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“Manifeste contre la rigueur” de  Krugman et Layard : un constat juste, des solutions aberrantes
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Aux ploucs économistes... Et aux autres

Paul Krugman et Richard Layard ont publié, dans le Financial Times, un texte virulent contre les politiques qui vantent la rigueur budgétaire, qu'ils ont appelé à faire signer sous forme de pétition. Si ce constat économique est incontestable, leur solution de relance par une intensification des dépenses publiques est totalement inappropriée... Création de monnaie, dévaluation ou annulation d'une partie des dettes publiques et privées, là sont les mesures vraies.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Il y a, au fond du texte de Paul Krugman et Richard Layard, publié dans le Financial Times, un message à décoder. Et désolé, chers lecteurs, pour le vocabulaire utilisé ici, mais les économistes sont rarement des poètes  : 

« un certain nombre de ploucs de l’analyse économique (des gens qui aiment se faire passer pour des ultra-orthodoxes afin de mieux dissimuler leur ignorance crasse), très bien payés et très reliés aux machineries médiatiques, on ne va pas les nommer tellement ils sont nombreux, passent leur temps depuis des années à faire des liens entre les finances publiques et les taux d’intérêt : les déficits et les dettes induiraient un krach obligataire (sous entendu des ploucs : il faudrait faire des efforts d’équilibrage budgétaire, même en phase de crise, Ricardo et tout ça) (sous-entendu dans le sous-entendu des ploucs : vendez votre assurance-vie adossée aux obligations assimilables du Trésor). Or ces ploucs ont eu complètement tort autrefois et plus encore aujourd’hui, regardez les taux nominaux à 10 ans des pays souverains dans leurs monnaies (États-Unis, Royaume-Uni, Japon, Suisse, Suède, et dans une mesure moindre Allemagne et France) qui rôdent en dessous de 2%, et parfois en dessous d’1%, en dépit des montagnes de dettes. Même pour la Grèce, il ne s’agit pas d’une crise née des finances publiques, à la base. Il faudrait peut-être un jour que tous ces ploucs (souvent pro-allemands) s’excusent une bonne fois pour toute, car leur malfaisance sociétale est considérable dans une phase de récession-déflation comme celle que traverse la zone euro. Amitiés, signé Paul et Richard ».

Est-ce que Krugman et Layard ont tort ?

La réponse est non.Est-ce que la direction dans laquelle Krugman et Layard veulent nous emmener (à partir de leur constat qui est très exact) serait la bonne ? La réponse est plutôt non.

Je vais vous expliquer ces deux points. 1/ Ceux qui dénoncent les politiques d’austérité dans les phases basses du cycle ont raison, mais 2/ ça ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire (surtout dans un pays comme la France où les gains de productivité dans le secteur public sont clairement lamentables depuis des décennies). A mon avis : si les ploucs ne savent pas ce qu’ils disent, Krugman et Layard, eux, ne disent pas tout ce qu’ils savent...

Ceux qui « budgétisent » cette crise ont eu tout faux sur tout...

Ils mettent l’accent sur la dette publique qui est "riquiqui" face à la dette privée (après des années de bulles immobilières), ils ont fait perdre des sommes fabuleuses aux institutions financières qui avaient acheté des instruments de protection contre la hausse des taux, ils confondent les causes et les symptômes (la crise amène les déficits, bien plus que l’inverse), et au passage ils mettent de la morale et de la vertu partout et en particulier là où il n’y en a jamais eu (les comptes publics sont tous des marécages insondables et des pyramides à la Madoff, mais cela ne sert à rien de le dire : date des Grecs et peut-être même des Sumériens).

Tant que la "racaille budgétariste" pro Tea Party et pro-allemande n’aura pas été défragmentée au napalm (et il faut reconnaître à Krugman un certain talent en la matière sur son blog, lisez aussi Ambrose Evans-Pritchard ou Martin Wolf), l’effet boule de neige de la dette publique et privée aura de beaux jours en zone euro, avec au final des troubles politiques certains.

