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Mais où va la Hongrie : bientôt un État autoritaire au sein de l’Union dans l’indifférence générale ?
©Reuters

La démocratie selon Orban

Les élections législatives du 6 avril dernier en Hongrie ont été largement remportées par le parti conservateur du Premier ministre Viktor Orban. Cette réélection marque l'acceptation des Hongrois de l'instauration d'une Constitution à parti unique lors de son premier mandat, et ce, dans une apparente indifférence générale.

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat

Gérard Bossuat est professeur à l'Université de Cergy-Pontoise, titulaire de la chaire Jean Monnet ad personam.

Il est l'auteur de Histoire de l'Union européenne : Fondations, élargissements, avenir (Belin, 2009) et co-auteur du Dictionnaire historique de l'Europe unie (André Versaille, 2009).

 

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Atlantico : Viktor Orban et son parti, le Fidesz - l'Union civique hongroise - ont été réélus aux dernières élections législatives hongroises. Lors de son premier mandat, le Premier ministre a notamment changé la Constitution de son pays en instaurant la majorité au Parlement à deux-tiers, soit l'annihilation presque complète du pluralisme. Comment cette manœuvre a-t-elle pu avoir lieu au sein même de l'Union européenne dans une certaine indifférence ?

Gérard Bossuat : L’Union européenne n’a pas à intervenir dans la gestion des affaires relevant des gouvernements. En revanche la Commission européenne, gardienne des traités, a le devoir de le faire quand un traité européen est violé. La politique d’austérité menée par Orban ne viole aucun traité. En revanche limiter drastiquement le droit d’amendement et de contestation de l’opposition au parlement hongrois en établissant une Constitution établissant la majorité aux deux tiers des votants pour toute délibération n’est pas acceptable dans une démocratie occidentale. La Commission et le Parlement européen ont réagi vivement, mais les sanctions ne sont pas automatiques. Il faut faire une enquête, établir les faits et entreprendre une action contre le gouvernement fautif.

Quelles ont été les réactions de la part de l'UE ? Concrètement quelles ont été les mesures prise à l'encontre d'Orban et de son parti ?

Le Parlement européen dans l’été 2013 a voté une résolution par 370 voix pour, 249 voix contre et 82 abstentions, rappelant les valeurs sur lesquelles l’Union est fondée et qui ont été reconnues par la Hongrie lors de son adhésion en 2004. Le respect de la dignité humaine, la liberté, la démocratie, l'égalité et l'état de droit. Or la nouvelle Constitution a introduit des modifications systémiques qui dessinent « une tendance générale qui s'écarte des valeurs européennes déterminées dans l'article 2 du traité de l'Union européenne ». Il a été demandé à la Hongrie de modifier cette Constitution, de nommer dans la transparence les responsables des médias publiques, de respecter les sans-abris, éloignés autoritairement des villes, d’élargir  la définition juridique du terme de « famille », de faciliter l’insertion sociale des Roms. Plus récemment la Cour européenne des Droits de l’homme, cour créée par la Convention européenne des droits de l’Homme, un projet du Conseil de l’Europe,  a demandé une modification du système judiciaire hongrois qui prive de possibilités d’appel les condamnés à une peine de réclusion à perpétuité. En meeting pour les Européennes, Viktor Orban a dénoncé le caractère scandaleux de cet arrêt de la CEDH et déclaré que la Hongrie le rejetterait.

Qu'est-ce que cela révèle sur la force de l'Europe ?

Ces réactions de l’Union européenne et de la CEDH (Conseil de l’Europe) sont respectueuses du droit des citoyens européens d’une part et du droit des Etats, et donc de la subsidiarité. L’Union ne peut remplacer les Etats, ni la justice nationale ; elle ne peut destituer un gouvernement légitimement constitué à la suite d’élections. Cependant, le contrôle effectué par la Commission européenne ou la CEDH a eu un effet dissuasif. Viktor Orban a dû aménager certaines dispositions qui avaient été prises dans une ambiance nationaliste anti-européenne  L’UE dispose aussi de l’arme financière qui a joué contre Orban.

