Malika Sorel : « La préférence étrangère imposée par les élites politiques a fini par se muer en discrimination négative pour les Français de souche »<!-- --> | Atlantico.fr
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Malika Sorel publie Les dindons de la farce aux éditions Albin Michel.
Malika Sorel publie Les dindons de la farce aux éditions Albin Michel.
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Anti préférence nationale

Malika Sorel publie « Les dindons de la farce » aux éditions Albin Michel. Comme beaucoup de Français, Malika Sorel-Sutter est choquée par ce qu'il faut bien appeler la désagrégation des valeurs qui ont fait la France. Le déni du réel des uns a fini par doper le sectarisme des autres. Dans ce contexte, les Français éprouvent le pénible sentiment d'être les dindons de la farce.

Malika Sorel-Sutter

Malika Sorel-Sutter est Ancien membre du Haut Conseil à l’intégration. Auteur de Décomposition française (Fayard, 2015) qui a reçu le prix « Honneur et Patrie » de la Société des Membres de la Légion d’Honneur

 

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Atlantico : Qui sont les dindons de la farce qui font le titre de votre livre, dont le sous-titre est par ailleurs « en finir avec la culpabilité coloniale » ? Et qui a organisé la farce ?

Malika Sorel : Cette expression m’est venue à l’esprit à la fin d’un colloque que nous organisions au Haut Conseil à l’Intégration sur les problèmes de laïcité au sein des trois fonctions publiques – d'État, hospitalière et territoriale – lorsqu’une femme d’origine maghrébine est venue me dire sa grande inquiétude face à la naïveté des Français, incapables à ses yeux de réfléchir à ce qui advenait et semblant, pour beaucoup, sourds et imperméables aux signaux envoyés par des lanceurs d’alerte et autres sentinelles. Dans mon livre, j’explique le terme arabe « niya » qu’elle emploie alors pour les décrire.  Ce terme très instructif qualifie une personne incapable de tirer quelque enseignement de ses épreuves, et qui inspire de ce fait souvent de la pitié, mais jamais ni considération ni respect. Là réside le nœud de bien des problèmes qui frappent la société française, de plus en plus perçue comme indigne de respect, ce qui se traduit concrètement par une délégitimation de l’autorité de ceux qui apparaissent comme incarnant l’État, forces de l’ordre ou enseignants par exemple.

Il est une autre catégorie de dindons de la farce, ce sont les enfants de l’immigration extra-européenne qui ont fait le choix de l’assimilation et réalisent que, finalement, la prime va à la non-assimilation, pour une raison fort simple à comprendre : le maintien d’importants flux migratoires alors même qu’une part de l’immigration déjà présente sur le sol français n’a pas réussi son assimilation a conduit au réenracinement culturel dans la communauté d’origine, d’autant plus aisément que les sociétés d’origine renouaient avec la religion comme principe organisateur de la cité. Aussi, les politiques ont besoin de relais au sein de ces populations pour jouer le rôle de rabatteurs de bulletin de vote. Ceux des enfants de l’immigration qui se sont assimilés ne peuvent pas jouer ce rôle. De ce fait, ils ne présentent plus guère d’intérêt pour personne. Et c’est bien parce que les élites ont violé le Code civil qui imposait que l’assimilation précède l’octroi de la nationalité française, et donc du droit de vote, que nous en sommes arrivés à cette situation. Comme je l’illustre dans mon livre, beaucoup ont versé dans le clientélisme par le biais des accommodements et autres concessions sur le respect des principes républicains. C’est ce clientélisme qui a conduit au séparatisme culturel puisque chaque diaspora, pour pouvoir peser dans le jeu politique, n’a nul intérêt à laisser ses membres lui échapper et s’assimiler. Au fil du temps, la pression s’est accrue sur chaque enfant et famille de l’immigration, rendant leur intégration culturelle encore plus compliquée.

