Mars 2014, 1er mois depuis 11 ans sans aucune perte de soldat américain : les raisons d’une bonne nouvelle<!-- --> | Atlantico.fr
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Pas de perte pour l'armée américaine en mars
Pas de perte pour l'armée américaine en mars
©Reuters

Dommages collatéraux : nuls

En mars 2014, les troupes américaines n'ont eu à déplorer aucune perte. Ce fait rarissime s'explique par un contexte bien particulier de désengagement du théâtre de guerre afghan.

Valls Macron

Quentin Michaud

Quentin Michaud est journaliste spécialisé dans les questions de défense et de stratégie. Il a été formé à l'Ecole de guerre économique.

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Atlantico : Pas un seul mort n'a été à déplorer au sein de l'armée américaine au mois de mars. Cela n'était pas arrivé depuis près de 12 ans, d'après le site iCasualties (voir ici). Est-ce parce que l'armée américaine a entamé un vaste mouvement de repli des théâtres de guerre ? Faut-il voir dans ce "zéro mort" l'émanation d'un retour à l'isolationnisme de la part des Etats-Unis ?

Quentin Michaud : Tout d'abord, précisons qu'il y a tout de même eu des soldats américains décédés sur le sol afghan dernièrement. Cela arrive, par exemple, que des militaires se suicident lors de déploiement en opérations extérieures. C'est ce qui semble s'être produit pour un militaire américain au cours de ces derniers jours. Ce type de décès "in non battle condition" fait systématiquement l'objet d'une enquête des services criminels militaires. 

Concernant ce bilan positif pour l'armée américaine pour le mois de mars, il symbolise bien sûr le retrait global du pays des forces de l'OTAN. D'une part, il s'explique par une participation de plus en plus faible des troupes américaines à des opérations de combat. Pour autant, les militaires américains poursuivent leur mission essentiellement centrée autour des actions civilo-militaires mises en œuvre par les Provincial Reconstruction Team (PRT). Ces équipes ont lancé des programmes de développement dans des villages afghans avec un réel effet sur la vie locale (construction de ponts, de routes, de puits ou encore d'entrepôts) mais des conséquences très limitées pour gagner les "cœurs et les esprits". Cette stratégie, défendue par le général David Petraeus, ancien commandant des forces de l'OTAN en Afghanistan entre 2010 et 2011, a échoué. Aujourd'hui, une partie de la population est toujours acquise à la cause talibanne. 

D'autre part, les soldats de l'OTAN sont de moins en moins nombreux, ils sont donc de moins en moins à se retrouver en contact avec les militaires de l'Armée Nationale Afghane (ANA). Par conséquent, les attaques "green on blue", c'est-à-dire les assassinats de soldats de l'OTAN de la part de talibans infiltrés dans les rangs de l'ANA ont considérablement diminué. La dernière attaque de ce type remonte au mois de février lorsque deux personnels américains ont été tués à bout portant par des talibans vêtus d'uniformes des forces spéciales afghanes. En 2011-2012, plusieurs soldats français ont été lâchement abattus de cette façon. Ces attaques traumatisantes ont accéléré le retrait français du pays. Pour différentes raisons, d'autres pays ont également avancé leur retrait d'Afghanistan, comme le Canada ou encore la Pologne. 

Ce bilan est donc à nuancer face aux 2 000 militaires américains tués en Afghanistan depuis le début de l'opération Enduring Freedom déclenchée en octobre 2001. Une telle donnée ponctuelle ne constitue pas un bilan de toute une guerre. 

Est-ce à dire que les Etats-Unis sont maintenant isolé sur la scène afghane ? Ils n'ont en tout cas pas trouvé la recette magique, pas plus que les soviétiques qui se sont retirés en 1989 et après lesquels les talibans n'ont eu aucun mal à reprendre le pouvoir à Kaboul. Ce qui est sûr c'est que Barack Obama n'a pas réussi à faire plier le président afghan Hamid Karzaï pour signer un accord bilatéral de sécurité autorisant le stationnement de troupes américaines dans le pays après 2014. A ce sujet, il faudra suivre avec attention l'issue des élections présidentielles afghanes qui se déroulent vendredi 5 avril. Ce dossier avec les Etats-Unis figurera au premier plan sur le bureau du nouveau président afghan. Mais même avec un changement de tête, tout reste à faire pour Washington. 

Est-ce aussi parce que la manière de faire la guerre a profondément changé ? Les soldats sont-ils beaucoup moins mis en danger ?

Ce qui est sûr c'est que la lutte antiterroriste se poursuivra en Afghanistan, accord bilatéral de sécurité ou pas. Mais ce sera de plus en plus compliqué pour l'administration américaine d'opérer avec des drones basés au Pakistan - dont la présence est de plus en plus contestée par la population pakistanaise - et de prépositionner des forces spéciales côté afghan. Cette méthode permet de couper les têtes des réseaux islamistes et de détruire l'arrière base des talibans mais l'effet est limité. La guerre du renseignement se poursuivra mais elle sera davantage complexe à mettre en œuvre sur le terrain pour les Etats-Unis dans la zone frontalière afghano-pakistanaise.

Retrouve-t-on cette tendance également dans d'autres armées ?

Ce bilan se retrouve bien sûr dans les autres contingents de l'ISAF. L'armée britannique intensifie actuellement son retrait du sud-ouest du pays. Elle était notamment déployée dans le camp Bastion dans la province du Helmand. A la fin de l'année, toutes les troupes combattantes britanniques auront quitté l'Afghanistan. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y aura plus de soldat britannique. Rappelons à ce sujet que la France n'a plus de troupes combattantes mais qu'elle maintient encore un contingent de quelques centaines d'hommes à Kaboul, notamment des militaires du service de santé des armées exerçant dans un hôpital. 

Les conflits sont-ils appelés à se régler de façon davantage diplomatique ? Une absence de pertes humaines aussi frappante peut-elle pousser dans ce sens ?

Je ne pense pas qu'il faille en tirer pareille conclusion. Le fait est trop anecdotique et s'inscrit dans une logique de ne plus vouloir faire la guerre en Afghanistan. Nous avons mis fin à notre engagement militaire en Afghanistan, non pas parce que la guerre est terminée mais parce que nous ne souhaitions plus la poursuivre. Les attaques des talibans vont se poursuivre et peuvent même s'intensifier au cours des deux prochaines années au sein de la capitale.

En revanche, il est intéressant de noter que l'on compte beaucoup sur la voie diplomatique pour faire le "service après-vente" de nos engagements militaires. Les Etats-Unis n'ont pour l'heure pas amélioré leurs relations diplomatiques avec l'Afghanistan. Elles sont glaciales avec le Pakistan. Et ce constat se dresse aussi pour l'Irak qui est aujourd'hui totalement oublié mais durablement plongé dans le chaos entre groupes chiites et groupes sunnites. L'armée irakienne ne parvient pas à prendre le dessus face aux groupes djihadistes tels que l'ISIS.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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