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Mais pourquoi est-il si compliqué d’être de droite (et de la faire avancer) ?
©Sameer Al-Doumy / AFP

De Chirac à Zemmour...

La Convention de la Droite qui s'est tenue samedi à Paris et les hommages à Jacques Chirac ont montré qu'il est difficile de fixer ce que signifie être de droite.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Beaucoup ont retenu de la Convention de la droite qui s’est tenue ce samedi à Paris les deux discours d’Eric Zemmour et de Raphaël Enthoven, celui de Zemmour parce qu’il a choqué beaucoup de gens par la violence de ses propos sur l’islam ou l’immigration, celui de Raphael Enthoven parce qu’il pensait pouvoir prédire une absence d’avenir à la droite. Entre le «c’est-comme-ça» moralisateur d’Enthoven et le «c’était-mieux-avant» imprécatoire et de plus en plus paranoïaque de Zemmour, faut-il se résigner à l’impuissance ? 

Edouard Husson : La Convention de la droite a été très riche en points de vue divers. Quel autre événement aurait été capable de faire venir des personnalités, toutes de droites mais aussi diverses que Gilles-William Goldnadel, Frédéric Saint-Clair, Gilbert Collard, Fabrice Haccoun, Xavier Breton, Vijay Monany, Jean-Frédéric Poisson, Ivan Rioufol, Paul-Marie Couteaux ou Alexandre Pesey? Beaucoup ont parlé de Raphaël Enthoven mais d’autres personnes venues apporter la contradiction étaient beaucoup plus intéressantes à écouter: Elisabeth Lévy, Guillaume Bigot, Laurent Alexandre. Je cite tous ces noms parce que les médias n’ont pas pris le temps de les énumérer. Connait-on, par ailleurs, un autre événement politique français contemporain où l’on affirme un tel tropisme pour le conservatisme anglo-américain? La venue de Candace Owens à Paris est un véritable événement ! Gladden Pappin, moins connu, a fait un exposé remarquable sur les mutations contemporaines du conservatisme dans les pays de langue anglaise. Yoram Hazony, penseur décisif dans la mutation de la droite américaine vers un conservatisme nationiste, ne pouvant venir, a envoyé un message par vidéo. Je comprends bien qu’ensuite les médias aient préféré épingler le discours d’Eric Zemmour.  Pour ma part, j’ai trouvé que l’écrivain avait raté la cible. On connaît son courage, depuis des années, pour faire sauter les cadres de la bien-pensance des soixante-huitards et leurs héritiers. On a toutes les raisons de dénoncer l’odieuse comparaison que Gérard Noiriel prétend construire entre Eric Zemmour et le pamphlétaire antisémite de la fin du XIXè siècle, Edouard Drumont. Pour autant, Zemmour s’est trompé de lieu: il a proposé un pamphlet d’un pessimisme inouï, une sorte de cauchemar éveillé, celui d’un monde où le gauchisme le plus liberticide aurait conquis tous les leviers du pouvoir et imposerait toutes les facettes de l’individualisme absolu, de l’idéologie du genre à l’immigrationnisme le plus débridé en passant par une tolérance coupable du radicalisme islamique. Ce faisant, Zemmour a cédé à son don de la formule, il a accumulé les effets de style comme une sorte de camouflage à son désespoir; à aucun moment, il n’a proposé une issue politique. J’ai été frappé, du coup, par la symétrie du discours de Raphaël Enthoven: ce dernier a au fond évoqué le même monde que Zemmour; mais dans la variante « meilleur des mondes »; pour lui comme pour l’auteur du Destin français, le monde actuel est en proie à d’énormes forces de dislocation des collectifs au profit de l’individualisme absolu. Enthoven s’en réjouit là où Zemmour se lamente. 

Les grands absents de la Convention n’ont-ils pas été l’économie et le monde de demain ? 

C’est effectivement une lacune chez certains penseurs du conservatisme français, à commencer par Zemmour: ils ne savent pas bien quelle place faire à l’économie. D’où l’importance du dialogue mis en place par Marion Maréchal avec le conservatisme anglophone depuis son voyage à Washington en février 2018 (elle avait parlé devant le CPAC, conférence des conservateurs américains). Le conservatisme anglo-saxon voit dans l’économie une réalité positive. Il croit à l’économie de marché. Il se distingue du libéralisme économique par sa volonté de préserver la société de toute marchandisation, de contrebalancer les forces du marché. C’est bien dans cette perspective que se situait le discours de Marion Maréchal, en fin de convention: elle a proposé une vision globale de l’avenir, qui inclut non seulement la fin de l’immigration au-delà de quelques besoins économiques réels du pays mais aussi le refus de la marchandisation du corps qu’amènent les lois sociétales, la réintégration de la France dite périphérique à l’économie nationale par une politique de soutien aux villes moyennes, la baisse de la fiscalité, le développement d’une économie verte fondée sur le soutien à une nouvelle agriculture, à l’entrepreneuriat local, la lutte contre l’espionnage économique, un nouveau développement de l’industrie de la défense etc...Développant le thème de l’adaptation de la France aux défis du nouveau siècle, Marion Maréchal a fini en évoquant les grands redressements français de l’histoire et plaidé pour une action résolue. Sa formule, « Nous sommes condamnés à l’espoir! » était une façon élégante de faire sortir la Convention de l’impasse où l’avait enfermée Eric Zemmour. C’est l’optimisme et la foi dans l’avenir qui dominaient dans les discours des deux jeunes femmes qui ont clôturé les travaux: Candace Owens, succédant à Marion Maréchal, a dit avec ses mots à elle combien il était essentiel d’agir vite pour l’émergence d’un monde débarrassé de l’idéologie. Son « Make France Great Again » a été accueilli par une ovation chez les plus jeunes.  

Bernard Henri Levy constatait pour sa part dans un tweet suite aux événements du week-end il y avait deux droites, celle de la convention de la droite « avec son barnum d’aigreurs rances et de chevaux de retour qui veulent la guerre civile et la haine » et celle du « peuple des Invalides, silencieux, recueilli, noble », qui voulait rendre hommage Jacques Chirac. S’agit-il vraiment de deux droites ou plutôt de deux France minoritaires ? 

BHL se trompe sur plusieurs points. La Convention de la droite a commencé par un hommage sobre à l’ancien président de la République. Et la salle était remplie d’individus qui ont été « chiraquiens », certains gardant une forme de respect, d’autres plus désillusionnés. La Convention de la Droite a accueilli 2000 auditeurs. Les adhérents ou sympathisants de LR y étaient plus nombreux que ceux du Rassemblement National. Il suffisait d’écouter les jeunes militants LR présents pour se rendre compte qu’ils avaient été émus par le décès de Jacques Chirac, un Chirac qu’ils n’ont pas vraiment connu et ont tendance à idéaliser en survalorisant la place occupée par son opposition à la guerre en Irak dans l’ensemble de sa carrière. Il y avait aussi, bien entendu, des sympathisants du Rassemblement National et de la « droite hors les murs » dans la salle. mais ce qui m’a frappé, c’est la proportion de sympathisants LR. Contrairement à ce que croient Bernard-Henri Lévy ou Raphaël Enthoven, il existe encore une gauche et une droite en France et, samedi, nous avons assisté à l’expression d’un soutien marqué, explicite, de nombreux militants et sympathisants de droite à la manière dont les abus de la politique d’immigration et l’insécurité étaient abordés. Beaucoup n’osaient pas se dire que Jacques Chirac avait porté une lourde responsabilité dans l’abandon des politiques de droite. Mais pendant une bonne partie de l’événement on a reposé les questions qui avaient structuré la campagne de Nicolas Sarkozy sur l’immigration et l’insécurité. Ce qu’un Robert Ménard a décrit des conséquences de l’immigration sans assimilation à Béziers ou ce qu’un Laurent Obertone a rappelé des violences toujours plus présentes dans la société française, c’était « douze ans après Sarkozy ». La salle est restée, contrairement à ce que racontent les médias, très patiente avec Raphaël Enthoven, jusqu’à quelques minutes de la fin de son discours. C’était d’autant plus remarquable que l’événement, par ailleurs, a servi de révélateur: il existe un électorat, nombreux, qui ne fait même plus attention aux oukases de l’intelligentsia parisienne et reste suffisamment proche de la « France d’en bas » pour souhaiter faire sauter les frontières des partis politiques. On est en 2019 et non plus en 2007. Le pays va beaucoup plus mal encore. Et il faudra bien que l’état-major de LR comprenne que, faute de disparaître, leur électorat est fondamentalement « sarkozyste » ou filloniste » plutôt que « juppéiste ».  

Si le refus de Jacques Chirac de toute complaisance avec l’extrême-droite est admirable alors que l’extrême-droite à laquelle il avait à faire n’était pas républicaine, elle ne s’est malheureusement pas accompagnée du refus symétrique de toute complaisance avec les intimidations morales de la gauche. Quelles conséquences pour la droite, la République et les adversaires de l’extrême-droite aujourd’hui ?

De quoi parle-t-on? L’Assemblée qui vote les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain est majoritairement à gauche. L’historien Simon Espstein a raconté comment des individus qui avaient défendu Dreyfus ou avaient dénoncé l’antisémitisme hitlérien dans les années 1930, se sont compromis sous l’Occupation: Pierre-Etienne Flandin, Jérôme Carcopino, Gaston Bergery etc....Vous avez au contraire des individus classés très à droite avant la guerre qui ont été les premiers à entrer dans la Résistance. On connaît le cas de René Bousquet, proche de Roger Salengro, qui fut l’auxiliaire de Heydrich dans l’organisation de la déportation des Juifs. Mitterrand est resté l’ami de Bousquet, de manière scandaleuse. C’est pourquoi il faut se méfier des propos emphatiques de tous ceux, à partir des années 1970, qui rejouaient la Résistance et la Collaboration. Jean-Marie Le Pen a curieusement cautionné cet antifascisme de salon en entrant dans le rôle écrit pour lui et en tenant des propos indéfendables, profondément blessants pour les survivants ou les descendants des victimes de la Shoah. En revanche, faut-il pour décrire tout cela utiliser les catégories « extrême-droite », « républicain »? Si les électeurs du Front National avaient voulu renverser la République, il aurait fallu interdire le parti. Or personne ne l’a proposé, puisque le Front National apparaissait aux uns et aux autres comme le pôle négatif du système permettant de structurer tout le débat politique.  Post-gaullistes et socialistes, de plus en plus impuissants devant la mondialisation, à laquelle ils étaient incapables d’adapter le pays, et l’Union Européenne, qu’ils avaient construite en dépit du bon sens, ont construit un récit politique, celui du « Front républicain », qui a consisté à mépriser une part croissante des électeurs. Nicolas Sarkozy a essayé de sortir de ces faux-semblants en commençant à traiter les sujets qui préoccupaient les électeurs du Front National, à commencer par l’insécurité. Mais son parti, largement enfermé dans le théâtre d’ombres créé par François Mitterrand, ancien vichyste devenu artisan de l’union de la gauche (quand même !....), vivait encore de l’amalgame « volonté de contrôler l’immigration = xénophobie = racisme = retour aux années 1940 ». D’où une profonde déloyauté structurelle vis-à-vis de la volonté du président Sarkozy ! Ce faisant, l’ état-major de l’UMP a trahi ses électeurs et abusé de la crédulité d’électeurs du Front National qui avaient cru que Nicolas Sarkozy avait vraiment l’intention de traiter l’insécurité, le non-respect de la laïcité, le non-contrôle de l’immigration avec la même énergie qu’il a combattu la crise financière ou réformé l’Université. Si l’on se souvient de tous ces enchaînements, on analyse facilement ce qui s’est joué à la Convention de la droite: 2000 personnes - et des centaines d’autres qui n’ont pas pu avoir de place - sont venues témoigner de ce que le RPR et l’UDF des années 1980 et 1990, l’UMP des années 2000, LR aujourd’hui avaient progressivement mais avec de plus en plus d’obstination trahi les électeurs de droite. 

