Match Pécresse / Montchalin : « l’administration administrante », mythe libéral ou réalité ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un manifestant lors d'un rassemblement pour la défense du service public.
Un manifestant lors d'un rassemblement pour la défense du service public.
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Réformes

Valérie Pécesse a annoncé vouloir réaliser 45 milliards d’euros d’économies et supprimer 150 000 postes de fonctionnaires dans "l'administration administrante". Amélie de Montchalin, ministre de la Transformation et de la Fonction publique, a réfuté ce terme.

Jean-Philippe Feldman

Jean-Philippe Feldman

Jean-Philippe Feldman est agrégé des facultés de droit, ancien Professeur des Universités et maître de conférences à SciencesPo, et avocat à la Cour de Paris. Il est vice-président de l’Association pour la liberté économique et le progrès social (A.L.E.P.S.).

Dernier ouvrage publié : Exception française. Histoire d’une société bloquée de l’Ancien Régime à Emmanuel Macron (Odile Jacob, 2020).

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Eric Verhaeghe

Eric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968

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Atlantico : Voici une mesure choc qui a fait parler de la candidate au congrès des Républicains, Valérie Pécresse : « Si je suis élue, je supprimerai 150 000 postes dans l’administration ». Pour se concentrer sur ses trois missions prioritaires « protéger, éduquer et soigner ». Elle veut s’attaquer à celle qu’elle nomme « l’administration administrante », un terme qu’Amélie de Montchalin réfute. Qui a raison ? 

Jean-Philippe Feldman : Ni l’une ni l’autre.

Entendre la ministre de la Transformation et de la Fonction publique défendre les fonctionnaires et, en réalité, le statu quo mérite peu d’attention. Un ministre a souvent tendance à protéger son administration contre vents et marées, surtout à l’approche d’élections…

Pour ce qui concerne Valérie Pécresse, sa proposition témoigne des difficultés récurrentes de la droite à défendre un programme cohérent et, partant, des propositions dignes de ce nom. Il s’agirait de supprimer 150.000, puis en définitive 200.000 postes de fonctionnaires (et non pas de supprimer des fonctionnaires, comme on le dit souvent par prétérition…). A vrai dire, telle qu’elle a été expliquée par son directeur de campagne, Patrice Stefanini, lui-même ancien directeur de la campagne de François Fillon, il ne s’agirait pas de supprimer des postes, mais de se concentrer sur une série d’actions bénéfiques qui auraient pour vertueuse conséquence de supprimer des postes. Cette idée est médiocrement exprimée, mais elle va dans le bon sens. En effet, il est rien moins qu’inepte de proposer une suppression de postes de fonctionnaires et ce, pour deux raisons principales. D’abord, car, sur le plan tactique, il est mal venu de braquer une catégorie de la population. Ensuite et surtout car, au fond, le point capital est de s’intéresser aux fonctions de l’État. Les chiffres sont connus : tout le monde sait que nous avons par comparaison avec une Allemagne pourtant déjà sur-administrée un différentiel de fonctionnaires de plusieurs centaines de milliers à populations égales. Tout le monde sait que le pourcentage de fonctionnaires par rapport à la population active, soit plus de 20 pour cent, s’il est moins élevé que dans certains pays d’Europe du nord, est nettement supérieur à beaucoup de nos homologues et à la moyenne des pays de l’OCDE, mais… Mais il convient par priorité de se demander s’il appartient à l’État d’intervenir dans tel ou tel secteur. Si la réponse est négative, il faut privatiser. Mécaniquement, il s’ensuivra une diminution du nombre des fonctionnaires. Et c’est là où la tactique refait surface : on ne peut pas ôter à un fonctionnaire son statut ; il faut donc lui proposer une réforme « gagnant-gagnant » avec la possibilité de troquer son statut de fonctionnaire contre une position de salarié du secteur privé avec des avantages dont il ne disposait pas dans une administration peu dynamique. Et évidemment, il n’y aura plus pour le futur de recrutement de fonctionnaires dans ce secteur.

