Mal-être au travail : y a-t-il ou non un problème spécifiquement français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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De quelle manière la France peut-elle faire évoluer les conditions de travail pour améliorer le bien-être et la santé des travailleurs ?
De quelle manière la France peut-elle faire évoluer les conditions de travail pour améliorer le bien-être et la santé des travailleurs ?
©Richard Villalon / Getty Images / Stock Adobe.com / DR

Conditions de travail

Alors que la question des carrières plus longues se pose avec la réforme des retraites, la France est en retard au niveau de la santé au travail par rapport à de nombreux pays européens.

Caroline Diard

Caroline Diard

Caroline Diard est professeur associé au département Droit des Affaires et Ressources Humaines à la Toulouse Business School.

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Atlantico : Face à la réforme des retraites et à l'allongement de la durée de travail, pourquoi les Français sont-ils anxieux de travailler plus longtemps ?

Caroline Diard : L'allongement de la durée de cotisations, signifie travailler plus tard, donc plus vieux. Cela questionne la notion de santé au travail et de pénibilité.

Partir plus tard à la retraite peut induire des fins de carrière ponctuées d'arrêts de travail.

Il serait pertinent d'évoquer davantage l'aménagement des fins de carrières. (Organisation différente des tâches et du temps de travail; reconversions, prévention).

A noter que des mesures existent déjà en faveur des séniors notamment en matière d'accès à l'emploi. De même, il existe un Compte professionnel de prévention. Il définit des seuils et des durées annuelles minimums d'exposition pour 6 facteurs de risques professionnels. Ce compte permet l'accumulation de points qui concourent à une majoration des trimestres cotisés. Le projet de loi propose l'élargissement du dispositif.

Alors que l’on parle des sujets des retraites, avec une carrière plus longue, la France semble en retard au niveau de la santé au travail par rapport à l’Europe. Y a-t-il un problème spécifiquement français ?

Nous avons des spécificités, mais je ne pense pas qu’il y ait un problème spécifiquement français. En France, il y a un arsenal assez important avec des institutions comme l’INRS ou l’Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). Le côté juridique est aussi présent, avec la médecine du travail et des contrôles obligatoires et facultatifs. Le passeport prévention, dont les modalités viennent d'être précisées par décret, indique la volonté du gouvernement français de mettre en place de la prévention des risques dans le secteur du travail. Il y a donc des spécificités françaises. En revanche, les chiffres montrent que la France a un problème car il y a plus de difficultés à gérer des problématiques de santé mentale. Je pense qu’il est nécessaire de regarder ces chiffres avec du recul. Les problèmes de santé mentale se sont développés relativement récemment et la crise sanitaire n’y est pas pour rien. Le salarié, un citoyen, s’inscrit dans un contexte ou environnement anxiogène depuis maintenant trois ans. Donc la santé mentale a été mise à mal. Il faut savoir qu’il y a des situations de harcèlement qui n'apparaissaient pas avant et qui sont arrivées pendant le confinement. Mais aussi des problèmes de burn-out qui n'étaient pas toujours signalées auparavant. Pour moi, le contexte de crise a fait que nous avons précipité des personnes dans des situations compliquées. Ce qui provoque des problèmes de santé physique et mentale.

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L’OCDE indique que les accidents du travail en 2022 sont deux fois plus élevés en France qu’en moyenne en Europe. Comment expliquer ce phénomène alors que le travail à domicile en France est plutôt plus développé qu’en moyenne en Europe ?

On peut parler de la culture de la déclaration de l’accident du travail. En France, nous sommes tellement dans une culture normée (inspection du travail, les Prud’hommes, la responsabilité pénale), que les employeurs n’ont pas la crainte de faire la déclaration. C’est une manière de montrer que nous sommes de bonne foi dès le départ et éviter des contentieux par la suite. Dans les autres pays européens, je ne sais pas s’ils possèdent la même culture de la prévention de l’information, de l’obligation de déclarer. En France, nous avons 48 heures pour faire la déclaration d'AT. C’est culturel, lorsqu’il y a un accident du travail, les Français vont respecter la procédure par crainte de contentieux ultérieur. Est-ce que dans les autres pays européens les règles sont identiques ? Je ne peux pas le dire mais cela pourrait être une piste pour répondre à la question.

