Mais pourquoi donc avoir exigé des preuves de patriotisme sur France Maroc quand on a renoncé depuis si longtemps sur France Allemagne (et on ne parle pas de foot…) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président français Emmanuel Macron accueille le chancelier allemand Olaf Scholz à son arrivée à l'Elysée, le 26 octobre 2022.
Le président français Emmanuel Macron accueille le chancelier allemand Olaf Scholz à son arrivée à l'Elysée, le 26 octobre 2022.
©Ludovic MARIN / AFP

De quel mal sont-ce les symptômes ?

Les déclarations de personnalités, y compris politiques, se sont multipliées à l’occasion de la demi-finale de la Coupe du monde. Comment expliquer une telle passion quand les élites françaises ont largement renoncé par ailleurs à défendre les intérêts stratégiques majeurs de la France ?

Bernard Carayon

Bernard Carayon

Bernard Carayon est ancien député du Tarn, maire (LR) de Lavaur, Avocat au barreau de Paris. 

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Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Atlantico : Les déclarations de personnalités, y compris politiques, se sont multipliées à l’occasion de la demi-finale de la Coupe du monde. Comment expliquer une telle passion quand les élites françaises ont largement renoncé par ailleurs à défendre les intérêts stratégiques majeurs de la France ?

Bernard Carayon : Le patriotisme sportif, c’est ce qu’il reste à ceux qui n’ont plus rien, pour paraphraser une phrase de Jaurès. Il est étrange que le patriotisme ne s’exerce plus que dans ce champ, alors que nous aurions tant d'autres champs d’application. L’explication est que, d’abord, le patriotisme n’est plus enseigné, il n’est plus la colonne vertébrale du système éducatif, de l’école à l’université. L’attachement à la patrie reste ringard en France alors qu’il s’exprime de manière si naturelle et joyeuse ailleurs dans le monde. En 1945, il y avait une quarantaine d’Etat à l’ONU, il y en a maintenant plus de 200. Les peuples ont formé des nations, des frontières ont été tracées. Partout, la patrie reste le moteur de la politique, sauf chez nous. Je pense que c’est d’une part dû à une classe politique trop timorée, toutes tendances confondues, et à un système éducatif qui a décroché de ce qu’on appelle souvent le récit national, au profit d’une mutilation de notre histoire.

Maxime Tandonnet : Les deux choses ne se situent pas sur la même planète... La coupe du monde est le domaine du rêve, de l’illusion. La passion se greffe autour de onze joueurs qui courent (avec talent) autour d’un ballon rond et des aléas de ce même ballon rond. Leur performance est magnifiée, sublimée par la télévision. On est dans l’imaginaire, une sorte de paradis artificiel. Le rêve footballistique se situe au niveau de la communication, de la manipulation mentale. Cela n’a rien à voir avec le monde des réalités. Prendre des décisions, afficher de la fermeté pour défendre les intérêts français sur le prix de l’électricité ou l’énergie nucléaire, par exemple, c’est tout autre chose. Cela exige de la vision politique des intérêts nationaux et de la force de caractère. Beaucoup de commentateurs ont affirmé que le football était la dernière expression du sentiment national. Peut-être, mais c’est une expression dégradée, qui ne concerne que le domaine du rêve, pas celui de la volonté individuelle ou de l’effort collectif pour le bien commun.

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De quoi cette distorsion des priorités/inquiétudes est-elle le symptôme ?

