Mais qui sont les (ex) pauvres qui ont récupéré les 1900 milliards de dollars perdus par les milliardaires de la planète en 2022 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un montage des portraits d'Elon Musk et de Bernard Arnault.
Un montage des portraits d'Elon Musk et de Bernard Arnault.
©Getty Images North America / AFP

Inculture économique, épisode 872

Comme chaque année, le rapport Oxfam et ses propositions de taxation des milliardaires ont suscité de multiples commentaires. Et souligné l’inculture économique profonde de nombre de responsables politiques.

Pierre Bentata

Pierre Bentata

Pierre Bentata est Maître de conférences à la Faculté de Droit et Science Politique d'Aix Marseille Université. 

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Atlantico : L'ONG Oxfam dénonce "la concentration extrême des richesses" et veut "abolir" les milliardaires. Dans quelle mesure les calculs et les chiffres avancés sur la fortune de ces milliardaires sont-ils erronés ?

Pierre Bentata : La question n’est pas de l’exactitude. En fait ils jouent volontairement sur une confusion qui fait que les chiffres paraissent incroyables mais n’ont aucun sens. Lorsque l’on s’intéresse aux plus pauvres et aux revenus moyens, ils regardent les revenus. Et lorsqu’ils regardent les plus riches, ils font attention au patrimoine (capitalisation boursière). C’est déjà très difficile à calculer scientifiquement mais là ils comparent des salaires à des valeurs d’entreprise ce qui n’a aucun sens pour 3 raisons :

- La première c’est qu’on compare un stock à un flux,

- puis une valeur fictive à un revenu réel

- et des ménages à des capitalisations d’entreprise.

C’est ubuesque, cela mène à des comparaisons qui n’ont aucun sens comme comparer nos revenus à l’endettement de la France.

Elon Musk est un bon exemple. Il est considéré comme l’un des hommes les plus riches de la planète mais il dit souvent qu’il n’a rien car il a tout investi dans ses entreprises. Techniquement il est obligé d’appeler sa banque pour acheter quoique ce soit. Il y a une vraie différence entre la valeur des entreprises gérées par Elon Musk et sa fortune personnelle. Quand on regarde l’effondrement de la valorisation de Tesla, on comprend bien que ce ne sont pas des revenus. Dans ce cas la Oxfam aurait dû préciser qu’Elon Musk n’est plus riche du tout puisque c’est celui qui a le plus subi les contre-coup de ces dernières années, sa fortune aurait été divisée par 2.

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En 2022, les milliardaires ont perdu 1900 milliards de dollars selon l’Oxfam, qui en a profité dans ce cas ?

Cela montre la malhonnêteté intellectuelle que l’on ne peut pas considérer comme de l’incompétence. Ils devraient considérer que les moments de crises sont excellents puisque ce sont les marchés financiers qui subissent la crise. Puisque ce que vous possédez sur les marchés financiers est égal à votre revenu, ils devraient considérer que les 2 dernières années sont excellentes. Mais dans le même temps ils précisent que la pauvreté s’est accélérée. À aucun endroit ils comparent les deux évènements, il y a quelque chose de malhonnête.

Autre problème, la définition de la richesse n’est jamais donnée chez Oxfam. Quand ils disent que 63% de la richesse sont captés par les 1% les plus riches, les données de l’Insee et d’Eurostat montrent bien comment est répartie la richesse. La valeur d’un pays, c’est son PIB qui est la somme des valeurs ajoutées. Et lorsqu’on regarde ce chiffre et la répartition, on observe qu’il y a un peu plus de 80% de la valeur ajoutée qui est alloué aux rémunérations des salariés. Il ne peut y avoir 80% qui est donné aux salariés et en même temps une aspiration des 63% des richesses par les 1% les plus riches ça ne fait pas sens. Mais ici encore ils font un package ou parfois ils vont regarder la valeur ajoutée et le PIB et d’autres fois ils regardent des capitalisations boursières. Ce sont 2 choses qui n’ont réellement rien à voir sur le plan économique.

