Mais quel imaginaire français veut vraiment capter Emmanuel Macron en se rendant au Mont-Saint-Michel ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Emmanuel Macron va visiter le Mont-Saint-Michel ce lundi 5 juin.
Emmanuel Macron va visiter le Mont-Saint-Michel ce lundi 5 juin.
©SAMEER AL-DOUMY / AFP

Visite symbolique

Emmanuel Macron visite la célébrissime abbaye normande ce lundi dans le cadre de la célébration du millénaire de ce qui est aussi le site touristique le plus visité de France en dehors de l’Île-de-France.

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

Voir la bio »
Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est délégué Education de Debout la France. Professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français, il est également l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012). 

Voir la bio »

Atlantico : Emmanuel Macron visite le Mont-Saint-Michel ce lundi, un lieu religieux millénaire, extrêmement touristique mais aussi politique puisque de nombreux présidents y ont défilé. Quelles symboliques porte le Mont-Saint Michel

Arnaud Benedetti : Il est l'empreinte de l'enracinement historique et spirituel du pays. Il est l'emblème de tout ce qui s'oppose aux déconstructions historiques. C'est le lieu du sacré qui dépasse les contingences de la post-modernité. Il est l'un des points nodaux de notre imaginaire national car il rappelle qu'un peuple ne peut être dissocié de son passé, sauf à vouloir le dissoudre pour le faire disparaître. Il rappelle qu'il y a des fondations d'ordre mythique et mystique dans la fabrique d'une nation. Cette rémanence-là n'est pas une survivance, car elle renvoie à ce qui de manière pérenne nous inscrit dans la profondeur de l’histoire. Le Mont-Saint-Michel est la réponse la plus aboutieà tous ceux qui obstruent la mémoire nationale de leurs pré-requis idéologiques. Il se dresse comme le rappel incommensurable des racines chrétiennes de la France. Il témoigne de la longévité qui conditionne et installe l'identité. Il est le lieu de mémoire par excellence qui oppose sa verticalité à tous les négationnistes qui s'évertuent à relativiser, voire à effacer une histoire qui puise ses origines dans l'articulation entre l'Eglise, l'Etat monarchique et un peuple qui fut massivement chrétien. Cette histoire s'est par la suite modifiée, voire désarticulée mais elle continue néanmoins à s'inscrire dans le temps long de notre conscience nationale, quand bien même d'aucuns souhaiteraient la subvertir, obsédés qu'ils sont à leur détestation de tout ce qui rappelle la genèse constitutive de l'identité de la France. Le passé pour les constructivistes de "l'homme nouveau" opère comme une marée qui leur rappelle le mouvement organique ou naturel de la vie enfouie des peuples.

Jean-Paul Brighelli : Le Mont-Saint-Michel, fondé en 708 mais bâti, tel que nous le connaissons, au XIIIe siècle, résume mille ans d’histoire de France. Peu de lieux sont aussi chargés d’histoire, et Emmanuel Macron tente, en s’y rendant, une greffe un peu tardive, en légère contradiction avec une politique ostensiblement tournée vers le futur, l’Europe et l’international. Allez savoir quels démons il prétend combattre, en se rendant dans la cité de l’archange…

A quel point le Mont Saint Michel fait-il partie, ou non, de l’imaginaire des Français ? A qui cela parle-t-il, ou non ?

Arnaud Benedetti : Aujourd'hui, seulement 29% des Français entre 18 et 59 ans se réclament du christianisme mais la déchristianisation n'a pas effacé le dépôt de la religion historique. Les paysages en témoignent, les prénoms aussi, les fêtes également. Je rajouterai les attaques frontales dont les catholiques notamment sont l'objet aussi. Ce dépôt a quelque chose de cristallin ; il est un fait culturel, d'appartenance d'autant plus en capacité de résister que des segments entiers de la société se sentent comme en danger, en dépossession de leur identité, de leur être. La "vieille France" se revivifie par la mémoire quand elle pressent qu'on veut la désosser mémoriellement, culturellement. Tous les wokismes qui opèrent sous différentes formes, visibles comme celles du Maire de Grenoble qui entend rayer les fêtes chrétiennes de notre calendrier ou plus sournoises parfois, réactivent une mémoire d'appartenance, populaire. Il faut par ailleurs bien comprendre que la France s'est construite autour de plusieurs récits : le récit politique au travers de l'Etat qui dès la monarchie a commencé à tracer une frontière avec l'Eglise, le récit religieux qui dès l'aube agrège des populations distinctes, éparpillées, leur insuffle leur cohérence et cohésion, le récit républicain qui à partir de la fin du XIXème siècle va procéder à une synthèse entre l'exigence du sacré qu'il puise pour une part dans la transcendance chrétienne des origines de la France et la nécessité d'une puissance publique qui organise la souveraineté nationale. Le Mont-Saint-Michel de ce point de vue est un marqueur fort, d'identification et d'amplification du sentiment national qui parle très largement aux Français. En s'y rendant le Président atteste de la vitalité de cet imaginaire, il en revient à une vision plus canonique de notre histoire et de notre passé, lui qui a par ailleurs paru tellement hésitant sur ce sujet, donnant par trop souvent des gages aux déconstructeurs. Ce pèlerinage au Mont à l'occasion du millénaire infirme les propos du candidat de 2017 sur l'absence d'une "culture française". Ce retour aux sources est salutaire.