Maxime Tandonnet : Elle est le signe d’un besoin d’évasion, de penser à autre chose le temps d’une coupe du monde de football. Sans doute est-ce un réflexe normal de fuite. Cela permet, le temps d’un rêve, d’oublier tout le reste, la crise économique, l’inflation, les problèmes d’énergie, la pauvreté, les scandales. Le football est l’occasion de faire la fête. Il permet d’oublier les cauchemars de l’actualité, cette guerre épouvantable en Ukraine ou le massacre des jeunes Iraniennes à quelques centaines de kilomètres du Qatar. Des centaines de jeunes ont été tués par le régime des Ayatollahs, des manifestants exécutés. Le football permet d’étouffer, le temps d’une parenthèse, la mauvaise conscience planétaire pendant qu’on laisse faire ce massacre sans réagir, le temps d’une illusion.  Bref, on ne parle pas d’autre chose, de tout ce qui fait mal. Après la tragédie de la crise sanitaire et de l’Absurdistan liberticide créé par le pouvoir politique, la peur d’un conflit nucléaire, le drame de l’inflation pour de nombreux foyers, il intervient comme une sorte de trêve festive dans une période particulièrement troublée et difficile à vivre.

Quand s’est effectué ce renoncement ?

Bernard Carayon : Cela s’est probablement joué dans les années 1970, sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, lorsque le discours européen a supplanté le discours national. A la fin des années 1950, lors de la création de la Cinquième République, le Général De Gaulle puis Pompidou ont tenu un discours historique, fidèle à la colonne vertébrale patriotique. Ils ont tous les deux lancé de grands programmes industriels correspondant à des objets industriels qui allaient devenir des mythes collectifs :  l’avion de combat et de tourisme, le bateau, les centrales nucléaires, les trains, la fusée, etc. Tous ces projets ont été lancés au début de la Cinquième. Mais avec l’arrivée de Giscard d’Estaing, le discours change, au profit de l’Europe. Il se traduit notamment par le couple franco-allemand, même si on peut légitimement estimer que les bans de cette union n’ont pas été publiés outre-Rhin. Le discours européen a été ensuite l’antienne de nos élites politiques, administratives, économiques. Si l’on ajoute à cela la ferveur française pour l’ami américain qui n’a eu de cesse de nous duper et de nous espionner. Les Etats-Unis, au même titre que l’Allemagne, se sont comportés en ennemis de nos intérêts sur les grands sujets stratégiques, à l’instar de la défense ou de l’énergie. Cela explique le dépérissement de l’idée de patrie. Quand j’ai lancé le concept de « patriotisme économique », en 2002, dans un rapport à Jean-Pierre Raffarin sur l’intelligence économique, j’ai proposé une doctrine pour défendre nos entreprises sur les marchés mondiaux, pour rappeler l’importance d’entreprises nationales stratégiques et réfléchir à leur protection juridique, économique et financière, etc. Cela recommandait de peser aussi sur l'élaboration des normes juridiques et techniques au sein des organisations internationales pour nous donner, non seulement des marges supplémentaires de compétitivité, mais de renouer avec la puissance. Pas de puissance sans une volonté et une politique de souveraineté ! Et de politique industrielle. Je me souviens d'avoir été traité, avec commisération, de colbertiste par le président de la Commission des finances de l'epoque. C'était et cela reste pour moi une décoration !

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Tous ces thèmes n’ont été que faiblement accompagnés par les pouvoirs publics, aussi bien sous Jacques Chirac que sous Nicolas Sarkozy. L’exception à ce constat étant la création du fond stratégique d’investissement en 2008. J’ai souvent combattu contre des économistes qui estimaient que le patriotisme économique était ringard, alors même qu’il est l’un des outils de la puissance démocratique de toutes les grandes puissances, qu’elles soient démocratiques (Allemagne, Etats-Unis, Royaume-Uni) ou autoritaires (Russie) ou totalitaires (Chine).