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La préférence étrangère a été institutionnalisée au travers des politiques de diversité et de discrimination positive qui se sont déployées dans tous les secteurs : politiques, entreprises, médias... La classe politique se trouve à présent piégée, et la France dans une situation préoccupante. La discrimination positive a fini par se muer en discrimination négative pour les Français de souche et assimilés qui sont les dindons de la farce.

Dès l’introduction, vous démontez d’une argumentation ravageuse nos illusions en matière d’intégration (ou d’assimilation). Pour vous, nous n’en sommes plus capables. Pourquoi ?

Les Français se sont bercés de l’illusion que leur société était capable d’assimiler tous ceux qui foulaient le sol de la terre de France, ce qui est totalement contraire à la vérité des faits. Il suffit de rappeler ici que seul un Italien sur trois s’est assimilé, en dépit de la grande proximité culturelle qui existe entre les Français et les Italiens. Il était donc prévisible que des populations qui ne partagent pas cette proximité culturelle avec le peuple français et qui, de plus, ont un lourd contentieux avec la France du fait de la colonisation, ne pourraient faire mieux. Deux questions majeures auraient dû s’imposer d’elles-mêmes : de quelle capacité d'intégration culturelle et d’assimilation la société française dispose-t-elle, et de quelle capacité d'intégration-assimilation les nouveaux migrants disposent-ils eux-mêmes ? Comme je le développe dans mon livre, mille et un signes témoignent du fait que l’intégration culturelle s’est grippée et qu’elle n’est au demeurant pas systématiquement désirée ; que l’école elle-même est dans une incapacité croissante à assurer sa mission de formation des citoyens de demain ; que la question du déclassement et de l’appauvrissement d’une part croissante de la population devient chaque jour plus explosive. La prime à la non-assimilation, que je viens d’évoquer, joue un rôle de premier plan, de même que les discours accusant la terre d’accueil d’être responsable et coupable de tous les maux, quand il fallait au contraire rappeler sans cesse l’importance considérable des budgets que l’État consacre aux politiques d’accueil. Grâce à la France, la plupart des migrants ont réalisé un bond socio-économique inenvisageable dans leur pays d’origine. Ironie du sort, une part d’entre eux en vient à haïr la France et aduler leur pays d’origine, qui est pourtant la cause de leur émigration. C’est dire à quel point l’approche par la culpabilisation et la repentance a entravé le processus de tissage de liens de fraternité indispensable au vivre ensemble.

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La France compte désormais 9 millions de pauvres, et cependant l’État persiste à accueillir chaque année plusieurs centaines de milliers de personnes dont une grande partie viendra grossir ce nombre. Des candidats à l’élection présidentielle proposent que le Parlement vote de nouveaux flux migratoires, tandis que d’autres ne voient aucun lien entre déclassement et flux migratoires. Tout parent qui persisterait  à adopter de nouveaux enfants alors même qu’il s’est révélé incapable de  créer les conditions d’une vie familiale harmonieuse, serait perçu comme irresponsable. Une part des élites semblent atteintes de surdité ou pire, d’indifférence.

Dans mon livre, j’évoque beaucoup d’autres fragilités de la société française qui l’ont rendue vulnérable, une société qui a trop longtemps persisté à se croire forte et puissante... Prendre conscience de la multitude des faiblesses que je prends le soin de détailler est le premier pas vers un sursaut devenu urgent car vital.

Vous ne vous arrêtez pas dans votre livre sur la question ultra-polémique du grand remplacement. Et encore moins à la notion de remigration mise au cœur de la campagne par Éric Zemmour.  Néanmoins, vous écrivez « Si la préservation de la cohésion nationale avait primé, certains partis, certains polémistes n’existeraient pas. Le dernier en date est tout à la fois un symptôme, un révélateur et une conséquence ». Que partagez-vous, ou non, avec Éric Zemmour ?

Je voudrais tout d’abord rappeler que le concept de remplacement émane non pas de Renaud Camus comme cela est souvent dit, mais de l’ONU qui, dès 2000, a posé sur la table la question suivante : « Replacement Migration: Is it a Solution to Declining and Ageing Populations? » Il n’y avait là aucun dessein, simplement une interrogation à laquelle les élites occidentales auraient pu répondre par le déploiement de politiques publiques sages, responsables et respectueuses des Constitutions de leurs peuples. Pour ce faire, les gouvernants disposaient d’une multitude de leviers.

