Mais quel est le plan secret des Etats-Unis face à la Russie ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
L'annonce de l'accélération des livraisons d'armes à l'Ukraine et le fait de qualifier Vladimir Poutine de criminel de guerre suggèrent que les Etats-Unis ont un plan.
L'annonce de l'accélération des livraisons d'armes à l'Ukraine et le fait de qualifier Vladimir Poutine de criminel de guerre suggèrent que les Etats-Unis ont un plan.
©Jim WATSON, Grigory DUKOR / AFP / POOL

Guerre en Ukraine

Le discours de Joe Biden suite à l'intervention de Volodymir Zelensky devant le Congrès américain contenait une double inflexion stratégique discrète mais majeure. Même si on peut imaginer que le président américain gérait aussi son opinion publique, l'annonce de l'accélération des livraisons d'armes et de matériel militaire comme le fait de qualifier Vladimir Poutine de criminel de guerre suggère que les Etats-Unis ont un plan qui dépasse ce qu'ils en affichent. Mais lequel ? Livrer des armes, c'est quand même s'approcher de plus en plus de la co-belligérance et prendre le risque que Poutine le considère comme tel. Le traiter de criminel de guerre, c'est aussi suggérer qu'il n'y aurait pas d'issue négociée à la guerre. Un criminel de guerre, on va le chercher jusqu'à le mettre devant la CPI...

Michael Lambert

Michael Lambert

Michael Eric Lambert est analyste renseignement pour l’agence Pinkerton à Dublin et titulaire d’un doctorat en Histoire des relations internationales à Sorbonne Université en partenariat avec l’INSEAD.

Voir la bio »

Atlantico : Suite au discours de Volodymyr Zelensky devant le Congrès américain, Joe Biden a annoncé qu'il allait augmenter le soutien militaire à Kiev et lors d'un échange avec un journaliste, il a qualifié Vladimir Poutine de "criminel de guerre". Une déclaration que la porte-parole de la Maison Blanche, Jen Psaki, a tenté de rectifier en disant que le président avait parlé "avec son cœur" et "sur la base de ce qu'il a vu à la télévision, les actions barbares d'un dictateur brutal, en envahissant un pays étranger". Cela vous a-t-il surpris ? Est-ce l'incohérence et la désinvolture d'un président vieillissant ?

Michael Lambert : Il s'agit d'une stratégie de communication préétablie par la Maison Blanche, dans la mesure où l'on imagine mal le Président américain faire des déclarations impulsives. Cela étant, les déclarations du président Biden sont en phase avec la réalité et les informations qui lui parviennent quotidiennement, et dénoncent les violences et les atrocités perpétrées en temps de guerre.

Cette stratégie de communication met également l'accent sur le caractère illégal des exactions de la Russie en Ukraine, sur l'urgence humanitaire de la situation, et atteste du fait qu'aux yeux des Etats-Unis et du peuple américain, Poutine a perdu sa légitimité et n'est ni un diplomate, ni un président, ni même un chef militaire. Il devient ainsi un criminel de guerre.  

Avec de telles annonces, peut-on supposer que les Américains disposent d'informations que nous ne connaissons pas sur l'état réel de l'armée russe en Ukraine (grâce à des sources au Kremlin) ? Considèrent-ils qu'ils peuvent se permettre de prendre le risque de paraître co-belligérants car il suffirait maintenant d'une pichenette pour que les Russes s'effondrent ou reculent ?

C'est commettre une erreur stratégique que de penser que les forces armées russes sont confrontées à une situation problématique en Ukraine. À ce jour, le Kremlin n'a envoyé que certains des équipements militaires les plus anciens sur place, et on ne compte que peu d'équipements militaires modernes (absence de Su-35, Su-57, char T-14 Armata), ce qui indique que la Russie garde sa véritable puissance en réserve. 

À Lire Aussi

Ukraine : quelle porte de sortie offrir à Vladimir Poutine pour éviter une fuite en avant ?

Par ailleurs, les premiers jours d'un conflit, puisque nous en sommes encore à ce stade, sont ceux de la résistance et des positions stationnaires, comme l'a montré la guerre du Haut-Karabakh en 2020. Les percées les plus significatives se produisent une fois que la principale ligne de défense est tombée. Il est également important de rappeler qu'en cas de guerre, il ne faut pas dévoiler tout son potentiel, au risque de divulguer des renseignements à ses adversaires. La Russie n'utilise ainsi qu'une partie de son potentiel militaire, une stratégie déjà constatée lors de la guerre en Syrie où l'on a remarqué la présence d'équipements obsolètes soviétiques comme le Su-24.

Néanmoins, cela ne signifie pas que Moscou ne rencontre aucun obstacle sur le terrain, et il est évident que la résistance ukrainienne est plus féroce que Poutine ne l'avait envisagé, les pertes matérielles plus conséquentes que celles envisagées, et la résilience psychologique et diplomatique du président ukrainien tout à fait remarquable.

Pour Washington, il est donc primordial d'apporter un soutien fort à l'Ukraine car les Etats-Unis ont tout à y gagner. L'envoi de matériel militaire renforce les relations américano-ukrainiennes, ce qui est un atout indéniable car cela consolide les relations entre les Etats-Unis et l'ensemble de l'Europe (y compris la Moldavie et la Géorgie) par effet domino.

La guerre en Ukraine va également entraîner des commandes massives d'équipements militaires américains en Europe, tout particulièrement le F-35 de Lockheed Martin, car l'ensemble des pays vont augmenter leur budget militaire à au moins 2% du PIB (exigé par l'OTAN). L'envoi d'armes américaines témoigne de la qualité du matériel, et entraîne par conséquent des commandes. C'est donc un retour sur investissement assuré sur le long terme.