Maxime Tandonnet : Le phénomène est principalement apparu lors de la victoire de la France lors la coupe du monde de football de 1998. Cet événement avait fait l’objet d’une incroyable récupération par le politique. On se souvient du président Chirac fou de joie dans les tribunes et recevant les joueurs à l’Elysée. Sa cote de popularité avait fait un bond extraordinaire dans les sondages. Depuis lors, le football a pris une place importante dans la vie politique. Il fascine les dirigeants politiques qui ont l’impression de se donner une image populaire en affichant leur passion du football. Cette récupération (comme si les dirigeants politiques cherchaient à s’approprier les mérites de victoires qui leur doivent si peu), donne le vertige… Comme si les exploits sportifs de l’équipe nationale devaient compenser leurs échecs et leurs faillites…  Mais aussi de nombreux intellectuels se confondent en analyses et voient dans ce sport un objet de réflexion philosophique. Il fait l’objet d’un étrange consensus. La polémique sur la coupe du monde au Qatar, les milliers de travailleurs immigrés morts sur les chantiers a été totalement étouffée. Et d’ailleurs, toute critique de cet engouement footballistique est marginalisée et ringardisée.

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Par quoi s’est traduit ce renoncement en termes de décisions et d'état du pays ?

Bernard Carayon : Le premier exemple, c’est d’avoir occulté la notion de dépendance stratégique. J’affirme dès 2003 qu’il y a dans la défense, la santé, l’aéronautique, le spatial des enjeux majeurs et que les dépendances dans ces domaines sont des problèmes politiques qui justifient une action publique pour identifier et régler nos dépendances. Pendant la crise du Covid puis celle due à la guerre en Ukraine, nous avons été mis face à nos dépendances pour les vaccins, pour l’énergie, et sur le nucléaire. La guerre économique, c’est aussi une guerre entre amis. Et la cécité des décideurs français face à la défense, admirable, des intérêts américains ou allemands par leurs gouvernements au détriment de la France, a toujours été une question tabou.

 Un exemple, en 2011, Air France doit renouveler sa flotte et a le choix entre Airbus et Boeing. La direction d'Air France choisit Boeing, une vraie trahison des intérêts français et européens. J’ai mobilisé les parlementaires sur le sujet, plus de 200, issus de l'UMP au PC, pour faire changer d’avis la compagnie, avec succès. Mais tous les journalistes qui m’ont interrogé m’ont demandé, d’une manière ou d’une autre : « mais de quoi vous mêlez-vous monsieur le député, vous n’êtes pas dans l’aéronautique ? Et au nom de quoi faudrait-il choisir un avion européen plutôt qu’américain, puisque ce qui compte c’est la qualité ? ». On avait contesté mon alerte, alors que les Américains font des achats patriotiques dès qu’ils en ont l’occasion. Et ils imposent même au monde entier l' extraterritorialité de leur droit dès qu' une transaction est adossée au dollar et/ ou à un serveur américain. Et pendant ce temps, Macron mobilise McKinsey pendant la crise du Covid. Les exemples de sollicitations de prestataires de service américains sont légion, sans parler de la capitulation face à des OPA contre les fleurons industriels français.

Pourquoi continuons nous à ne pas vouloir faire preuve d’une forme de "patriotisme économique" face au reste de l’Europe, notamment l’Allemagne, ou face aux Etats Unis ?  Est-ce de l’idéologie, de la naïveté, de la lâcheté, du cynisme…?

Bernard Carayon :  Il y a un peu de tout cela. Les élites financières estiment qu’il n’y a pas d’autre enseignement qui vaille que celui des grandes universités américaines, c’est un problème. Quand nos grands dirigeants à leur retraite se font embaucher par des fonds de pension ou des gestionnaires d’actifs américains plutôt que français, ça pose aussi problème. Jean-Claude Trichet, ex-patron de la BCE, a rejoint le fonds américain Pimco. Neelie Kroes, commissaire européenne à la concurrence puis au numérique, a rejoint le Comité de conseil en politique publique d'Uber, etc. Yves Galland, ministre de l’Industrie sous Chirac, a été patron de Boeing France. A mon sens, ce sont des choses qui ne se font pas. Certaines de nos élites ont des comportements indignes de notre histoire et de nos intérêts.