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Malheureusement, Valérie Pécresse prétend comme vous le rappelez qu’il faudrait que l’État se concentre sur « ses trois missions prioritaires » que seraient la protection, l’éducation et les soins. Or, l’éducation et les soins ne devraient pas être des missions de l’État. Le secteur privé s’en charge très bien. Quant à la protection, étant précisé que la candidate vise ici essentiellement la protection intérieure du territoire et non les forces armées, il conviendrait en premier lieu de se demander si la durée du travail des fonctionnaires chargés de cette protection est suffisante. Or, si de nombreux policiers ne comptent pas leurs heures, certains membres des forces de l’ordre ne travaillent même pas 35 heures par semaine…

Si l’on comprend bien Valérie Pécresse, il n’y aurait pas tant des suppressions de postes qu’une reconfiguration du nombre des fonctionnaires suivant les missions de l’État. Quelle ambition ! Si la candidate voulait signifier qu’elle n’est pas libérale, elle ne s’y prendrait pas autrement !

Eric Verhaeghe : En fait, cette mesure n'est pas aussi "choc" que vous ne le dites. Souvenons-nous que François Fillon parlait de supprimer, en 2017, 500.000 postes de fonctionnaires. Valérie Pécresse propose donc de n'en faire que le tiers. Par rapport au programme LR d'il y a 5 ans, elle se situe donc très en retrait. Dans une large mesure, ces suppressions de postes sont une simple annulation des mesures absurdes prises par la gauche entre 2012 et 2017. Souvenez-vous de la création des 60.000 postes d'enseignants sous Hollande, que l'Education Nationale n'est pas parvenue à pourvoir intégralement, même en réduisant fortement les exigences de niveau. On remarquera que Valérie Pécresse ne propose pas de "toucher" à ces postes d'enseignants, dont certains sont pourtant dangereux pour le niveau des élèves. Elle propose simplement de s'attaquer aux couches "administrantes", c'est-à-dire à la bureaucratie pure. On a vu durant la crise du COVID combien cete bureaucratie était nocive pour l'intérêt général, avec une masse de réglementations et de contrôles ineptes produits chaque jour pour occuper les gens des bureaux. 

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On comprend qu'Amélie de Montchalin occulte ce sujet : tous ces bureaucrates sont aujourd'hui de puissants soutiens à Emmanuel Macron. La campagne électorale devrait d'ailleurs se dérouler autour des attentions apportées aux soutiens de chaque candidat. Mais, qu'elle le veuille ou non, Amélie de Montchalin ne peut nier l'inflation de la bureaucratie depuis 10 ans, avec des créations de postes tous azimuts que Nicolas Sarkozy était péniblement parvenu à réduire. 

Que nomme-t-elle « administration administrante » ? 

Jean-Philippe Feldman : L’expression apparaît surprenante de prime abord… Valérie Pécresse renvoie aux postes de gestion de l’administration. Elle expose qu’il y aurait des doublons entre les différentes fonctions publiques et elle en appelle par conséquent à un acte III de la décentralisation. Si ce n’est que les deux actes précédents ont été des ratés et que, pour paraphraser l’un de mes regrettés collègues, on a même décentralisé de manière centralisée.

Le problème est là encore pris à l’envers : la question n’est pas de savoir s’il faut que telle ou telle fonction soit remplie par tel ou tel niveau d’administration, mais si elle doit être remplie par l’État au sens large. Autrement dit, nous nous trouvons en plein problème de subsidiarité. La question est d’abord horizontale : la société civile à la place de l’État, et si cela n’est pas possible ou entièrement possible, la société civile avant l’État. La question n’est verticale qu’ensuite : si l’État doit intervenir, toujours à titre subsidiaire, il doit le faire en premier lieu par ses échelons les plus proches de l’individu, la commune d’abord, puis si nécessaire le département, la région après si cela est indispensable, l’État central en dernier ressort si l’on ne peut faire autrement. C’est cela la véritable décentralisation, et non pas de partir de l’État central.