À Lire Aussi

Et si Poutine gagnait la guerre d’Ukraine…

Sur le plan stratégique, l'aide massive apportée aux Ukrainiens affaiblit considérablement l'armée russe. Bien que le matériel russe utilisé ne soit pas le plus moderne, chaque destruction de véhicule, de char, d'avion, chaque perte humaine du côté russe (un pays ou le taux de natalité est de 1.5 enfant par femme) effrite la politique du Kremlin. Ainsi, la Russie s'affaiblit de jour en jour, sur le plan économique mais aussi psychologique. Comme en Afghanistan (1979-1989), où les États-Unis ont aidé les moudjahidines contre Moscou, Washington aide l'Ukraine parce que la Maison Blanche sait pertinemment que la Russie ne sera pas en mesure de supporter des pertes sur une longue durée. De plus, chaque perte humaine subie par la Russie sur le terrain mobilise l'opinion publique russe qui s'oppose à la guerre en Ukraine.

Les Américains disposent-ils d'informations et/ou de plans pour une éventuelle révolution de palais ? Auraient-ils un candidat pour remplacer Poutine ? 

Pas à ma connaissance, les deux seules options connues à ce jour sont Dmitri Medvedev et Alexei Navalny, ce dernier étant en prison au moment de la rédaction de cet article. Cependant, les agences de renseignement américaines, notamment la CIA et la NSA, disposent d'informations auxquelles nous n'avons pas accès. 

En supposant qu'ils aient un candidat, quelle est la probabilité qu'un scénario de véritable changement politique au sommet de la Russie se produise ? La société et l'appareil d'État russe sont-ils prêts à adopter soudainement une philosophie politique démocratique beaucoup plus occidentale/libérale ? 

Les chances sont faibles, notamment parce que l'établissement d'un système démocratique nécessite des décennies et des générations pour être adopté en masse. À titre d'exemple, entre la Révolution de 1789 et la première véritable démocratie française de 1870, il y a eu trois monarchies constitutionnelles, deux républiques, deux empires et une guerre civile entre plusieurs communes insurrectionnelles françaises et le gouvernement de Versailles. À ce jour, le monde occidental lui-même ne compte qu'un seul pays qui correspond à une authentique démocratie : la Suisse.

Dans ce contexte, la seule possibilité d'établir une démocratie durable et saine en Russie serait de s'inspirer du modèle confédéral suisse, tous les autres formats ne pourront pas être mis en place durablement en raison de la géopolitique du territoire qui est trop vaste et conduit in fine à la recentralisation du pouvoir pour lutter contre les régionalismes (Tchétchènes et Sibériens notamment).

À Lire Aussi

Mobilisation générale des hommes ukrainiens : quid des femmes et de la guerre à l’heure de l’indifférenciation des genres ?

Cette idée d'un modèle suisse en Russie a été abandonnée après la mort de Lénine (il avait vécu en Suisse de 1914 à 1917 et s'en inspirait), moment clé de l'histoire mondiale où la Russie aurait pu devenir la plus grande démocratie du monde ou une dictature, et c'est malheureusement la dernière option qui s'est imposée. 

Les Etats-Unis sont-ils prêts à risquer un conflit ouvert avec la Russie en partant du principe qu'elle n'aura pas recours à l'option nucléaire et que le théâtre des opérations restera confiné à l'Europe de l'Est sans mettre en danger les Etats-Unis ?

Si l'option nucléaire était exclue, les États-Unis seraient en mesure de repousser facilement la Russie. En effet, les Etats-Unis disposent de technologies militaires connues telles que des avions de 5ème génération (F-22 et F-35) en abondance, des chars modernes (M-1A-2 Abrams), un réseau de satellites de très haute précision, des informations collectées et traitées par la NSA (15 000 employés pour un budget de 10 milliards de dollars) en quelques secondes, et cela sans compter l'excellence de la Marine américaine. Les États-Unis restent la puissance militaire incontestée du globe, qu'on en soit satisfait ou non, avec un budget annuel de 686,1 milliards de dollars. En comparaison, la Russie consacre à son budget de défense à peine 69 milliards de dollars par an.

Dans une guerre d'État à État (par opposition à une guerre asymétrique comme en Afghanistan et en Syrie), les États-Unis ne comptent aucun adversaire. En outre, il existe des technologies non officielles telles que le TR3-Black Manta (nom temporaire) dont les capacités sont encore inconnues, et les projets d'avions de 6e génération en cours de développement, pour ne citer que quelques exemples.

À Lire Aussi

Ces armes occidentales qui permettent aux Ukrainiens d’exploiter les failles de l’armée russe

La Russie a certes beaucoup de matériel mais peu d'équipements de qualité, et on pourrait ainsi imaginer qu'elle gagne contre des forces occidentales comme celles de la Suède (une armée d'excellence que l'on a tendance à sous-estimer), mais certainement pas contre les Etats-Unis et la Chine, les deux seules superpuissances.

Voilà le problème de cette guerre, s'il n'y avait pas la peur de l'arme nucléaire, un duo franco-allemand ou franco-britannique pourrait repousser la Russie sur son territoire. Telle est la raison pour laquelle Vladimir Poutine s'est empressé de brandir la menace nucléaire, car il sait pertinemment que ses troupes ne feraient pas le poids face à certaines armées occidentales. Comme lors de la Première Guerre mondiale, la peur du "rouleau compresseur russe" est essentiellement psychologique. A part quelques équipements modernes (S-400, Su-35, Su-57 et char T-14 Armata), la majeure partie d'entre eux remontent à l'époque soviétique ou aux années 2000. C'est pourquoi ce conflit ukrainien peut basculer d'un moment à l'autre. Si une puissance occidentale décidait d'intervenir en Ukraine, la Russie n'aurait que deux options : la défaite ou la riposte nucléaire.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !