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Marchands d'armes : les bons amis de la France
©Reuters

Bonnes feuilles

L’export repose entre les mains du gouvernement et des grandes administrations de la République. Le quinquennat de François Hollande a été particulièrement faste. Avec 20 milliards de commandes signés en 2015, la France revient talonner les États-Unis et la Russie, qui restent les deux leaders indétrônables. Sur la période 2012-2016, Washington domine l’export avec un tiers de part de marché, suivi de Moscou avec 23% des ventes et de la France à 6%. Extrait de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", de Romain Mielcarek, publié aux éditions Tallandier, 112 pages, 13,90€. 2/2.

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek est journaliste indépendant, spécialiste des questions de défense et de relations internationales. Docteur en sciences de l'information et de la communication, il étudie les stratégies d'influence militaires dans les conflits.

 

Il anime le site Guerres et Influences (http://www.guerres-influences.com). Il est l'auteur de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", publié aux éditions Tallandier.

 
 
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Le 16 février 2015, l’heure de la revanche médiatique pour Dassault. Après avoir été qualifié d’invendable pendant des années par la presse, le Rafale décolle à l’étranger. C’est en Égypte qu’est signé le premier contrat: 24 avions rejoindront l’armée de l’air du maréchal al-Sissi. L’avioniste n’est pas le seul à jubiler. L’armateur DCNS vient également conclure la vente d’une frégate multmission FREMM. Le missilier MBDA est du voyage pour assurer que marins et aviateurs égyptiens aient les munitions nécessaires au bon fonctionnement de ces petits bijoux technologiques. Enfin, Thales, qui produit des systèmes électroniques pour l’ensemble, participe aux célébrations. 

Aux côtés des Égyptiens, tout le monde est là pour la photo. Face aux objectifs, le ministre de la Défense français sert la main de son homologue. C’est lui qui fait les discours. Un industriel se réjouit: «Le Drian est un excellent VRP.» Un qualificatif qui revient encore et toujours pour féliciter le compagnon de toujours de François Hollande. En plus des qualités de l’avion, ses efforts et sa bonne entente avec les autorités du Caire ont joué un rôle indéniable. À Paris, cela faisait des mois que le gouvernement cherchait le bon deal. Bercy a traîné la patte: l’Égypte n’est pas suffisamment solvable à son goût. Il fallait trouver le bon équilibre. L’acompte, dont le montant reste inconnu, est finalement pris en charge à 50% par l’État français et à 50% par des banques privées. C’est la France qui assumera le risque de non-remboursement. Il fallait bien ça pour conclure des contrats qui s’élèveraient aux alentours de 5,6 milliards (3,5 pour Dassault, 1 pour DCNS, 1,1 pour MBDA). 

Alors sur les photos, tout le monde a le sourire. La France dispose d’un allié bien équipé au sud de la Méditerranée pour combattre les djihadistes dans le Sinaï et en Libye. Ses aviateurs et ses marins vont être formés, et donc influencés, par des militaires français. L’Égypte peut se féliciter, malgré la crise politique, d’être suffisamment fréquentable pour commercer avec le pays des Lumières. Les usines et les chantiers des industriels vont pouvoir continuer de tourner à bloc. Les emplois sont préservés. Au moment du flash, au premier rang des invités, les visages sont radieux: Éric Trappier, le PDG de Dassault ; son collègue de DCNS, Hervé Guillou ; Patrice Caine pour Thales et Antoine Bouvier pour MBDA. À leurs côtés, deux parlementaires français: la députée socialiste Patricia Adam et le sénateur Les républicains Jacques Gautier. 

Mais pourquoi ces deux élus sont-ils présents ce jour-là au Caire? Les parlementaires français n’ont pourtant pas leur mot à dire en matière d’export. L’Assemblée et le Sénat sont simplement informés par l’exécutif des volumes de signatures chaque année par pays. Ils n’ont pas accès au détail des contrats ni à celui des matériels fournis. Aucun d’entre eux ne siège à la commission qui distribue les licences autorisant les ventes à l’étranger. «Sous la Ve République, le Parlement a très peu de pouvoirs, explique un collaborateur de Patricia Adam. En matière de ventes d’armes à l’étranger, le rôle du Parlement est nul. Il y a, sur le plan national, un aspect budgétaire. Mais là aussi, il est limité. C’est le gouvernement et l’exécutif qui gèrent.» Alors pour quelle raison sont-ils ici? «N’importe qui se dit que vendre des armes, ce n’est pas bien. Il faut une légitimité parlementaire, institutionnelle et démocratique. Les parlementaires sont une autorité morale.»

