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Manque de neige dans les stations alpines : pourquoi la saison n’est pas encore perdue
©Reuters

Manteau blanc

Les périodes de Noël et du nouvel an sont souvent essentielles pour une station de ski. Or, cet hiver s'avère assez pingre en matière de neige. In fine, l'impact économique touche plusieurs domaines : les machines qui tournent à vide ou les hotels. Mais le manque de neige peut aussi être un avantage... en contraignant les skieurs à choisir des stations plus hautes et donc plus chères.

Cécile Coléou

Cécile Coléou

Cécile Coléou est coordinatrice des prévisions des risques d'avalanches au Centre d'Etudes de la Neige - Météo France.

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Yariv Abehsera

Yariv Abehsera

Yariv Abehsera est Président du groupe Travelfactory.

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Hugues  François

Hugues François

Hugues François est docteur en économie, administrateur de la BD Stations. Il s'intéresse aux ressources territoriales, à l'ancrage territorial des stations, et à la modélisation des domaines skiables.

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Atlantico : Les stations de ski avaient cruellement manqué de neige l'an dernier à la même époque. Où en est le manteau neigeux cette année ? 

Cécile Coléou : L'enneigement naturel dans les Alpes est déficitaire partout pour une mi-décembre, et plus particulièrement dans les Alpes du Sud.

Dans les Alpes du Nord, l'enneigement naturel est partout faible, déficitaire à hauteur de 50 % environ. En versant nord, l'enneigement débute généralement entre 1000 et 1200 m d'altitude, 1500 ou 1600 m dans les massifs des Grandes Rousses et de l'Oisans. En versant sud, il débute nettement plus haut : souvent autour de 2000 m, plus (2200 à 2400 m) dans les massifs internes. En versant nord, on trouve à 1500 m en général 10 à 20 cm de neige, mais quasiment rien en Haute-Maurienne, Grandes Rousses et Oisans. À 2000 m, l'épaisseur du manteau neigeux est souvent comprise entre 30 et 40 cm ; elle atteint cependant 50 à 55 cm dans les Bauges et Belledonne, mais ne dépasse pas à l'inverse 15 à 25 cm en Haute-Maurienne et en Oisans. À 2500 m, l'épaisseur de neige est comprise en versant sud entre 5 et 35 cm selon le massif ; en versant nord, elle atteint le plus souvent 60 à 80 cm, mais ne dépasse pas 45 cm en Haute-Maurienne.

Dans les Alpes du Sud, l'enneigement naturel est extrêmement faible dans l'ensemble des massifs avec un déficit atteignant souvent 80 %, parfois plus. En versant sud, la neige est absente jusqu'à très haute altitude (2800 m). En versant nord, l'enneigement débute au-dessus de 2000 m voire 2200 à 2400 m dans les massifs des Alpes-Maritimes. À 2500 m, l'épaisseur de la couche de neige ne dépasse généralement pas 10 à 15 cm, 3 à 5 cm dans les massifs les plus au sud.

Même si aujourd'hui les températures sont assez douces, certaines stations ont pu faire de la neige de culture sur leurs pistes grâce à deux épisodes de chute de neige significatifs à la fin du mois de novembre. 

De la neige est-elle prévue pour Noël ?

Cécile Coléou : Aucune précipitation n'est prévue dans les prochains jours jusqu'au week-end. En revanche, une nouvelle perturbation est en vue dans la semaine suivante. Mais cette prévision reste à confirmer.

Quels sont les impacts économiques du faible enneigement dans les stations ?

Yariv Abehsera : Depuis 3 semaines, les tendances de réservation globales sur le marché pour la semaine de Noël ne sont vraiment pas bonnes avec un taux de remplissage de l’ordre de 50 à 60% dans les résidences et les hôtels (contre 80% l'an dernier pour la même période). L’impact sur l’industrie globale est forcément important quand on sait que Noël et le Jour de l’An représentent pour nous plus de 30% du chiffre d’affaires d’une saison de ski. 

Actuellement, nous enregistrons sur notre site une baisse des réservations de 6%. Mais on ne sait pas encore mesurer si les clients qui n’ont pas réservé pour février vont partir soit en janvier soit sur des courts séjours en février ou en mars. Ce qui est certain, c’est que si cela ne se reporte pas on aura un impact significatif en termes de perte de clients sur l’industrie de la montagne à la fin de la saison.

Dans cet écosystème, les résidences et les hôtels vont bien sûr être touchés. Mais ce sont les remontées mécaniques qui vivent cet impact économique le plus fortement. Chaque jour qui passe sans client est perdue. C’est de la " denrée périssable " : on ne peut pas refaire de la clientèle dans ce domaine.

Cependant, du point de vue du client, avec une assurance manque de neige, celui qui ne veut plus partir peut annuler son voyage et être remboursé intégralement avec une attestation de la station de ski mentionnant que moins de 30% de son domaine skiable est ouvert. Cette assurance a fait beaucoup de bien aux clients car elle a permis de casser ce point anxiogène lié au manque de neige. Grâce à la mise en place de ce dispositif au moment des réservations sur notre site pour cette saison, notre chiffre d'affaires global est en croissance par rapport à la saison dernière.

A cela vient s’ajouter un phénomène de vases communicants. On assiste en effet à un basculement des réservations dans les stations de moyenne altitude vers des réservations dans les stations de haute altitude telles que Val Thorens, les Ménuires ou La Plagne. Dans cette configuration, les vacances coûtent plus cher et le panier moyen est donc plus élevé.


Avez-vous pu déterminer une typologie de cette clientèle ?