Jean-Paul Brighelli : Avec plus de trois millions de visiteurs chaque année, le Mont est le monument le plus visité de France après Paris. Certes, la plupart d’entre eux n’entreprennent pas la visite complète du monument, auquel on accède par des escaliers pentus et interminables, et se contentent d’une omelette de la Mère Poulard, ou l’une de ses imitations. Mais il faut savoir que c’est la IIIe République, éminemment laïque, qui a restauré pierre après pierre les murailles et l’abbaye. Il y a peut-être dans la visite du président de la République un geste en direction des chrétiens, et plus largement en direction de tous ceux pour qui l’histoire de France l’emporte sur les péripéties mesquines du quotidien.

Que cherche Emmanuel Macron en se rendant au Mont-Saint-Michel, dans le contexte actuel ? Peut-il gagner des points ?

Arnaud Benedetti : Pour un président en grande difficulté, il existe deux manières d'essayer de s'affranchir des contingences immédiates : l'international ou la mémoire. La semaine qui commence sera marquée par un retour social et parlementaire de la question des retraites dans l'agenda politique. Confronté à une crise démocratique prégnante, lourde, éruptive, et à une absence de majorité à l'Assemblée, Emmanuel Macron va chercher dans le commémoratif l'exfoliant miraculeux pour essayer de se débarrasser des aspérités que sa pratique du pouvoir a pour une grande part suscité. Il faut nourrir le temps qui est censé tout éteindre, la contre-programmation commémorative a ainsi pour objet de concurrencer médiatiquement et donc politiquement la mobilisation sociale du 6 juin et la discussion le 8 juin autour de la proposition de loi du Groupe LIOT visant à abroger l'allongement de l'âge de départ à la retraite. En se retrempant dans les eaux du passé lointain, le Chef de l'Etat va chercher à se relégitimer par le biais du pouvoir thaumaturgique de l'histoire. Cette dernière a une fonction tutélaire dont l'usage vise à rassembler au moment même où l'exercice de l'hyper-clivage auquel a donné lieu le passage en force de la réforme des retraites a tendu jusqu'à son quasi point de rupture la relation entre une grande partie du corps social et le sommet de l'Etat. Alors que l'asphyxie démocratique n'a jamais été aussi intense depuis plusieurs décennies, combinant garrotage des démocraties sociales, parlementaires et directes, le chef de l'Etat entreprend encore une fois par le levier de la communication un pas de côté mémoriel pour tenter d'imposer une représentation de la réalité qui contrebalance le sentiment dominant d'un pouvoir peu à l'écoute, voire hostile même au sentiment démocratique. Emmanuel Macron essaye de réassembler par l'histoire le puzzle dont il a éparpillé les pièces par sa politique.

Jean-Paul Brighelli : Il avait, on s’en souvient, inauguré son premier quinquennat à Oradour. Veut-il placer le second sous la protection de l’archange qui vainquit jadis le démon ? Mais quels sont les démons qu’Emmanuel Macron cherche à vaincre, en ce moment ? Il éprouve sans doute un immense désir de sortir des polémiques au jour le jour, et cherche à s’élever au-dessus de la mêlée, comme disait jadis Romain Rolland.

D’un point de vue politique et électoral, que peut incarner, ou non, cette visite ?

Arnaud Benedetti : La stratégie présidentielle est de gagner du temps. Dans un premier temps il s'agit de se redonner de l'air dans les enquêtes d'opinion, de desserrer l'étau des colères et mécontentements, de réinstaller une autre perception collective du contexte. Sans doute il convient également d'user jusqu'au dernier fil sa première ministre avant de tenter de tourner la page de cette première année de second quinquennat. Pourrait venirensuite le moment d'un changement de braquet correspondant à la nomination d'un nouveau premier ministre, voire d'une dissolution ; encore faut-il pour que cette dernière soit efficiente s'assurer que l'étiage de l'opinion se rehausse au point de rendre possible un retour aux urnes. Institutionnellement, le Président ne pourra tenir son mandat à rapports de forces constants. Il sera contraint (reste à savoir quand) de prendre une initiative politique autre que des réglages à la marge ou des manœuvres communicantes. Toute la question est de savoir si cela est possible ou non, tant la situation démocratique du pays peut générer à tout instant l'un de ces basculements dont notre histoire politique est coutumière. Dans ces conditions, on comprend mieux pourquoi Emmanuel Macron tente de prendre du champ pour se "décliver". La réinscription dans le manteau de l'histoire obéit à n'en pas douter à cette stratégie. Tout l'enjeu est de savoir si le Président habite l'histoire de manière instrumentale ou authentique...

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !