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Gabriel Attal à l'Assemblée nationale, le 5 février 2024.
Gabriel Attal à l'Assemblée nationale, le 5 février 2024.
©Thomas SAMSON / AFP

Désoeuvrés semi-volontaires

Après plusieurs semaines d’hésitation, la ministre des Relations avec le Parlement a présenté lundi le programme des mois à venir. Quant au Parlement, on peut se demander s'il n'utilise pas assez ses moyens de contrôle.

Didier Maus

Didier Maus

Didier Maus est Président émérite de l’association française de droit constitutionnel et ancien maire de Samois-sur-Seine (2014-2020).

 

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Atlantico : Le fait de plus se saisir de ses missions de contrôle ne permettrait-il pas d'être plus efficace dans la gestion et le vote des lois ? Pourquoi le Parlement ne se saisit-il pas plus de ses missions de contrôle plutôt que de se désoler du vide du calendrier législatif ?

Didier Maus : Votre question reflète une idée assez généralement répandue selon laquelle le Parlement n’utilise pas assez ses moyens de contrôle. En réalité ce constat est largement faux. A la date d’aujourd’hui il existe à l’Assemblée nationale cinq commissions d’enquête : les raisons de la perte de la souveraineté alimentaire de la France ; les risques naturels majeurs dans les territoires d’outre-mer ; le montage juridique et financier du projet d’autoroute A 69 ; le modèle économique des crèches et la qualité de l’accueil des enfants ; l’attribution, le contenu et le contrôle des autorisations service de télévision à caractère national sur la TNT.

A cela il faut ajouter quarante-quatre missions d’information sur les sujets les plus divers : femmes et sport (égalité) ; ressources naturelles et terres rares ; Mayotte ; fiscalité de l’épargne ; ingérences étrangères dans les médias ; mineurs non accompagnés ; semaine de quatre jours… Il faut également ajouter les auditions régulières des commissions permanentes, des délégations ou des offices. La panorama est le même au Sénat. Ces activités donnent lieu à une vraie publicité (auditions ouvertes, retransmission à la télévision, communiqués…) et à des rapports. Il suffit de regarder l’agenda des réunions parlementaires sur le site de l’Assemblée nationale ou du Sénat pour constater l’intensité du contrôle parlementaire

Le sentiment de « vide » du travail parlementaire tient pour une large part soit au choix des sujets soit au fait que le contrôle ne se déroule pas dans l’hémicycle mais dans les salles de commission.  De plus l’année législative 2023 a été particulièrement active et animée avec les deux grands projets de loi sur les retraites et sur l’immigration, projets phares à tort ou à raison) du début du nouveau mandat présidentiel. La tradition parlementaire française accorde beaucoup plus d’importance au travail législatif que, par exemple, à « l’évaluation des politiques publiques », attribution inscrite pour la première fois dans la Constitution en 2008.

L’essentiel du temps parlementaire est consacré au contrôle, mais loin des décomptes de la séance publique.

Le rôle premier du Parlement est de voter la loi, c’est-à-dire de transformer en norme juridique un programme politique.

Avoir des missions de contrôle efficaces vis-à-vis du Parlement permettrait-il d'avoir également une meilleure exécution des lois ? (notamment sur les lois de finances, sur les prisons, sur certaines législations...)

La notion de « contrôle efficace » est particulièrement difficile à définir : s’agit-il, pour les parlementaires de la majorité, d’être critiques à l’égard du Gouvernement, donc du Président de la République ou de trouver l’équilibre idéal qui permet de critiquer sans contester ? Pour les parlementaires de l’opposition (ou des oppositions selon la terminologie post 2022) s’agit-il  porter le contrôle sur le terrain purement politique ou d’accepter d’entrer dans la logique d’un contrôle par rapport au contenu d’une politique qu’ils réprouvent ?