On serre la vis en haut de cycle, pas en bas : c’est la base. Les Allemands, qui prétendent serrer la vis aux autres, ne le font plus pour eux : en dépit d’un stock de dettes publiques de 80 points de PIB (ce qui n’est pas rien dans un pays qui n’a pas de fonds de pension, qui ne fait pas beaucoup d’enfants, où la croissance moyenne depuis 20 ans est très exactement celle du Japon, et où la plupart des sauvetages bancaires n’ont pas été plus budgétés que la sortie du nucléaire), leurs dépenses publiques depuis 4 ans sont bien plus dynamiques que dans tout autre grand pays de l’OCDE (le champion de la rigueur pendant la crise étant l’Italie de Berlusconi, mais chut il ne faut surtout pas le dire car ce n’est pas politiquement correct).

Occupons nous d’abord de la croissance, de la monnaie, et les finances publiques suivront
. Krugman (diplômé d’économie au MIT) : 1 - Angela Merkel (diplômée de l’Université Karl Marx de Leipzig) : 0.

Cela ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire...

Mais une détente monétaire marquée (façon France 1959 ou Suède 1994 : dévaluation massive) permettrait à la fois une amélioration de la croissance nominale, de l’emploi et une marge de manœuvre pour plus de sérieux budgétaire tout de suite et même quelques réformes structurelles : Krugman le sait mais il ne le dit pas !

Et c’est là que les gens comme lui (des universitaires keynésiens, le plus souvent) s’emportent : tout à leur joie d’avoir eu raison contre les ploucs, ils surenchérissent dans un programme "dépensolâtre" qui fait peu de cas du long terme (les incitations à entreprendre, à épargner), de la psychologie fragile des marchés (la crise née des restrictions monétaires fait baisser les taux, certes, mais attention, il y a aussi plein de ploucs sur les marchés) et de la productivité dans les services publics. Ils ressuscitent le mauvais Keynes, celui des grands machineries hydrauliques où la politique monétaire fait figure de parent pauvre pour d’obscures raison de « trappe à liquidité » (trappe qui n’existe que dans leur très riche imagination conceptuelle : même au Japon, quand une banque centrale agit vraiment, il y a des effets).

Leur estimation du multiplicateur budgétaire est pour le moins idéologique, comme on l’a souvent vu avec les déboires de l’administration Obama. Ils oublient que le New Deal n’a pas fait du bien à l’économie : la sortie de la crise à partir de 1933 est liée à une dévaluation de plus de 60%, sans mystère. Leur angélisme pré-Public Choice est souvent confondant : les décideurs publics seraient infaillibles et soucieux de l’intérêt général (comme j’ai grandi dans le Nord-Pas-de-Calais, au moins, j’ai vite été vacciné contre de telles inepties).

Ils font semblant de penser que le drame de l’Europe du Sud est un manque d’infrastructures publiques (alors qu’elles sont déjà très généreusement financées ; le drame est celui d’un manque de capital pour le secteur privé, d’autant que ce capital part ailleurs). Bref, ils font de la politique, comme les Tea Party, ce qui est logique à quelques mois des élections (je parle des élections qui comptent bien sûr, celles du 2 novembre : les nôtres n’avaient aucun intérêt et fort heureusement aucune portée). Le message qu’ils diffusent pourrait à la rigueur convenir au monde anglo-saxon, mais certainement pas à la France où depuis plus de 30 ans, le moindre argument est utilisé pour doper nos performances en procrastination (différer la réforme des administrations publiques, la réforme des retraites et la réforme du marché du travail).   

Comme je ne poursuis pas pour ma part un agenda très politique (je suis un ancien républicain libéral tendance Reagan, ce qui n’est pas très à la mode à Paris), je peux vous dire les choses sans trop d’arrière-pensées : il faut lire Scott Sumner, lire les auteurs qui réclament une vaste détente monétaire, et organiser une rébellion contre la tyrannie de la BCE, qui se réunit ce jour pour de nouvelles vilénies idéologiques déguisées en mesures pragmatiques (nous sommes le 4 juillet, cela devrait nous inspirer). Créons de la monnaie, dévaluons ou annulons une partie des dettes publiques et privées, et nous pourrons ensuite nous offrir une jolie baisse des dépenses publiques en pourcentage du PIB jointe à une libéralisation sauvage des marchés : cela porte un nom et a d'ailleurs bien marché, cela s’appelle le plan De Gaulle / Jacques Rueff, et il est bien curieux que les « gaullistes » de l’UMP n’en parlent pas.

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