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En 2013, Thomas Piketty prédisait que l’augmentation inexorable des inégalités entraînerait la chute du capitalisme. Ce fut aussi l’année où elles cessèrent de croître…

Non. C’est la même logique de Mélenchon qui disait qu’il allait mettre en place un impôt sur la fortune et au-dessus de X argent, il prend tout pour financer un chèque étudiant. La logique économique basique est que si vous faites cela, il n’y aura plus rien l’année suivante. Ça peut marcher une fois « par surprise » mais on ne peut financer les flux avec ça.

Il y a eu une tentative similaire avec l’ISF. Cette suppression de l’ISF n’a pas fait baisser les recettes fiscales et n’a pas créé plus de pauvres. La Suède avait un impôt sur le patrimoine auparavant. En voyant les foyers fiscaux et les recettes fiscales baisser, ils ont aboli cet impôt. Conséquence, augmentation des recettes fiscales et un retour des hauts patrimoines.

Un Impôt comme cela va grever davantage l’activité des entreprises, les entrepreneurs auront moins d’intérêt à travailler et il n’y aura pas d’effets de reports ou de redistribution.

On pouvait considérer qu’il y avait une forme d’inculture économique au regard des rapports précédents qui mesuraient le niveau de pauvreté en fonction de l’endettement à la banque -ce qui n’a encore une fois aucun sens- mais ici ils comparent des chiffres sur les marchés financiers qui augmentent avec des revenus qu’ils ont vu stagner.

C’est la pandémie et le gouvernement qui ont générés l’enrichissement des plus riches et l’appauvrissement des plus pauvres.

Au-delà de toutes ces erreurs, les questions de fond ont une certaine légitimité. Comment réfléchir à ces questions sans tomber dans les travers d’Oxfam ?

Quand on regarde historiquement, la bonne solution à la pauvreté nous l’avons. Il y a une baisse du niveau de pauvreté absolue donc les gens qui sont les plus dans le besoin sont ceux qui évoluent le mieux -bien que des richesses s’agrandissent en parallèle. 

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Vous voulez lutter contre les riches ou lutter contre la pauvreté ? Le système de marché ne permet pas de faire les deux, il faut d’abord se poser la bonne question. Le déterminant fondamental de la pauvreté c’est le lieu de vie, bien que celui des inégalités soit corrélé au capital culturel, social, etc…

Si l’objectif est de lutter contre l’extrême pauvreté il faut aider la transition rapide des pays les plus pauvres en promouvant le développement. Soit l’inverse de ce que propose Oxfam.

Si on veut résoudre le problème des inégalités, il faut prendre le problème différemment. Tout est une question de priorisation des objectifs et de quels moyens on met en place pour y arriver tout en sachant que pour la plupart ils sont contradictoires. 

Comment peut-on s’atteler aux problématiques de la méritocratie, etc qui viennent s’intercaler dans ce débat-là ?

Cette question nécessite de sortir des jugements de valeurs et d’analyser les systèmes de marché. On s’aperçoit rapidement qu’il est difficile de juger du succès ou de l’échec de quelqu’un au mérite. La question du mérite est compliquée à mesurer car il y a une part de mérite certes, mais aussi une part de chance. L’État a un rôle à jouer dans la formation des individus lorsqu’il y a au départ des inégalités sociales et culturelles. La vraie question en termes d’éducation est comment former des gens au départ non favorisés par le système ? Comment favoriser l’entreprenariat, l’enrichissement, etc..

Mais comme nous sommes dans un pays et un système éducatif qui ne favorise que la reproduction sociale et que dès que quelqu’un réussi, il est pointé du doigt, c’est compliqué de sortir les gens de la pauvreté. Nous avons créé un environnement social et un système de formation qui va à l’opposer de l’effet recherché au départ.

Si nous voulions trouver une forme de taxation des milliardaires, qu’est-ce qui pourrait avoir plus de sens économiquement ?

Une taxe directe sur le revenu, sur le capital ne fonctionne pas. La stratégie de la taxe n’a pas prouvé son efficacité, il faut trouver d’autres moyens. Des concertations et des négociations avec des entreprises sont nécessaires pour trouver un bon système. Les effets délétères des taxes sont souvent bien plus importants que les effets attendus.

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