Ceci étant, il existe depuis de nombreuses années des suivis réguliers sur les lois de finances, les lois de financement de la sécurité sociale ou la décentralisation. Le Sénat avait montré l’exemple depuis longtemps, tant cette mission fait partie de son ADN, par exemple avec le contrôle de l’application des lois. Il serait parfaitement logique que les commissions compétentes des assemblées fassent le point quelques mois après l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle. On peut, à cet égard, aller plus loin qu’aujourd’hui. Encore faut-il ne jamais oublier que le Parlement est un corps politique dont les comportements reflètent l’objectif politique de ses membres et de leurs groupes.

Cela pourrait-il permettre de mieux évaluer la qualité, ou non, des missions des parlementaires ?

Il est évident qu’une meilleure liaison entre le contrôle et la législation est souhaitable. Une première mesure serait que les conclusions des commissions d’enquête fassent l’objet d’un débat dans l’hémicycle non pas au lendemain  de la publication du rapport, mais dans un délai de deux à trois mois après. Le Gouvernement aurait ainsi l’obligation de dire ce qu’il compte en faire. Un dialogue - et non une succession de monologues - pourrait permettre d’aller plus loin et de remplir les ordres du jour des semaines réservés au contrôle parlementaire. Il est anormal qu’au lendemain de sa publication le rapport de la commission soit oublié, relégué sur les rayons hauts d’une bibliothèque et ne devienne un objet d’intérêt que pour un futur thésard, lequel se demandera pourquoi il n’y pas eu de suites.

Évaluer nécessite un  suivi sur longue durée et ne peut se contenter  de péroraisons aux accents incantatoires et définitifs alors que l’action publique est une mécanique compliquée, précise et incertaine.

Contrairement aux sénateurs américains, les parlementaires français ne rédigent pas les lois. Le calendrier législatif ne serait-il pas mieux organisé si le Parlement pouvait écrire des lois en plus de les exécuter ?

Il est toujours essentiel de rappeler que la France et les États-Unis reposent sur des logiques constitutionnelles très différentes. Les États-Unis constituent une fédération de cinquante États qui s’est constituée progressivement au fur et à mesure de la chevauchée vers l’Ouest. La France est devenue ce qu’elle est au fil des siècles par des rattachements successifs, souvent forcés, à la Couronne de France. La Révolution n’a fait que prendre le relais avec la célèbre formule de la République « Une et Indivisible ». Les États-Unis sont organisés comme un régime présidentiel à forte séparation des pouvoirs, tandis que la France conserve, comme les autres pays européens, la forme du régime parlementaire. La Constitution comporte l’article 20, alinéa premier, qui dispose : « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». Sa primauté politique, sous la direction et l’impulsion  du Président de la République (sauf période de cohabitation) découle du texte même de la Constitution. Il lui revient donc naturellement de préparer les projets de lois nécessaires à la réalisation de sa politique et encore plus d’en assumer la responsabilité devant l’opinion (retraites, immigration…).

Il n’en demeure pas moins que les députés et sénateurs disposent de l’initiative législative en déposant des propositions. Cette possibilité est largement utilisée, souvent avec succès. Le rapport présenté, comme tous les ans, par Marion  Jolivet, directrice de la séance au Sénat, sur l’activité du Sénat relève, pour l’année 2022-2023, un record de l’initiative parlementaire: « On compte 29 propositions de loi parmi les 44 textes définitivement adoptés (65,9%). Jamais depuis le début de la Ve République, la part des propositions de loi dans les lois promulguées n’a atteint un niveau aussi élevé… » Il importe d’en tenir compte.

Le Parlement, c’est à la fois un cadre constitutionnel et règlementaire, des élus (députés et sénateurs), des groupes politiques (majorité et oppositions) et surtout une arithmétique  des votes. Ce mélange est instable. Il évolue au fil des circonstances avec des temps forts et des temps moins enfiévrés. La situation issue des élections de 2022 est très particulière, d’où parfois une impression de décalage entre la réalité et le ressenti.

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