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Manuel Valls n'affiche plus le même volontarisme qu'au début de son mandat
Manuel Valls n'affiche plus le même volontarisme qu'au début de son mandat
©REUTERS/Philippe Wojazer

Réaction chimique à Matignon

Le très engagé locataire de Matignon a construit sa réputation sur un style ferme et déterminé depuis son passage au ministère de l'Intérieur. L'actualité de ces dernières semaines laisse néanmoins entrevoir des rétropédalages pour contenir une situation sociale toujours plus explosive. A tel point que l'on peut se demander si le "matador" du PS n'est pas en train de se fondre dans les hésitations de la présidence Hollande.

Jean Garrigues

Jean Garrigues

Jean Garrigues est historien, spécialiste d'histoire politique.

Il est professeur d'histoire contemporaine à l' Université d'Orléans et à Sciences Po Paris.

Il est l'auteur de plusieurs ouvrages comme Histoire du Parlement de 1789 à nos jours (Armand Colin, 2007), La France de la Ve République 1958-2008  (Armand Colin, 2008) et Les hommes providentiels : histoire d’une fascination française (Seuil, 2012). Son dernier livre, Le monde selon Clemenceau est paru en 2014 aux éditions Tallandier. 

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Atlantico : Manuel Valls avait fait montre de volontarisme lors de sa prise de fonction à Matignon, en rappelant notamment que "le Premier ministre dirige l’action du Gouvernement". Au regard des faits, cette résolution a-t-elle été tenue ?

Jean Garrigues : De toute manière, dans le système de la 5e République, les initiatives sont prises par le président. Lors de sa déclaration d’investiture, Manuel Valls a très clairement expliqué qu’il était là pour mettre en application la politique lancée par François Hollande avec le Pacte de responsabilité. Il n’est pas considéré comme un « collaborateur », contrairement à François Fillon lors de la présidence Sarkozy. Mais il a néanmoins été choisi pour une mission bien précise, afin de redonner une image d’autorité au gouvernement. Sa marge de manœuvre est donc restreinte, comme d’ailleurs pour la plupart des Premiers ministres sous la Ve République, et surtout depuis l’introduction du quinquennat.

Lorsque l’on voit qu’Arnaud Montebourg continue de camper sur des positions opposées à celles de Manuel Valls, ou que Christiane Taubira n’a rien fait pour lutter contre les assouplissements du projet de réforme pénale par les sénateurs socialistes, est-il permis de faire un parallèle avec la façon dont le gouvernement Ayrault était géré ? Les symptômes ne sont-ils pas les mêmes ?

L’image personnelle de Jean-Marc Ayrault était ternie par son manque de charisme et l’impression de faiblesse que dégageait sa manière d’incarner la fonction de Premier ministre. Une sorte de cacophonie systématique existait, qui était due à de fortes personnalités comme Montebourg et Taubira, mais également à cause de l’amateurisme de beaucoup de ministres et secrétaires d’Etat.

Cette image d’amateurisme a quasiment disparu avec l’équipe resserrée du gouvernement Valls, et l’image d’autorité du Premier ministre a été restaurée. Il reste à domestiquer les fortes personnalités, mais cela est rendu difficile par le fait qu’elles correspondent à des courants ou à des sensibilités existant à l’intérieur du Parti socialiste, ou plus largement à l’intérieur de  la gauche. N’oublions pas que lors des primaires socialistes Manuel Valls était précédé par Arnaud Montebourg. Ce dernier a un poids réel au sein de l’opinion de gauche, une image forte de social-patriote, de la même manière que Christiane Taubira incarne une fraction importante de l’opinion de gauche qui se regroupe derrière les valeurs d’humanisme, de tolérance et de diversité. Dans une société d’images comme la nôtre, ces images fortes sont difficilement contrôlables dans le champ du politique stricto sensu. Un excès d’autoritarisme de Manuel Valls serait mal perçu par les militants comme par les sympathisants qui se reconnaissent dans ces figures médiatiques. Il en de même avec Ségolène Royal, comme on a pu le voir au moment du découpage de la nouvelle carte des régions. Sa relation particulière avec François Hollande et sa popularité dans l’opinion lui ont permis de court-circuiter la filière primo-ministérielle.

Le plan de 50 milliards d’économies est largement contesté par la majorité socialiste, et la possibilité de parvenir à l’objectif fixé d’ici 2017 est de plus en plus improbable. Manuel Valls s’est-il retrouvé prisonnier d’une promesse impossible, dictée par François Hollande ?

Les difficultés à mettre en application le Pacte de responsabilité sont très grandes, de tous ordres, et de tous les côtés. Il est difficile de convaincre les partenaires sociaux, et notamment le Medef, qui en la clé essentielle. Des tensions apparaissent inévitablement, du côté du patronat comme du côté des syndicats de salariés, symptômes récurrents d’un dialogue social immature. Mais les difficultés apparaissent aussi dans le champ politique, vis-à-vis des parlementaires socialistes, et notamment de la cinquantaine de députés dissidents, sans compter l’opposition d’EELV.