Au-delà de sa capacité à agir dans de tels cas, la quasi absence de réaction est-elle liée à la philosophie de l'Union européenne, à la relation que l'UE entretient avec ses Etats membre ? Est-ce dans son état d'esprit d'intervenir ?

Il n’est pas juste de dire qu’il n’y a pas eu de réactions comme je l’expliquais précédemment. En revanche, oui, l’UE est une entité réunie par des traités, des règles juridiques internationales contraignantes. Dans le cas de la Hongrie, tant la Commission que le Parlement ont pu défendre des valeurs qui nous sont chères et qui forment le socle de l’influence européenne dans le monde. Ces deux institutions ont le devoir de défendre et interpréter les valeurs signées par les 28 Etats exposées dans le traité de Lisbonne de 2005.

Dans quelle mesure peut-on dire que cela incarne l'échec de la mission démocratique qu'est censée accomplir l'Union européenne ?

Les réactions des institutions européennes communautaires et de la CEDH prouvent en tous cas que l’esprit et la lettre des traités européens sont respectés. Il y a eu respect de la mission démocratique de l’Union. Faut-il aller plus loin ? Tout dépend aussi du degré de conscience politique des euro-députés. Imaginons un Parlement peuplé d’eurosceptiques, Viktor Orban et d’autres démagogues auraient les coudées franches pour imposer un régime autoritaire dans leur pays en ne faisant pas jouer les mécanismes de contrôle de l’Union. L’opinion publique européenne existe ; elle s’était déjà manifestée avec les parlementaires européens, au moment de la participation de Jorg Haider, leader d’extrême-droite, au gouvernement de l’Autriche et avait exigé son départ. Elle ne peut qu’être révulsée globalement par des gens qui menacent la stabilité interne de l’Union. Orban vient de déclarer, début mai, que les personnes d’origine hongroise vivant en Ukraine (200.000) devraient bénéficier d’une autonomie. Il s’est donc aligné sur Poutine !

On a raison de faire attention à ce qui se passe en Hongrie et dans l’Europe médiane et orientale, échappée du communisme en 1990. Les Français auraient tort de ramener leur perception de la part orientale de notre Europe à des clichés valorisants pour l’Europe occidentale. Françoise Pons, Présidente du Club Grande Europe, le rappelait récemment. Que nous cherchions à bien connaître et à comprendre cette Europe qui vit encore les séquelles du traité de Trianon de 1919, qui a diminué les anciens Etats de l’Empire austro-hongrois, est un devoir de citoyen éclairé. Mais il ne faut pas oublier non plus que les expériences autoritaires et fascistes, vécues au XXe siècle par le Portugal, l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie, la France de Laval et de Pétain, la Hongrie du maréchal Horthy sont « inoubliables ». Elles s’imposent dans notre mémoire collective.

Les pratiques politiques de Viktor Orban, son idéologie, ses discours rappellent les débuts d’aventures dangereuses dont personne ne veut le retour et contre lesquelles les valeurs communautaires européennes sont le garant. Les réactions de l’UE et de la CEDH ont montré que Viktor Orban avait atteint une limite en prétendant que l’Union blesse le nationalisme hongrois, une fois de plus.Orban demande à l’Europe de respecter les Hongrois et aux Hongrois de choisir Budapest contre « Bruxelles », d’autres, à Paris demandent de choisir la France contre Bruxelles, comme si l’Union européenne était devenue une organisation aliénante pour les peuples et les nations.

Au contraire, l’Union européenne est une confrérie aux règles contraignantes, acceptées par les 28 Etats membres, capable de faciliter la recherche de solutions aux crises qui affectent les Etats de l’Union.

Propos recueillis par Clémence de Ligny

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