"Marine Le Pen, seul rempart contre François Fillon" : ce que risque le FN à vouloir passer du rôle de bélier anti-système à celui de gardien du temple de la protection sociale française<!-- --> | Atlantico.fr
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En se positionnant comme "le rempart" anti-Fillon, le FN prend un double risque : ne pas apparaître comme ayant des solutions crédibles et aussi être à contre-courant des préoccupations sécuritaires de son électorat potentiel.
En se positionnant comme "le rempart" anti-Fillon, le FN prend un double risque : ne pas apparaître comme ayant des solutions crédibles et aussi être à contre-courant des préoccupations sécuritaires de son électorat potentiel.
©AFP

Révolution copernicienne

Au micro de Sud Radio, Florian Philippot déclarait ce 6 décembre que "Marine Le Pen [était] le seul rempart contre François Fillon", à qui il reproche un programme de casse sociale.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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Atlantico : Ce 6 décembre, Florian Philippot estimait que Marine Le Pen était le "seul rempart contre François Fillon", qui souhaiterait "casser le modèle social français". Marine Le Pen passait d'ailleurs ce mercredi 7 décembre au 20h de TF1, dans lequel elle s'attaquait notamment à François Fillon. Dans quelle mesure cette rhétorique – qu'on retrouve également à gauche – est-elle pertinente, au vu des attentes des Français ? Le FN ne joue-t-il pas à un jeu dangereux, susceptible de lui brûler les ailes ?

Bruno Cautrès : Dans la dernière enquête de l’Ifop consacrée aux priorités des Français on constate que désormais la sécurité et la lutte contre le terrorisme fait jeu égal comme première préoccupation avec la lutte contre le chômage : 27% des personnes interrogées en novembre dernier citent ces deux questions en premier. On constate néanmoins une dominance de la question du chômage lorsque l’on élargit l’analyse aux préoccupations citées en second rang par les Français : le chômage est cité comme première ou seconde préoccupation par 54% tandis que la sécurité et la lutte contre le terrorisme est citée alors par 48%. Ce qu’il faut retenir c’est que la question de la sécurité, dans un contexte de lutte contre le terrorisme, est venue s’installer durablement dans les priorités des Français et peut même revenir en priorité principale si une nouvelle série d’actes terroristes survenait.  

Dans ce contexte, la stratégie du FN repose sur une équation assez simple : le FN postule sans doute que les Français l’identifient déjà fortement à la question de la sécurité intérieure mais aussi à ses prises de position sur le terrorisme et l’islamisme ; il essaie donc d’apparaître en pointe sur l’autre versant des préoccupations des Français, les questions économiques et sociales vues sous le prisme de la lutte contre le chômage et la question du pouvoir d’achat (qui est le troisième sujet de préoccupation des Français). Cette stratégie peut être une stratégie payante car nous sommes dans un contexte où la gauche de gouvernement va devoir présenter et défendre son bilan ; elle aura une tâche difficile car ce bilan n’est pas fortement au rendez-vous sur la question du chômage, "l’inversion de la courbe" n’est pas évidente. Par ailleurs le fait que le programme de François Fillon propose de fortes inflexions sur le modèle social français va accentuer le niveau d’inquiétude sur les questions sociales et l’avenir de la protection sociale. Mais en se positionnant comme "le rempart" anti-Fillon sur la question du modèle social ou du chômage, le FN prend un double risque : ne pas apparaître comme ayant des solutions crédibles et aussi être à contre-courant des préoccupations sécuritaires de son électorat potentiel. Je remarque néanmoins que les questions sécuritaires sont solidement reconnues par cet électorat potentiel comme une "marque de fabrique" du FN. 

En se posant d'ores et déjà en rassembleur avant même le premier tour de l'élection présidentielle, le Front national ne fait-il pas la même erreur qu'Alain Juppé ? Peut-on penser qu'en poursuivant sur cette ligne, il risque de connaître le même sort ?

Pour le moment rien ne l’indique même si l’on peut s’attendre à ce qu’un "effet Fillon" joue au sein de l’électorat qui hésite entre le FN et la droite. Les intentions de vote en faveur de Marine Le Pen sont toujours à un niveau élevé et continuent de la positionner au second tour de la présidentielle. Il faut néanmoins conserver à l’esprit que la présidentielle n’est pas demain et que beaucoup de choses peuvent se passer. L’erreur dont vous parlez consisterait pour le FN à faire une campagne de second tour face à François Fillon et de considérer comme acquis que la gauche n’est pas au rendez-vous de ce second tour. Dans ce cas de figure, il s’agirait alors pour el FN d’incarner "la gauche" au sens purement topographique du terme, c’est-à-dire le pôle opposé à la droite fortement incarné par François Fillon. Si erreur de stratégie il devait y avoir alors, il s’agirait d’avoir fait l’impasse ou de n’avoir pas assez couvert la préoccupation sécuritaire principalement. La comparaison avec ce qui est arrivé à Alain Juppé est intéressante mais je ne crois pas que l’on puisse la transposer terme à terme : Alain Juppé a commis une erreur plus fondamentale en pensant qu’une majorité d’électeurs de droite validait une stratégie de centre-droit ou même clairement centriste. Pour le moment rien n’indique que le FN ne couvre plus les questions sécuritaires et d'immigration. Ainsi vient-elle hier de réitérer sa proposition radicale de ne plus assurer, si elle était présidente, la gratuité de l'école pour les enfants issus de famille étrangère.

Dans quelle mesure le FN, qui a toujours été diabolisé jusqu'à présent, peut-il véritablement se poser en rempart contre la droite républicaine ? Peut-il vraiment, d'un point de vue de sociologie électorale, devenir le "nouveau parti de gauche" sans se trahir complètement ?

Cette stratégie de "rempart" contre la droite repose sur un constat : l’implantation du FN dans les catégories populaires. La très grande enquête électorale que nous réalisons au CEVIPOF auprès d’un panel de près de 20.000 électeurs montre très clairement que dans les catégories populaires (ouvriers, employés) mais aussi chez les travailleurs pauvres, les précaires, les travailleurs intérimaires ou sans emploi fixe, les pourcentages de vote en faveur de Marine Le Pen sont très élevés dès à présent, parfois de l’ordre de 50% ou plus des intentions de vote. Et l’on voit dans le même temps que la gauche, notamment le PS mais aussi les écologistes ou même le Front de gauche, a du mal à parler à ces milieux sociaux et à incarner leur sentiment d’injustice face aux nouvelles inégalités engendrées par l’intégration économique mondiale. Cela ne fait néanmoins pas du FN un nouveau "parti de gauche"……. !

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