L’export repose entre les mains du gouvernement et des grandes administrations de la République. Le quinquennat de François Hollande a été particulièrement faste. Avec 20 milliards de commandes signés en 2015, la France revient talonner les États-Unis et la Russie, qui restent les deux leaders indétrônables. Sur la période 2012-2016, Washington domine l’export avec un tiers de part de marché, suivi de Moscou avec 23% des ventes et de la France à 6%. Dans ce commerce, toute transaction est prohibée par la loi française. La vente est l’exception: chaque étape doit faire l’objet d’une dérogation attribuée par la Commission interministérielle pour l’étude des exportations de matériel de guerre, la Cieemg. Il en faut une pour pouvoir signer un contrat, une autre pour pouvoir démarcher un client, une troisième pour faire une offre et enfin une dernière, encore différente, pour livrer le matériel. Autour de la table, on trouve des représentants des ministères de la Défense, des Affaires étrangères et de l’Économie. Selon les cas, on peut aussi inviter les services de renseignement, des conseillers de l’Élysée ou encore des spécialistes du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Tous ensemble, ils doivent s’assurer que les négociations commerciales et les livraisons ne vont pas avoir de conséquences négatives pour la France, que ces armes ne peuvent pas se retourner contre la République et que les clients en feront un bon usage. Pas question que les acheteurs utilisent des armes françaises pour commettre des crimes de guerre ou pour persécuter leurs populations. Pas question non plus qu’ils les transfèrent à des groupes armés ou des organisations terroristes: chaque licence précise qu’il est interdit de réexporter sans autorisation du matériel de guerre. 

Dans le cas de l’Égypte, de nombreuses ONG ont malgré cela tiré la sonnette d’alarme. Le président Abdel Fattah al-Sissi est arrivé au pouvoir après une longue période de troubles internes, qui dure depuis la révolution de 2011. Le militaire a fait tomber le leader islamiste Mohamed Morsi, pourtant démocratiquement élu, et s’est appliqué à faire taire la population qui le soutenait. Ce sont plus de 40000 personnes qui ont été arrêtées. 1400 ont été tuées dans les manifestations, tandis que 500 autres étaient condamnées à mort. Parmi ces nombreux prisonniers politiques, on trouve même des mineurs. Comment la France peut-elle accepter d’armer l’Egypte dans de telles conditions? La réponse est souvent la même: le matériel livré par Paris ne sert pas à persécuter les populations. Ce ne sont pas des avions de combat et des navires de guerre qui causent la mort de manifestants. Les armes de la France doivent être utilisées dans le Sinaï pour combattre l’État islamique et même si al-Sissi n’est pas un personnage des plus sympathiques, il est utile pour lutter contre le terrorisme. 

Pourtant, on retrouve bien certains matériels tricolores dans les émeutes. En marge des manifestations, des véhicules terrestres MIDS et Sherpa vendus par Renault Truck Defense apparaissent sur de multiples photos. Au Quai d’Orsay on botte en touche, en se contentant de dire que de tels contrats sont très marginaux au regard des enjeux dans les relations entre l’Égypte et la France. Un diplomate siégeant à la Cieemg explique que dans un cas comme celui-ci, «on règle ça entre amis par les canaux diplomatiques». Au mieux, si l’affaire ne se calme pas, les sanctions peuvent aller jusqu’à «un refus de licence dans la foulée, histoire de rappeler qu’il y a eu une petite brèche». 

Si le cas de l’Égypte est l’un des plus emblématiques en 2016 de la relation entre la France et ses partenaires commerciaux, ce n’est pas le seul à poser problème. L’Arabie Saoudite reste ces dernières années l’un des principaux clients de la France. Le royaume est pourtant accusé d’avoir largement soutenu et armé plusieurs groupes terroristes islamistes à travers tout le Moyen-Orient, dont certains combattus par la France aujourd’hui en Syrie. De la même manière, l’Arabie Saoudite et les Émirats arabes unis sont engagés dans une guerre au Yémen dont Paris ne cesse de dénoncer la violence. Malgré les récriminations sur les droits de l’homme régulièrement adressées à la Chine, ce pays reste lui aussi un client très régulier… Alors même qu’il fait l’objet d’un embargo sur les armes imposé par l’Europe et auquel la France participe. 

Chez Amnesty International, l’une des ONG engagées en France en faveur d’une plus grande transparence du commerce des armes, on ne cesse de dénoncer ces paradoxes. Le chargé de plaidoyer sur ces sujets, Aymeric Elluin, rencontre régulièrement des responsables des ministères de la Défense et des Affaires étrangères. Les hauts fonctionnaires et les membres des cabinets l’écoutent, mais cela ne change pas grand-chose: «Sur le Yémen, par exemple, on a une France qui soutient politiquement et militairement la coalition de l’Arabie Saoudite, et en même temps une France qui entend développer un volet humanitaire important pour venir en aide aux populations. Il y a là quelque chose de schizophrénique, de contradictoire! On ne voit pas la ligne de la France sur ce conflit. Comment peut-on continuer à fournir en armes un pays alors qu’il n’y a aucune assurance qu’elles ne vont pas servir contre les populations?»

Extrait de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", de Romain Mielcarek, publié aux éditions Tallandier, 112 pages, 13,90€. 

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