Mais qui bloque l'open data santé en France ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’un des intérêts de la démarche open data en santé consiste, par son modèle d’ouverture, à accélérer le progrès scientifique.
L’un des intérêts de la démarche open data en santé consiste, par son modèle d’ouverture, à accélérer le progrès scientifique.
©Reuters

Corporations

La France est en retard sur l'open data en matière de santé. L'explication tient au conservatisme des professions médicales et de l'assurance maladie malgré l'intérêt économique et sanitaire non négligeable de la question.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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L’accès aux données de santé collectée par l’assurance maladie obligatoire devient un enjeu crucial, et de plus en plus polémique. Voici pourquoi la France a un intérêt économique à agir vite sur ce dossier et à, enfin, se rallier au principe de l’open data.

La génomique, un exemple réussi de démarche scientifique en open data

Les Français le savent peu et ne le voient pas encore, mais l’une des plus grandes révolutions scientifiques contemporaines provient de la génomique, c’est-à-dire de l’étude du rôle et du fonctionnement du génome, spécialement dans les maladies qui affectent le corps humain. Dans cette discipline, le séquençage du génome humain, qui consiste au fond à déchiffrer toutes les combinaisons possibles du génome, est un objectif en soi, à la fois chronophage et gigantesque.

Compte tenu de la taille de ce projet, qui tient presque à la constitution de la plus grande bibliothèque génomique du monde, les scientifiques ont rapidement opté pour le travail en open data, c’est-à-dire en constitution de bases de données ouverte à l’ensemble de la communauté scientifique. D’une certaine manière, la génomique constitue même la première expérience d’open data dans le monde, et la matrice de tous les open data.

L’enjeu du séquençage n’est pas seulement le déchiffrage, il est aussi curatif. L’open data du génome permet d’anticiper l’évolution des maladies et donc de pratiquer des politiques de prévention individuelle destinée à améliorer l’espérance de vie humaine. Les retombées économiques de cet effort scientifique sont considérables.

Ainsi, l’open data génomique québécois considère que la recherche génomique aux États-Unis a permis de créer 310.000 emplois aux États-Unis, et d’apporter 20 milliards de dollars de ressources nettes.

On mesure immédiatement l’intérêt de mettre en place des dispositifs de recherche scientifique qui sortent des organigrammes habituels et qui fédèrent, en réseau, toutes les forces vives, toutes les expertises et toutes les compétences dédiées au sujet.

La question de l’open data en santé

L’un des intérêts de la démarche open data en santé consiste, par son modèle d’ouverture, à accélérer le progrès scientifique et à favoriser les démarches de prévention en santé publique. Celles-ci sont à la fois économiques pour la santé humaine, puisqu’elles augmentent l’espérance de vie, et économiques pour la société, puisqu’elle est facteur de prospérité.

Par extension, nombreux sont ceux qui revendiquent aujourd’hui une ouverture aux données de santé détenues par l’assurance maladie. Ils arguent du fait que, grâce à cette ouverture, les acteurs de la société civile concernés par ce dossier pourraient challenger la médecine de ville et encourager à des pratiques plus vertueuses qui amélioreraient l’état de santé de la population. La caricature de la dérive où l’opacité régnante nous conduit est croquée par le Médiator : ce médicament anti-obésité était prescrit de façon dangereuse, mais sans aucune transparence pour le public, comme anti-diabétique.

Avec un open data en santé publique, le scandale du Mediator ne se serait probablement pas produit : la société civile aurait alerté avec des chiffres à l’appui sur l’utilisation dangereuse et inappropriée d’un médicament potentiellement mortel.

Tout l’intérêt de l’open data est là : dans une transparence sur les pratiques de la médecine de ville, qui permet d’identifier les comportements prescripteurs à risque, et dans une meilleure connaissance des pathologies et de leurs risques. Il s’agit donc d’une démarche vertueuse pour l’état de santé collectif, porteuse de fortes réductions de dépense pour notre système de soins, ce qui n’est pas un luxe par les temps qui courent.

Une opposition des médecins de ville

Bien entendu, l’ensemble des praticiens médicaux a bien compris le risque qui pesait sur l’opacité de leurs choix et de leurs comportements. Aujourd’hui, le médecin est seul à décider de ses prescriptions. Dès lors que celles-ci sont susceptibles d’être analysées et comparées à la moyenne des prescriptions, cette solitude est rompue et le médecin se trouve « challengé ».

Sans surprise, les syndicats de médecins s’opposent donc régulièrement à l’open data en santé, au nom de la protection de l’anonymat et autres biais qui servent à appâter l’opinion. On trouvera abondance de dénonciations de ce genre dans la presse professionnelle.

D’une certaine façon, l’opposition des médecins à la transparence des données de santé peut se comprendre dans la mesure où ceux-ci seront les premiers perdants de l’opération. Moins aisée à expliquer est l’opposition de la caisse nationale d’assurance maladie à toute forme de partage des données qu’elle détient. Ou que d’autres pourraient détenir à sa place.

Ce fut par exemple le cas dans l’affaire Fourmi Santé, où la CNAM a roulé des mécaniques pour empêcher un opérateur privé de comparer les tarifs médicaux. Cette affaire est très emblématique du malaise qui entoure l’open data en santé : l’objectif de Fourmi Santé était d’établir une transparence sur les tarifs médicaux, démarche manifestement gênante pour les pouvoirs publics.

La sécurité sociale hostile à la gestion du risque

Cette hostilité de la CNAM à la gestion du risque par la transparence s’explique de façon simple : du jour où des opérateurs interrogent les pratiques médicales, ils instaurent une technique de gestion du risque dangereuse pour le système tout entier. Ces opérateurs risquent en effet de produire une information qui démontrera les insuffisances de la CNAM et son incapacité à contrôler effectivement les dépenses en mesurant leur qualité et leur opportunité.

D’un seul coup, démonstration pourrait être faite que la gestion du risque par la sécurité sociale n’est plus l’alpha et l’oméga de la qualité en France, mais au contraire qu’elle constitue un frein à l’efficacité et à une optimisation des dépenses de santé. Et cela, évidemment, c’est insupportable pour les pouvoirs publics.

C’est pourquoi la CNAM est l’un des acteurs qui maintient volontiers le mythe selon lequel l’ouverture des données de santé vise essentiellement à fournir la liste des maladies dont les Français sont affectés. Alors que les partisans de l’open data ont réglé cette affaire depuis longtemps en exigeant l’anonymat des données de santé, la préservation du mythe contraire est tenace et sert de paravent commode à un combat d’arrière-garde dont le seul objectif est de préserver des forteresses coûteuses.

Cet article a initialement été publié sur le blog d'EricVerhaeghe : Jusqu'ici tout va bien.

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