Pourquoi la droite a-t-elle tant de peine en France à accepter qu’elle est légitime à proposer une vision du monde qui ne se limite pas à des gammes sur des idées venues et validées par la gauche ? Ou parfois de l’extrême-droite comme si la radicalité était le seul gage de la densité ? D’autant que dans un cas comme dans l’autre, c’est La défense de la liberté qui en prend un coup...

En l’occurrence, il faut remonter à l’origine. Contrairement à ce qu’a dit Zemmour en passant son son discours, Louis XVI fut l’un des plus remarquables et des plus courageux de nos rois ! Réformateur, soucieux des intérêts des classes populaires, créateur des assemblées régionales, il s’est heurté à la révolte des privilégiés refusant l’égalité devant l’impôt; à la cupidité des spoliateurs des biens de l’Eglise; à l’individualisme absolu de tous les Macron de l’époque, ces révolutionnaires venus de Picardie ou d’ailleurs dans le bassin Parisien qui votèrent la loi Le Chapelier, détruisant tous les réseaux et les associations qui protégeaient le monde ouvrier - au lieu de chercher dans la grande tradition du catholicisme social français, celui d’un Michel de Marillac, d’un Gaston de Renty, d’un Colbert, à moderniser la France en préservant les intérêts des catégories populaires. Nous assistons à l’éternel retour des mêmes erreurs, non analysées. Le Général de Gaulle se situe dans cette tradition du catholicisme social quand il entend mettre en oeuvre la participation ou réformer le Sénat et mettre en oeuvre la régionalisation. Il perd le référendum de 1969 parce qu’il a contre lui non seulement la gauche mais la partie de la droite qui s’accommode très bien d’un capitalisme de connivence, cédant à toutes les facilités financières et se coulant, après son départ, avec délices, dans le monde de l’étalon-dollar, au lieu de défendre, dans la fidélité à de Gaulle, l’investissement dans la recherche, l’innovation, l’entrepreneuriat. Il faut tout de même se rappeler les aveuglements du patronat français qui, dans les années 1970, au lieu d’investir dans la robotisation des usines, préféra faire venir une main d’oeuvre immigrée à bas salaire. Ce manque de vision rendit inadaptable, dans les années 1980, beaucoup de secteurs industriels français, qui coulèrent sous les coups de boutoirs de la mondialisation. Entretemps, Giscard avait instauré le regroupement familial, puis essayé, en fin de septennat, d’inverser la tendance, s’apercevant qu’il s’était trompé. Mais il avait perdu cette partie de l’électorat populaire votant traditionnellement à droite, qui préféra voter Mitterrand. Lequel s’empressa de trahir ce même électorat en menant, non par conviction mais calcul politique, une politique encore plus immigrationniste tout en se réjouissant de la montée du Front National. C’est cette histoire qu’il faut avoir en tête pour comprendre les soubresauts actuels de notre pays. 

La France a produit beaucoup de grands penseurs libéraux, de Tocqueville à Aron en passant par Bastiat. Paie-t-elle le fait que ses grandes personnalités politiques, elles, n’aient jamais été très libérales ?

Oui, la France a produit de grands penseurs libéraux: Constant, Chateaubriand,Jean-Baptiste Say, Tocqueville, Frédéric Bastiat, Elie Halévy, Raymond Aron. Chateaubriand - que de Gaulle aimait tant - et Tocqueville, que Raymond Aron nous a fait redécouvrir, sont les plus intéressants, les plus cohérents de mon point de vue car ils comprennent la nécessité de fonder un libéral-conservatisme qui s’allie au catholicisme social. Ils sentent que le danger qui guette la France, c’est l’alliance du libéralisme avec le jacobinisme, toute cette tradition du libéralisme d’Etat que Lucien Jaume a analysée de manière magistrale. L’UDF des années 1980, pensée par Michel Pinton, l’un des meilleurs stratèges politiques de la Vè République, et où cohabitaient Alain Madelin et Pierre Méhaignerie, Philippe de Villiers ou Charles Millon et François Bayrou, Christine Boutin et François Léotard représentait bien le rassemblement des libéraux-conservateurs et des héritiers du catholicisme social qui est à mon avis une tradition puissante et méconnue de notre pays. 

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