction des quantités et au contraire la recherche du goût pour favoriser la satiété naturelle. Les autres recommandations en France, un pays où les aliments frais de qualité sont bon marché, sont beaucoup plus difficiles à fonder sur des preuves.  Finalement ce sont ces deux messages qu’il faut retenir.


Année

Taux d’obésité (%)

Calories (moyenne)

PIB/habitant ($ de 2011)

1948

28% (1981)

2667

7057

2013

41% (2014)

3482

39374

Tableau N°2: Évolution du taux d’obésité, de la quantité de calories et du PIB par habitant en France depuis la deuxième guerre mondiale.


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