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Eric Verhaeghe : L'administration administrante ne se résume pas aux fonctionnaires qui ne sont pas en contact avec le public, et qui peuvent être parfois précieux, et elle peut en réalité inclure des fonctionnaires en contact avec le public. L'administration administrante englobe tous les fonctionnaires dont les tâches consistent à gérer des procédures inventées par la fonction publique pour occuper ceux qui les mettent en oeuvre. De ce point de vue, elle regroupe deux espèces très distinctes. Il y a d'une part les fonctionnaires qui gèrent des fonctionnaires et leurs procédures absurdes. C'est par exemple le cas des fonctionnaires pléthoriques des rectorats qui gèrent le mouvement des enseignants tel qu'il est organisé avec les syndicats. La procédure est inepte, mais elle permet d'acheter la paix sociale ou du moins une certaine paix sociale. Mais on peut, dans cet ordre d'idée, évoquer les fonctionnaires hospitaliers recrutés pour gérer au jour le jour la tarification à l'activité, ou toutes les procédures de centralisation nationale inventées par l'administration de la santé. Une autre espèce regroupe les fonctionnaires qui appliquent des procédures absurdes au public. On peut y mettre quantité de fonctionnaires territoriaux qui gèrent des prestations compliquées, inutiles, tatillonnes, mais aussi l'armée de para-fonctionnaires de la sécurité sociale qui appliquent des réglementations que l'on pourrait simplifier. Il est difficile de chiffrer exactement le volume de tous ces personnels. Mais on peut penser qu'ils sont plusieurs centaines de milliers dont on pourrait décider la suppression sans que personne ne constate la moindre dégradation du service public. Au contraire même.  

Au regard des chiffres, combien de fonctionnaires ne sont pas en contact avec le public ?  Y a-t-il réellement une différenciation de performance et d’utilité entre des fonctionnaires qui seraient au contact du public et ceux qui ne le sont pas ? Des études prouvent-elles cela ? 

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Jean-Philippe Feldman :  Depuis toujours, l’État est inapte à calculer le nombre précis de ses fonctionnaires… Par ailleurs, si l’on était capable de mesurer la productivité d’une administration française, cela se saurait.

Eric Verhaeghe : En fait, je pense que cette question est un faux problème. Il existe des problèmes de performance partout dans le service public, qui ne sont pas directement liés à la nature des fonctions. Toute la difficulté est de mesurer la performance d'un fonctionnaire, problème qui a occupé toute la théorie du new public management. Et, pour être franc, je ne crois pas que l'on puisse faire fonctionner un service public avec des théories, pas plus qu'avec des modèles. Un service public a surtout besoin de réformer sa culture managériale, comme on dit, pour mieux rendre service. Autrement dit, il a besoin de "chefs" compétents, capables de prendre leurs responsabilités, d'atteindre les objectifs qu'on leur fixe, et de disposer des marges de manoeuvre pour y parvenir. Mais le service public français est largement dominé par la culture du "pas de vague", qui constitue une véritable tyrannie et un encouragement quotidien à protéger les plus paresseux et à faire partir les plus dynamiques. Sur ce point, je préconise d'arrêter de "mesurer" et de se mettre à décider, en supprimant la garantie de l'emploi pour les 400 postes-clés de la haute administration. Il faut que, devant le Parlement, ces 400 fonctionnaires expliquent ce qu'ils font de l'argent du contribuable. Par exemple, le directeur général des finances publiques est-il encore fondé à employer plus de 100.000 fonctionnaires, alors que les déclarations de revenus sont désormais digitalisées, traitées informatiquement, et que l'impôt est prélevé à la source? Dans la pratique, ces réformes fiscales auraient dû conduire à supprimer au moins la moitié des postes de sa direction. Dans la pratique, les suppressions de postes sont timides. Dans une démocratie normale, le Parlement devrait pouvoir décider le licenciement pur et simple d'un directeur qui gère aussi mal ses effectifs. 