Yariv Abehsera : Nous observons deux types de clientèle. Il y a d’abord celle qui veut faire son séjour à la montagne pour l’évasion-neige et le bien-vivre à la montagne et qui prend ses précautions pour avoir le bon produit. Ces clients qui réservent tôt représentent 35 à 40% du marché. Viennent ensuite ceux qui devaient réserver début décembre et qui vont attendre la dernière minute au regard du manque de neige. Cette clientèle qui va acheter en dernière minute en fonction du prix et des conditions d’enneigement représente aussi 35 à 40% du marché. Le reste est constitué par ceux qui ne savent pas s’ils vont aller au ski pour des raisons économiques aléatoires et qui ont des comportements que l’on retrouve dans les deux catégories de clientèle précédentes.

Certaines stations ont notamment pris le parti d'ouvrir plus tard leur saison afin de préserver le manteau neigeux. Quelles sont les autres moyens mis en place pour tenter de lutter contre les conséquences économiques de ce faible enneigement ?

Yariv Abehsera : Certaines stations ont effectivement décidé de n’ouvrir que pour Noël pour étaler leurs charges et leurs comptes d’exploitation parce que le marché ne répondait pas forcément avant. On assiste aujourd’hui à une maturité de l’industrie qui consiste à dire que cela ne sert à rien de garder des remontées mécaniques qui tournent à vide. Caler leur date d’ouverture le 12 décembre pour faire un coup marketing sans avoir l’assurance de la neige représente un coût trop considérable.

Le démarrage de saison a rarement été aussi chaotique que ces deux dernières années. On ne peut pas éluder la question liée au réchauffement climatique. En réponse, la quasi-totalité des stations de moyenne et de haute altitude sont extrêmement bien équipées en canons à neige et en neige artificielle. Mais faut-il encore qu’il fasse froid ! Des températures négatives sont nécessaires.

Cette année, il a neigé au mois de novembre, ce qui a constitué le premier manteau neigeux. Ensuite il a fait froid, donc les stations ont fabriqué de la neige pour la stocker, ce qui va leur permettre d’ouvrir partiellement leur domaine. Aujourd’hui, les stations redoutent un réchauffement des températures pour les jours qui arrivent entraînant l’impossibilité de fabriquer à nouveau de la neige pour faire tenir ce manteau neigeux quand les vacanciers de Noël et du Jour de l’An vont arriver.

Face au traumatisme lié au manque de neige de l’an dernier, les stations de ski se sont relativement bien équipées en termes d’animations alternatives pour pouvoir répondre (randonnée, chiens de traineau, spas, piscines, etc). De nombreuses solutions alternatives sont en train de se mettre en place station par station afin que les vacances à la montagne ne ramènent pas forcément au ski, mais aussi au dépaysement et au bien-être.

Toutes les stations de ski ne sont pas touchées de la même manière par le manque de neige. D’après les projections climatiques des scientifiques, il sera encore possible de skier en 2100, avec 3 ou 4° de plus, à partir de 2500m. Cela signifie-t-il que les petites stations sont amenées à disparaître ?

Yariv Abehsera : Lorsque j’ai créé ma société il y a 20 ans, c’est la question que je me suis posée afin de savoir si mon business model était pérenne. Le réchauffement climatique n’allait-il pas tuer la poule dans l’œuf ? On sait que dans 10, 15 ou 20 ans on pourra encore skier au-dessus de 2000 mètres d’altitude, c’est prouvé scientifiquement. Maintenant, de nombreuses stations de moyenne et de basse altitude vont connaître des problèmes d’enneigement et vont devoir revoir leur business model. Il est évident que les stations à 1200 mètres d’altitude ne pourront pas assurer la promesse du ski sur 12 semaines minimum. La question du retour sur investissement des infrastructures de remontées mécaniques va se poser. Maintenir à flots un investissement aussi lourd que celui des remontées mécaniques au regard d’une saison qui risquerait de ne durer que 6 semaines au lieu de 16 aujourd’hui constitue une véritable problématique industrielle. Les stations de moyenne et de basse altitude risquent d’y être confrontées d’ici une quinzaine d’années.

A mon sens, il faut faire évoluer la vision du ski. Il faut savoir qu’en France nous sommes des enfants gâtés de la neige : nous avons toujours connu des stations avec un retour des pistes skis aux pieds, ce qui n’existe ni en Autriche, ni au Canada, ni aux Etats-Unis par exemple. C’est peut-être cela qui va changer. On ira en montagne dans un village et on ira skier en altitude.

François Hugues : Les petites stations de ski sont en effet dans des situations économiquestrès compliquées, car elles se retrouvent souvent sans neige à Noel et ont déjà du mal àcouvrir leur frais de fonctionnement et à renouveler leurséquipements, donc elles ne vont pas pouvoir investir dans des canons à neige, et avoir l'assurance de garantie neige que les stations de haute altitude ont, si le temps est assez froidElles ont donc une viabilité économique limitée, même si elles ont pris l'habitude de ne pas compter sur Noel, où elles savent que l'enneigement est très aléatoire et qu'elles doivent diversifier leurs activités montagne (cela représente un peu près 20 % de leur chiffre d'affaire).

Ce qui est ennuyeux, c'est que ce phénomène impacte économiquement l'ensemble du territoire, car le ski est un produit d'appel qui attire beaucoup de touristes français et étranger, ainsi que la population locale. Le ski génère un véritable flux économique, qui comprend les commerces de proximité dans les stations de ski, la construction de bâtimentsect… La baisse d'enneigement sur la période de Noel a donc un impact économique sur l'ensemble du territoire.

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