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Alain Bauer : Manuel Valls ne doit pas craindre de devenir la bête noire d’une certaine gauche
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Pragmatique de gauche ?

"Être de gauche, ce n'est pas régulariser tous les sans-papiers", a déclaré mercredi Manuel Valls dans un entretien accordé au journal Le Monde. Le nouveau ministre socialiste de l'Intérieur assume une position de fermeté en matière d'immigration et de sécurité. Pour Alain Bauer, il s'agit avant tout de se poser en homme d'État, dans la lignée de Jean-Pierre Chevènement et Georges Clemenceau.

Alain Bauer

Alain Bauer

Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers, New York et Shanghai. Il est responsable du pôle Sécurité Défense Renseignement Criminologie Cybermenaces et Crises (PSDR3C).
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Atlantico : Sur le dossier de l'immigration comme sur le dossier de la sécurité, le ministre de l'Intérieur Manuel Valls affiche depuis plusieurs années une ligne de fermeté. Pourra-t-il briser l'image d'une gauche laxiste ?

Alain Bauer : Bien sûr. Comme élu local de terrain, il a su faire passer un message très pragmatique. Sur ces questions, la gauche est désormais plus proche de Georges Clemenceau que de Jean Jaurès. La popularité de Manuel Valls, que l’on ressent depuis sa prise de fonction, n’est pas un hasard.

Ses prises de position en matière d'immigration sont déjà critiquées par les associations de migrants et par Jean-Luc Mélenchon ce jeudi. Ne risque-t-il pas de devenir la « bête noire » d'une certaine gauche, comme Jean-Pierre Chevènement le fut en son temps ?


C'est tout le mal que je peux lui souhaiter.
Un grand républicain suscite toujours des critiques... Je ne vois d'ailleurs pas comment on peut faire de la politique autrement. Mais si son bilan est aussi positif que celui de Jean-Pierre Chevènement, cela vaut le coup d'endurer certaines critiques.

« Aujourd’hui, la situation économique et sociale ne permet pas d’accueillir et de régulariser autant que certains le voudraient. C’est ma responsabilité de ministre de l’Intérieur de le dire. Je l’assume », a déclaré Manuel Valls dans le journal Le Monde. Une petite phrase qui rappelle la fameuse formule de Michel Rocard (« la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde »), mais qui ressemble aussi à du Nicolas Sarkozy dans le texte...

« La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde… Mais elle doit en prendre sa juste part. » Il ne faut jamais oublier la deuxième partie de la phrase. Nicolas Sarkozy a souvent cité la première partie de la phrase, mais pas la deuxième.

Depuis une trentaine d’années, les hommes politique les plus pragmatiques expliquent que la question de l’immigration ne se résume pas à la fermeture des frontières, mais pose également le problème du respect des personnes que l’on accueille. Lorsqu’on est dans une situation économique compliquée, on ne peut pas en même temps traiter de la grande pauvreté de ceux qui sont déjà présents, immigrés compris, et continuer d’accueillir dans de bonnes conditions ceux qui sont en train d’arriver. C’est une réflexion de bon sens !


Certaines phrases sont-elles mieux acceptées dans la bouche d’un ministre de gauche que dans la bouche d’un responsable politique de droite ?

Non, car pour l’essentiel, les problématiques politiques sont à la fois des problématiques pédagogiques et de fond. Depuis la première cohabitation en 1986, le droite et la gauche ont été obligées de se rendre compte que le principe de réalité était là, et que ce principe l’emportait toujours à la fin.

La gauche et la droite diffèrent surtout sur la forme. Ils n’ont pas les mêmes postures. Mais au-delà des postures, la droite et la gauche se retrouvent sur beaucoup de sujets. Et pas seulement sur la sécurité ou l’immigration, mais aussi sur la politique économique de rigueur, dont personne ne souhaite prononcer le nom. Aussi bien sur la réduction des dépenses que sur la hausse des impôts, je constate avec amusement que la gauche s’apprête à faire la même chose que le gouvernement qui la précédait. Certains tropismes transcendent le clivage droite / gauche. Ce n'est pas forcément une mauvaise chose.


Dans les colonnes de Libération, Manuel Valls est accusé de reculer sur le chantier de la réforme de la police. Il semble avoir renoncé à son projet de récépissé de contrôle d'identité. Comment expliquez-vous cette « marche arrière » ?

C'est facile de donner des leçons lorsqu'on ignore tout des réalités. Lorsque le directeur de Libération est mis en cause par les journalistes de son propre journal pour ses méthodes de management interne, personne ne vient lui donner des leçons de journalisme.

Manuel Valls travaille avec des policiers. Il y a deux manières de travailler avec les gens : leur expliquer comment faire leur métier, alors que vous-même n'avez pas les qualifications nécessaires, ou leur demander comment ils pourraient mieux faire leur métier, et ensuite prendre les décisions qui s'imposent.


Dans le premier cas, on appelle cela de l'autoritarisme et de la condescendance. Dans le deuxième cas, on appelle cela du dialogue social. J'ai cru comprendre que le ministre de l'Intérieur avait choisi la deuxième option.Tant mieux. Je propose que quelqu'un qui n'est pas un journaliste explique aux journalistes de Libération comment faire leur métier. Nous verrons comment ils réagissent.

Que le ministre de l'Intérieur se sente obligé de dire aux fonctionnaires de police qu'ils ne doivent pas tutoyer leurs concitoyens en dit long sur la qualité des relations entre les forces de l'ordre et la population...

Cela ne concerne pas l'ensemble de la population, mais une certaine catégorie de la population. C'est un problème déjà ancien et qu'on a pu observer il y a près de quarante ans aux États-Unis.

On a constaté deux problèmes contradictoires dans la manière de faire des patrouilles dans les quartiers difficiles. On demandait à la police d'être à l'image de la population, ce qui amenait mécaniquement de jeunes policiers à adopter un style "familier" à l'égard d'autres jeunes. Certains y voyaient un manque de distance et de respect, créant des difficultés. A l'inverse, certains policiers plus âgés adoptaient une attitude paternaliste. Or les policiers ne sont pas les "papas" des personnes qu'ils interpellent. Il y avait donc beaucoup de confusion. Le vouvoiement créer une distance nécessaire et bienvenue.      

Propos recueillis par Alexandre Devecchio

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