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Vouloir supprimer autant de postes risque -t-il de dégrader le service public ou est-il possible de simplement "dégraisser" ? Des secteurs sont-ils intouchables à ces suppressions pour permettre leur bon fonctionnement ? 

Jean-Philippe Feldman : Votre question renvoie à ma première réponse. Dire, comme le font les candidats de droite depuis Nicolas Sarkozy, qu’il faut supprimer tant de centaines de milliers de postes de fonctionnaires, se battre de manière arbitraire sur les chiffres lors des primaires de la droite comme il y a cinq ans ou dans la perspective d’un congrès comme maintenant, ne sert à rien et, plus encore, est contre-productif. Nicolas Sarkozy a été pusillanime à cet égard lorsqu’il était au pouvoir et qu’il avait au début de son mandat toutes les cartes en main. Ne parlons pas de François Fillon… Quant au chef de l’État actuel, on sait ce qu’est devenue sa promesse, pourtant fort modeste, de supprimer 120.000 postes de fonctionnaires lors de son quinquennat. Les forces de l’inertie et du statu quo sont pesantes en France. C’est la société bloquée dont je parle dans mon dernier ouvrage, Exception française.

Encore une fois, tout candidat qui proposera de supprimer tant de postes de fonctionnaires se heurtera à l’argument de l’utilité de telle ou telle catégorie de fonctionnaires ou de la dégradation du service public. Ce n’est ni la bonne méthode, ni la bonne tactique, ni le véritable problème.

Eric Verhaeghe : Le nombre de fonctionnaires, là encore, n'est pas lié à des fonctions particulières, ou à des métiers, mais à ce qu'on fait du service public. Par exemple, prenez le cas de l'hôpital. On compte plus d'un million de fonctionnaires hospitaliers. Comparés aux cliniques privées, les hôpitaux publics comptent beaucoup plus d'administratifs. On considère que, en appliquant les ratios du secteur privé en matière d'administration, on pourrait supprimer 100.000 emplois de bureaucrates dans les hôpitaux. Mais on pourrait aussi décider que, en dehors des CHU qui sont dédiés à la recherche, c'est-à-dire dans les hôpitaux "territoriaux", on supprime le statut de fonctionnaire. Les soignants pourraient être employés sur CDI en leur appliquant le code du travail. Rien n'oblige à délivrer un service public avec des fonctionnaires. On peut toutefois charger des salariés privés d'une mission de service public. 

La suppression au cas par cas pour une bonne réalisation de cette coupe budgétaire ne risque-t-elle pas de créer encore plus de fonctionnaires ? 

Eric Verhaeghe : Comme toujours, la question n'est pas technique, mais politique. Si vous laissez la technique vous guider, vous ne vous en sortez jamais. Il faut prendre des positions politiques sur les sujets d'organisation de l'Etat. Vous pouvez décider politiquement de ne plus pratiquer la tarification à l'activité dans les hôpitaux. Vous pouvez aussi décider de simplifier le code pénal, et ne plus créer de nouveau délit pendant dix ans. Cela simplifiera la tâche des policiers, dont on ne sait plus si leur métier est de combattre la délinquance ou de surveiller les non-vaccinés. Vous pouvez décider que l'école est faite pour enseigner quelques disciplines, et arrêter de vous éparpiller en une myriade de spécialités ingérables. Vous pouvez aussi décider de ne créer qu'un type de carte de séjour en France au lieu des 14 cartes différentes actuellement. Ce genre de décision simplifie mécaniquement les tâches. Une mesure de simplification fondamentale consisterait d'ailleurs à remplacer nos illisibles politiques sociales par un revenu mensuel versé de droit de la naissance à la mort. Ce système permettrait de supprimer massivement des emplois de bureaucrates. Pour tout cela, il faut arrêter de faire des études, des analyses, des plans. Il faut simplement décider. 

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