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Entre manque de solidarité du G7 et sur-réaction de l’Arabie Saoudite : ce que révèle le conflit entre Riyad et Ottawa
©Lars Hagberg / AFP

Droits de l’homme

La situation continue de s'envenimer entre le Canada et l'Arabie Saoudite. Comment expliquer ce qui ressemble à une sur-réaction de la part des saoudiens ?

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani

Ardavan Amir-Aslani est avocat et essayiste, spécialiste du Moyen-Orient. Il tient par ailleurs un blog www.amir-aslani.com, et alimente régulièrement son compte Twitter: @a_amir_aslani.

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Atlantico : Quelques jours après l'expulsion de l'ambassadeur canadien de Riyad pour ingérence, suite aux critiques d'Ottawa sur la répression des militants des droits de l'homme, la situation continue de s'envenimer entre les deux pays. Ainsi, Justin Trudeau a refusé de présenter ses excuses, ce qui a entraîné une escalade du côté de l'Arabie saoudite. Comment expliquer ce qui ressemble à une sur-réaction de la part des saoudiens ? 

Ardavan Amir-Aslani : Depuis l'arrivé au pouvoir, en Arabie Saoudite, du prince héritier Mohamad bin Salman, il y a trois ans, ce pays essaie de créer un mythe, celui d'un changement dans son regard sur les questions des droits de l'homme. C'est ainsi que sur un plan théorique les femmes ont été autorisés à conduire même si le nombre des titulaires femmes de permis de conduire semble être inférieur à dix. Ce pays a également autorisé l'ouverture des salles de cinéma qui peuvent projeter certains films approuvés par le pouvoir. Autour de ces deux faits totalement mineurs, Ryadh tente de présenter au monde un nouveau visage de ce pays, berceau de la version la plus intolérante de l'islam: le Wahhabisme. 
Or la réalité est toute autre. L'Arabie Saoudite est un pays où chaque semaine à l'issue de procès arbitraires, sans représentation par avocats, des personnes sont condamnées à mort par décapitation à coup de sabre suivi de la crucifixion de leurs corps décapités. Un pays où aucune forme de représentation nationale existe et où règne une monarchie absolue moyenne-ageuse. Un Pays où aucune religion autre que musulmane n'a de droit de citer et où la minorité chiite souffre de discrimination. Les femmes chiites se sentent même obligées d'aller accoucher dans des villes à prédominance sunnite, comme la Mecque, afin d'occulter l'appartenance religieuse de leurs enfants.
Ce pays est donc sensible à son image à l'étranger. D'ailleurs, de telles réactions excessives saoudiennes s'étaient déjà produites en 2017 sur des sujets similaires ou en rapport avec la politique étrangère saoudienne au Liban avec l'Allemagne ou encore la Suède. Les saoudiens essaient également, à travers ce type de menace, d'étouffer dans l'œuf des critiques sur sa politique étrangère qui s'avère être un fiasco. La guerre saoudienne au Yémen, qui est la plus grande tragédie humaine du moment ayant entraîné plus de trente mille morts civils, le blocus inefficace contre le Qatar ou encore le kidnapping l'année dernière du premier ministre libanais, ne sont que quelques exemples de la politique étrangère désastreuse de ce pays que Riyad essaie d'étouffer. 
C'est pour empêcher que ces sujets deviennent des sujets de préoccupation internationale que les saoudiens agissent de la sorte afin que le cas canadien sert d'exemple à d'autres pays qui seraient tentés de critiquer ce pays tant en ce qui concerne ses manquements flagrants  aux principes de droits de l'homme que sa politique étrangère désastreuse. Il faut également mentionner le rôle que Washington joue en tant qu'allié saoudien. Les attaques de Trump à l'encontre du Canada et de son premier ministre lors du dernier sommet du G7 ont également hardi les saoudiens dans leurs attaques. 
In fine, ils cherchent, par le biais de leur puissance financière à empêcher toute forme de critique à leur encontre. 

Cette confrontation opposant les deux pays n'a pas entraîné de réelles réactions de solidarité des autres pays du G7 envers Ottawa. Comment expliquer cette frilosité ?

