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Malgré la crise, l’Arabie saoudite continue à investir dans l’Art pour tenter de dissimuler ses atteintes aux droits de l’homme
©FAYEZ NURELDINE / AFP

Live Nation

Après des décisions sur la fin de la lapidation et de la peine de mort pour les mineurs, l'Arabie saoudite multiplie les investissements. 500 millions de dollars d’actions de la société internationale de spectacles Live Nation ont ainsi été achetés par l'Arabie saoudite.

Sébastien  Boussois

Sébastien Boussois

Sébastien Boussois est Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Docteur en sciences politiques, chercheur Moyen-Orient relations euro-arabes/ terrorisme et radicalisation, enseignant en relations internationales, collaborateur scientifique du CECID (Université Libre de Bruxelles), de l'OMAN (UQAM Montréal) et consultant de SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism). Il est l'auteur de Pays du Golfe les dessous d’une crise mondiale (Armand Colin, 2019), de Sauver la mer Morte, un enjeu pour la paix au Proche-Orient ? (Armand Colin) et Daech, la suite (éditions de l'Aube).

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Alors que l’Arabie Saoudite a contribué récemment à accentuer le chaos économique mondial depuis le début de la pandémie et provoquer la récession, voilà qu’elle entame désormais des opérations sporadiques mais symboliques d’investissement en puisant dans son fonds souverain pour s’offrir du « soft power » à un moment crucial de la crise pour nombre d’entreprises notamment culturelles sur la planète.  Pourtant, en matière de droits humains, les quelques effets d’annonce récents, comme la fin de la lapidation et de la peine de morts pour les mineurs, ne compensent pas les graves atteintes permanentes connus de tous et ne permettent toujours pas de parler d’un vent de modernisation dans le pays. Le pays joue un va-tout en profitant de la chute des cours de la bourse pour investir et redorer son blason.

La décision unilatérale de Riyad d’augmenter sa production de pétrole ces dernières semaines a provoqué la chute du cours des prix sur la planète et mis en difficulté nombre d’économies nationales. Du coup, par mesures de représailles, de grands pays se détournent d’elle pour le moment, ce qui ne sera probablement que provisoire, pour la sanctionner : à commencer par son partenaire indéfectible, Donald Trump, qui a exigé de Mohamed Ben Salmane qu’il réduise sa production en menaçant le pays d’un retrait des soldats américains ; et la Chine qui s’est rapproché un peu plus encore de la Russie pour se fournir en pétrole. Tentant de survivre, et de mener tout de front (économie-société-image), le prince héritier MBS fait désormais feu de tout bois en profitant de sa cagnotte de secours, le fonds souverain saoudien, poussant ses intérêts  dans des entreprises internationales au plus mal alors que la bourse s’est effondrée dans le même temps. C’était le cas il y a quelques semaines avec Total, et Shell, notamment, qui ont profité des capitaux du Royaume.

Mais depuis quelques mois, le pays vise un autre secteur que l’énergétique et le « hard power »: il s’intéresse aux loisirs, pourtant peu promus à l’intérieur. En janvier dernier, il accueillait le Rallye Dakar, suscitant le tollé d’un certain nombre d’organisations des droits de l’homme qui reprochaient à l’organisateur de s’être fait acheté. Mohamed Ben Salmane commença alors à tenter de redorer l’image de l’Arabie Saoudite, après le blocus contre le Qatar, la guerre au Yémen, l’affaire des purges contre ses riches coreligionnaires, l’assassinat de Khashoggi, et l’éternelle question des droits des femmes. Le pays n’a pas la féérie d’un parc Disneyland, personne n’en doutait. Mais MBS poursuit son entreprise pour essayer de montrer un pays capitaliste à visage humain. C’est ce qui s’est passé tout récemment avec l’achat pour 500 millions de dollars d’actions de la société internationale de spectacles Live Nation entertainment, en faisant de son pays le troisième actionnaire principal. Plus grosse entreprise de spectacles au monde, intégrant la billetterie, les concerts, le management et les partenariats connexes, Live Nation entertainment est une mine d’or hors période de pandémie. De 75 dollars en février à 29 dollars, la société accusait une chute de son action de près de 40%. MBS ne s’y est pas trompé : peu de temps après l’annonce de son investissement, l’action de Live Nation reprenait plus de 2%.

MBS se prend-il d’intérêt soudain pour Madonna, Craig David, Shakira, et près de 250 artistes reflets de la société occidentale sans tabous et libres ? Compte-t-il s’inspirer de la liberté de ton d’un certain nombre d’artistes de la plus grande société de spectacles au monde pour son propre pays ? Compte-t-il les faire venir au pays une fois que la tempête sera passée, même les plus récalcitrants ? Profitant maintenant de la crise pour mettre en place quelques éléments embryonnaires de sa fameuse Vision 2030 qui bat de l’aile, censée permettre un développement durable au pays par la libéralisation et la diversification, le pays place ses pions dans une entreprise frappée de plein fouet par la pandémie et l’arrêt total dans le monde de toutes ses tournées et concerts. C’est de la pure stratégie de dissimulation par l’art : dissimulation de sa politique par une promotion de la culture. Les Emirats Arabes unis font pareil depuis des années : participer à la guerre au Yémen ayant fait plus de 100 000 morts et accueillir l’exposition universelle Dubaï 2020.

Beaucoup de médias ont relayé l’information de l’achat saoudien des actions de Live Nation mais peu ont repris les derniers témoignages glaçants de femmes tunisiennes rentrées au pays fin 2019 parlant de leur condition d’esclaves à qui on avait retiré leurs papiers et leur dignité. Tout comme les Ethiopiens expulsés de force récemment pendant la pandémie, dans des conditions dramatiques et au risque de propager l’épidémie de Covid-19. Est-ce que les artistes de Live Nation oseront évoquer toutes ces situations humaines terrifiantes à leur employeur quand les concerts reprendront ? Peut-on éthiquement accepter cela lorsque l’on est un phare de la culture occidentale, tout ce qu’abhorrent les wahhabites et salafistes en général ?

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