En ce qui concerne la France, cela fait déjà quelques années que nous sommes vraiment dans la prévention et dans la formation à celle-ci. Par exemple, depuis deux ou trois ans, l’INRS a lancé une campagne de sensibilisation dans les écoles. Des défis, des jeux de rôle et des modules de e-learning, conçus par l’institut, sont proposés aux jeunes qui finissent par obtenir un passeport nommé de type « manager responsable ». Le but est d’expliquer à un jeune, qui n’a pas encore eu de fonction managériale, ce qu’il risque. Comment il doit former, quels sont les risques de santé mentale et psycho-sociaux, toutes ces questions sont expliquées directement aux étudiants (université, écoles d’ingénieur…). . L’Anact aussi travaille beaucoup avec les entreprises, les écoles et sont très dynamiques sur des conférences. Tout ceci veut dire finalement que la France est acculturée à la prévention.

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En France, la proportion des actifs qui déclarent des problèmes de stress, de dépression ou d’anxiété est plus élevée que la moyenne européenne. C’est le cas aussi pour le domaine du harcèlement et des violences ou menaces de violences. Pourquoi les Français sont-ils plus susceptibles de faire face à ces problèmes ?

Pour expliquer pourquoi dans les autres pays européens il y a moins de problème de santé mentale, on peut sûrement parler de leur protection qui est moindre. L’arrêt de travail est peut-être plus compliqué à avoir et indemnisé d’une autre façon. Aujourd’hui, si vous ne vous sentez pas bien ou déprimé, le médecin peut délivrer un arrêt de plusieurs semaines tout en ayant vos indemnités journalières de sécurité sociale. Ces indemnités peuvent être complétées par l'employeur . Le système permet de soutenir un salarié qui est dépressif. Cela peut donc aussi être une explication. En France, il y a une protection qui est tout de même importante. Car il y aura les indemnités journalières de sécurité sociale et à partir du huitième jour, il y a le complément employeur. Ce qui est relativement confortable. Et dans notre pays, des contrats de prévoyance sont présents et sont obligatoires pour les cadres notamment.

De plus, j’en reviens à la prévention qui est faite en France. Comme les personnes sont sensibilisées à ces problèmes de stress, de dépression ou de violence, ils l’expriment. Si vous n’avez jamais entendu parler de harcèlement, est-ce que vous y pensez ? Honnêtement, non. Avant 2001, on ne parlait pas de harcèlement au travail, c’était un problème relationnel. Aujourd’hui, si la situation se passe, le salarié va l’exprimer, ce qui signifie la saisine de la  médecine du travail voire l'inspection du travail par la suite. Dans le sens contraire, un manager est susceptible de proposer une semaine de repos à un de ses salariés qui ne se sent pas bien. On préfère cela que des troubles liés au travail au travail. Les Français sont beaucoup plus acculturés à cela qu’il y a 20 ans.

Peut-on dire que la France est la mauvaise élève de l’Europe en santé du travail ?

Je ne suis pas d’accord avec le terme de « mauvais élève » car la France possède un arsenal, managérial ou juridique, pour protéger les gens. Je pense que nous faisons les choses relativement bien. Après, au niveau des chiffres, forcément les notes de l’élève ne sont pas bonnes. Peut-être parce qu’il est trop honnête et qu’il ne triche pas. Si vous ne déclarez pas les accidents, il est évident que les statistiques seront positives. Sans sensibilisation, les salariés ne peuvent pas détecter ces troubles et ne vont pas consulter les médecins. En France, la connaissance en matière de santé et de sécurité au travail s'est développée.

De quelle manière la France peut-elle améliorer les conditions de travail ?

Cela peut se faire sur l’organisation du travail. C'est-à-dire le fait de travailler moins, à domicile ou dans des bureaux de voisinage. Les conditions pourraient être améliorées aussi à travers l’ambiance de travail au sens large (bruit, température, collectif de travail). Je pense que les modes d’organisation peuvent être un levier pour nous, et c’est quelque chose dont on parle beaucoup dans la presse en ce moment. Si vous travaillez en 3x8, ce n’est pas pareil qu’un cadre qui exerce de chez lui. En termes de qualité de vie au travail, les organisations qui sont propres à chaque activité et entreprises vont avoir un rôle sur la santé . Le cadre, de son côté, va se sentir tout seul chez lui et son isolement pourrait présenter un risque de dépression. En revanche, le salarié qui travaille en 3x8 sera épuisé car il a un rythme de sommeil décalé. Donc le levier que nous avons serait de trouver un moyen de faire travailler les personnes dans des conditions qui sont moins fatigantes pour le corps et l’esprit.

Caroline Diard

Enseignant chercheur à l’ESC Amiens

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