Quant à votre question sur ce qui me rapproche ou m’éloigne d’Éric Zemmour, ma réponse ne pourra être, ici, que partielle. Bien sûr, il y a sa vision de la femme, à mes yeux rédhibitoire. Pour lui, la « féminisation est responsable de la stagnation économique et intellectuelle de l’Europe ». Même en Algérie où j’ai fait une partie de mes études, dont l’École Polytechnique d’Alger, je n’ai rien entendu de tel envers les femmes, qui ont d’ailleurs investi tous les secteurs de l’économie !

Dans mon livre, je n’élude aucune des questions qui angoissent, à juste titre, une part croissante de l’opinion publique. J’insiste même sur le fait que si l'assimilation se produit de moins en moins, alors, en raison même de l’importance des flux migratoires extra-européens, de l’existence d’un différentiel de fécondité, et de la nature du solde migratoire, la culture occidentale est appelée à devenir minoritaire, que ce soit en France ou dans nombre d’autres pays de l’Union Européenne, par le simple jeu de l'arithmétique. Dans la mesure où la culture fonde l'identité profonde, à savoir les principes et valeurs qui structurent le projet de société, c’est bien le destin du peuple politique qui se joue ici. C’est d’ailleurs là que se trouve la source de l'insécurité existentielle qui s'est emparée de la société. Durant cette rachitique campagne présidentielle, les médias n’ont eu de cesse de parler dynamiques électorales, de prolonger des courbes d’intention de vote, de guetter les croisements potentiels, faisant la preuve que les médias savent, lorsqu’ils le veulent, manier ces concepts mathématiques fort simples. Nous aurions dû pouvoir débattre sereinement de tous ces sujets essentiels pour le devenir du projet collectif, mais pour un certain nombre de raisons, y compris imputables à Éric Zemmour lui-même, cela a été impossible. D’emblée, il a enfourché une approche simpliste de l’identité porteuse d’une forme de violence et illustrée par sa focalisation sur  les prénoms (celui d’Hapsatou Sy fut qualifié « d’insulte à la France »)  et par sa proposition politique de remigration.

Soyons sérieux, aucun chef des Armées, dans un moment de gravité aussi important que celui que traverse la France, ne peut se permettre de composer ses troupes autrement qu’en considérant la capacité de chacun à s’engager à « défendre la France de son mieux », pour reprendre l’expression du résistant Marc Bloch. À l’approche de la francité d’Éric Zemmour, j’oppose celle d'une francité par le cœur et de l’esprit. Les hommes et les femmes doivent être jugés seulement sur leurs actes et comportements envers la France et son peuple, et sur leur capacité à participer à en assurer la continuité historique.

Vous consacrez un chapitre entier à la misogynie dont vous estimez qu’elle explique une bonne part du renoncement français à l’assimilation des nouveaux venus. Pourquoi ?

Je suis convaincue du fait que c’est la misogynie des sociétés occidentales, à commencer par celle des élites, qui les a empêchées de réagir. Je pose la question : la réaction des

sociétés occidentales aurait-elle été différente si les flux migratoires s'étaient accompagnés d'une remise en question du statut des hommes et d'atteintes à leur liberté, plutôt que de s'accompagner d'une remise en question du statut des femmes et de leur liberté ? Il n'y a là, à mes yeux, pas l’ombre d’un doute ! J’explique aussi, études à l’appui, que cette misogynie peut tout aussi bien émaner des femmes elles-mêmes. C’est pourquoi nous devons sortir de l'approche stérile et surtout contre-productive d’un combat entre les sexes. Beaucoup d’hommes sont les alliés des femmes et, pour rien au monde, ne souhaitent que notre société régresse sur le plan des relations entre les hommes et les femmes.

Malika Sorel publie « Les dindons de la farce » aux éditions Albin Michel

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