La tâche de Manuel Valls est donc extrêmement délicate, l’obligeant à être extrêmement prudent et équilibré dans ses interventions. Il essaie de tenir un discours pragmatique qui ne rebute pas le patronat, tout en s’efforçant en permanence de compléter l’axe social-libéral par des références constantes à la doxa socialiste, de manière à ne pas heurter les dissidences du parti. C’est un équilibre très difficile à tenir, et d’ailleurs il n’existe aucun exemple historique comparable. Le fait d’être ainsi contraint de naviguer à vue en permanence, entre d’un côté le patronat et de l’autre la gauche traditionnelle, attachée aux valeurs et symboles de la gauche sociale, est inédit pour un Premier ministre socialiste. C’est un problème que les socialistes ont déjà rencontré à partir du « tournant de la rigueur » des années 1982-1983, mais l’autorité de François Mitterrand suffisait disciplinariser le parti et le groupe parlementaire. Aujourd’hui, c’est différent.

Derrière un discours de fermeté, Manuel Valls a tout de même dû faire des concessions pour mettre un terme à la grève des cheminots et des intermittents. En quoi la technique du consensus propre à François Hollande se retrouve-t-elle dans cette posture du Premier ministre ?

La recherche de consensus a aussi bien marqué la droite que la gauche sous la 5e République. Nicolas Sarkozy, en dépit de style de président actif et provocateur, était à la recherche d’un consensus social. On ne peut pas faire de parallèle entre la situation actuelle de Manuel Valls en tant que Premier ministre et François Hollande en tant que Premier secrétaire du Parti socialiste. Hollande devait concilier des courants différents, Valls doit mener une politique pour tous les Français. On pourrait reprocher au président actuel de ne pas avoir choisi quand il était premier secrétaire, de ne pas avoir formalisé le virage social-démocrate (ou social-libéral) de sa famille politique. Il en avait la possibilité, mais pour des raisons à la fois partisanes et électorales il s’en est bien gardé. A sa décharge, ses prédécesseurs étaient restés eux aussi dans l’ambiguïté entre le discours doctrinal et la pratique du pouvoir.

Manuel Valls est confronté à une situation encore plus complexe. Il est à la fois soumis à la prééminence présidentielle, aux conditions du patronat, qui sont la clé du pacte de responsabilité, à un parti dans lequel il est a priori minoritaire, aux stratégies personnelles de ses rivaux dans ce même parti, et à la dissidence parlementaire qui bien souvent obéit à une logique de clans. C’est beaucoup pour un seul homme ! Les difficultés qu’il rencontre ne sont pas forcément une marque de faiblesse ou d’indécision, encore moins d’un déficit d’autorité.

Finalement, les difficultés rencontrées par Manuel Valls pour gouverner sont-elles à mettre sur son compte, ou n’importe quel autre locataire de Matignon se serait-il retrouvé dans cette situation sous la présidence Hollande ?

J’en suis persuadé. Dans les circonstances actuelles n’importe quel Premier ministre se serait retrouvé  dans la même situation. Le seul bémol, selon moi, est que Manuel Valls incarne la ligne droitière du PS, ce qui le rend très minoritaire. Un autre que lui aurait bénéficié d’un soutien plus important, mais on voit bien que Jean-Marc Ayrault, qui était plus au centre que Valls, a eu lui aussi de grosses difficultés avec le parti comme avec le groupe. A mes yeux, tout cela découle d’une ambiguïté historique, qui dépasse les facteurs conjoncturels. Le débat n’est pas clairement tranché au Parti socialiste entre les tenants d’un « nouveau Parti socialiste », plus ou moins sur le modèle blairiste, tendant de manière pragmatique vers le social-libéralisme, les partisans d’un modèle social-démocrate régulateur, référés plus ou moins aux modèles scandinaves (qui sont eux-mêmes en pleine évolution), ou encore la vieille garde attachée aux valeurs historiques du socialisme, voulant protéger coûte que coute les acquis de l’Etat providence, y compris dans une période de crise et de mondialisation. Les difficultés de Manuel Valls sont tout simplement le reflet de ces clivages, avivés par le jeu des ambitions. 

Avec le Pacte de responsabilité, François Hollande a fait un choix présidentiel qui mettait en avant le pragmatisme social-libéral. Dès lors il était certain qu’une tension se mettrait en place. Tout va se jouer dans le rapport entre la volonté de l’aile gauche du PS de préserver les valeurs de l’Etat providence, et les moyens de pression dont pourra disposer Valls sur les frondeurs en vue des prochaines échéances électorales. A-t-il assez de cartes pour négocier avec les dissidents ? Nous verrons.

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