Ce silence, voir même collusion avec les saoudiens, comme c'est le cas des Etats-Unis, est un véritable scandal. En effet, il renforce les Saoudiens dans leurs convictions qu'ils peuvent agir avec impunité. Que leur puissance financière et les perspectives de vente d'armes des pays du G7 sont suffisant pour acculer les pays occidentaux au silence. L'attitude du premier ministre canadien, Justin Trudeau, qui a refusé de s'excuser, est à cet égard exemplaire. Ça démontre qu'il y a encore en Occident des responsables politiques qui ne sont pas disposés à sacrifier leur principe sur l'autel de quelques contrats d'émargement ou de projets d'investissement qui souvent relèvent davantage de vaines promesses que de réelles réalisations. 
Le cas canadien est révélateur. Les exportations canadiennes vers l'Arabie Saoudite ne représentent guère qu'un peu plus d'un milliard d'euros soit même pas 0,5% des exportations canadiennes. Les vrais conséquences négatives seront assumées par les étudiants saoudiens qui ont moins d'un mois pour quitter le Canada sans réelles solutions d'intégrer d'autres facultés étrangères. Le seul pays qui profite réellement de l'argent saoudien, ou de ce qu'il en reste, sont les Etats-Unis qui monopolise les grands contrats d'armements ou d'infrastructures. La France, pour sa part, qui a accueilli il y a peu le prince héritier saoudien, est loin d'avoir un comportement irréprochable puisque malgré ses relations historiques avec le Canada, Paris est resté quasi muet sur la question.
Il faut rappeler que les finances saoudiennes sont loin d'être aussi mirobolantes que l'imagerie occidentale le conçoit. Le Fond Monétaire International a même souligné, il y a trois ans, qu'à ce rythme, l'Arabie saoudite serait cash out à l'horizon 2020. Les réserves financières saoudiennes ont été divisés par trois ces dernières années du fait de la guerre au Yémen et globalement de la politique aventurière de Riyad. La diplomatie du portefeuille saoudienne, pour être opérationnelle, a besoin d'un portefeuille bien rempli. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Les saoudiens jouent donc avec la perception des pays tiers de leur capacité financière afin de les acculer au silence. Ce fut notamment le cas avec les perspectives d'achats de la Rafale ou encore le projet de TGV de la ligne dite d'Allah, reliant la Mecque et Médine. Des promesses faites à la France qui sont restées lettre morte. 

Que risque Riyad en agissant ainsi ? Que pourrait produire une manifestation commune de solidarité des pays du G7 sur cette question ? 

Riyad ne risque pas grand chose au vu du silence des pays du G7 et de l'Occident en general. Par contre, l'Occident risque beaucoup. Ainsi, une telle collusion par le silence a empêché l'Occident de reconnaître les véritables enjeux qui menacent ses intérêts. Le cas de Daech est révélateur. Alors que la moitié des effectifs de cette armée de fanatique était composée de saoudiens et que l'ensemble de ses adeptes se revendiquait du wahhabisme saoudien, le doigt n'a jamais été pointé sur Riyad. Incontestablement, les sources de financements et d'approvisionnement en armes de ce mouvement provenaient de l'Arabie Saoudite, chose que les saoudiens ne contestent même pas se contentant de dire que ce n'est pas l'Etat saoudien qui est derrière ces financements mais des particuliers et des "œuvres caritatives" saoudiennes.
C'est ainsi qu'alors que 15 des 19 terroristes du 11 septembre étaient des saoudiens peu nombreux sont les voix que se sont élevés à l'encontre de Riyad. C'est pareil pour les financements de Medressah et autres fondations religieuses à travers le monde qui graduellement transforme l'islam en une religion de plus en réactionnaire sous l'emprise du Wahhabisme saoudien. 
Si l'Occident devait avoir une attitude solidaire et unique face a l'Arabie Saoudite, ce pays ne pourrait plus mener sa campagne de menace, de sanctions et d'intimidation. L'impunité de ce pays dans les exactions qu'il fait subir au Yémen cesserait et l'islam,dans sa version Wahhabite, arrêterait de servir d'idéologie dans cette véritable guerre de civilisation qui menace l'Occident.  

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