Ce qui est déroutant, c’est que les analyses sur le sujet ne manquent pas. Il y a eu de multiples rapports, dont les miens, des centaines d’articles, etc. Lors de l’affaire Snowden, j’avais rappelé cette phrase de Baudelaire, « la plus grande ruse du diable est de faire croire qu'il n'existe pas ». Cette affaire a révélé le comportement insupportable des Etats-Unis à l’égard de leur soi-disant amis mais aussi la pusillanimité européenne. Celle, notamment, d’Angela Merkel ou de José Manuel Barroso – qui est d’ailleurs parti chez Goldman Sachs, ce qui est un comble -. Donc entre lâcheté, trahison et cécité, il y a le choix pour expliquer le comportement des européens et français – pas tous heureusement - sur certains sujets.

Maxime Tandonnet : Il me semble que les dogmes de la classe dirigeante actuelle lui interdisent de concevoir une possible contradiction entre les intérêts de la France et ceux de l’ensemble européen, en particulier de l’Allemagne, par exemple sur le mode de fixation du prix de l’énergie. Dès lors, la recherche du compromis est leur règle de conduite. Le chef de l’Etat a parlé à plusieurs reprises d’une « souveraineté européenne ». Une confrontation durable et manifeste avec Bruxelles ou avec l’Allemagne serait contraire à ce message. L’idéologie dominante des élites dirigeantes est à la méfiance envers les intérêts nationaux qu’elle assimile au populisme ou à l’extrémisme de droite comme de gauche. Vis-à-vis des Etats-Unis, de l’Allemagne, ou de l’Algérie, elle privilégie toujours les signaux d’apaisement et de compromis. C’est aussi le signe d’une dépendance croissante notamment liée au poids de la dette publique et au déclin industriel avec un déficit commercial record de 150 milliards par an qui souligne à quel point la France dépend de l’extérieur… On ne peut pas se permettre le luxe de querelles… En matière de football, cela n’a rien à voir : il faut un vainqueur, et tout cela ne coûte rien car on est dans une logique de spectacle, d’émotion collective, pas dans la réalité…

Un match de foot peut bien sûr être perçu comme une sorte de mètre étalon des bugs d’intégration mais nos problèmes d'intégration ne sont-ils pas aussi dû à notre renoncement à l’idée de nation et de souveraineté française et plus largement à notre identité ?

Bernard Carayon : C’est une évidence. S’il n’y a pas eu trop d’affrontements après France-Maroc, c’est parce que l’équipe de France a été formidable et que sa victoire n'a été entachée d'aucun contentieux d' arbitrage.

Mais ce n’est pas le football qui va régler notre problème d’immigration. On ne peut pas assimiler des populations qui viennent en tant que peuple et pas en tant qu’individus. Donc il faut une réduction drastique des flux pour mener une vraie politique d’assimilation. L’intégration, c’est la volonté de laisser coexister les cultures côte à côte. En vrai Républicain, je ne crois qu’en l’assimilation. C'est d'ailleurs, selon le code civil, la condition exigée pour être naturalisé. L’intégration ouvre la porte au communautarisme. C'est-à-dire la voie ouverte aux conflits religieux, ethniques et culturels. Nous y sommes, déjà, non ?

Maxime Tandonnet : On en fait beaucoup trop avec le football. Il a pris une valeur emblématique de « l’intégration » voire de l’identité. Mais encore une fois, il relève de l’illusion médiatique. La réalité triviale du football, ce sont des sportifs multimillionnaires qui courent derrière un ballon (même avec talent), ni plus ni moins. Par un phénomène mimétique qui relève de la psychologie de foule, le spectacle est magnifié, sublimé jusqu’à sa métamorphose en un ersatz de passion nationale qu’autrefois, on appelait le chauvinisme – mais l’usage de ce mot est évidemment maudit aujourd’hui. Tout cela n’a rien à voir avec la vie quotidienne des banlieues sensibles, les problèmes de chômage, de désœuvrement, de violence, ni avec les enjeux de l’intégration par le travail et l’école. Au fond, la sublimation du sport spectacle est le reflet inversé des malaises de la société. Plus celle-ci souffre dans sa chair et plus elle a besoin de fuir dans l’émotion footballistique.

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