Mais comment remettre la France au boulot pour éviter le grand décrochage ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Dans une entreprise d'aéronautique (Aura Aero), à Toulouse.
Dans une entreprise d'aéronautique (Aura Aero), à Toulouse.
©Fred SCHEIBER / AFP

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Alors que la conjoncture s’améliore et que l’activité économique devrait retrouver son niveau d’avant crise, beaucoup d’entreprises ont du mal à rapatrier leurs salariés, qui ont pris goût au télétravail.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Comment remettre la France au boulot ? Comment mettre fin au télétravail ou, du moins, en limiter les effets ? C’est devenu la préoccupation première des chefs d’entreprise. Dans les allées de l’université d’été du Medef, ils ne parlent que de cela, à mots couverts, certes mais en marge des grands problèmes macro-économiques et géopolitiques, leur inquiétude est de découvrir ou d’inventer une nouvelle forme de gestion du personnel.

D’abord, point numéro 1, trouver des salariés compétents parce que, paradoxalement, et en dépit des 3 millions de chômeurs, il y a plus de 500 000 offres d’emplois non satisfaites. Pas de candidats. Il faut donc les trouver, les motiver et les former. 

Ensuite, point numéro 2 et c’est plus urgent encore, comment ramener les salariés en télétravail au sein de beaucoup des entreprises ?

Parce que si le télétravail a permis de préserver le fonctionnement presque normal, pendant les différents confinements, on s’aperçoit aujourd’hui que le retour au bureau dans les conditions d’avant crise sont très difficiles. 

Beaucoup de salariés français ont pris goût au télétravail, à tel point qu’ils rechignent à revenir au bureau. Ils se sont organisés en presque totale liberté, sans avoir de compte à rendre. Les open-space de bureau sont, en moyenne, désertés du jeudi soir au mardi matin.  Et le quartier de la Défense, quartier d’affaires emblématique de la région parisienne, qui ne tourne pas à 80 % de sa capacité, se vide désormais chaque semaine pour un week end prolongé.

La majorité des salariés, qui ont pu se mettre au télétravail dans des conditions matérielles acceptables, ont trouvé dans cette forme d’organisation, que des avantages au niveau du confort de vie. Liberté d’organiser son temps partagé entre le travail et la vie de famille ou personnelle. Moins de stress, moins de transport, moins de réunions inutiles et plus de rendez-vous efficaces et organisés grâce au digital. Les arguments ne manquent pas pour justifier ce changement.

Cela dit, parallèlement, les chefs d’entreprise et responsables de la gestion de personnel s’inquiètent des effets à moyen terme de ce qui ressemble à une rupture des liens personnels au sein de l’entreprise, le déficit d’échanges, de confrontations et au bout du compte, une perte de compétitivité. Mais ce n’est pas tout. L‘addiction au télétravail va créer, à terme, un certain nombre de disfonctionnements qui auront forcément un effet sur la capacité de résilience de l’entreprise et donc sur sa performance.

1. Le télétravail a déjà créé des inégalités fortes entre ceux dont le métier permet le télétravail et ceux dont le métier ne le permet pas. Le travail de manufacture dans les industries est difficile à délocaliser au domicile du travailleur, c’est un travail posté, alors que celui qui a une fonction administrative ou commerciale peut effectivement partir chez lui, et reste branché toute la journée à son ordinateur. La caissière de l’hypermarché ne peut même pas en rêve, envisager le télétravail alors que ses collègues des achats peuvent eux s’y habituer.

2. Le téléravail a créé des inégalités selon les équipements et notamment les conditions de logement personnel. Le cadre qui possède une vaste maison à la campagne avec des liaisons internet correctes et pas trop loin de Paris, n’a que des avantages à rester chez lui. Alors que ses collaborateurs qui vivent dans des deux pièces de la région parisienne ont beaucoup plus de mal à vivre le télétravail, ou alors, ils vont demander une compensation financière.

3. Le télétravail apporte un confort de vie à certains mais entraine des nuisances aux autres qui ont besoin de contacts personnels avec leurs collaborateurs et leurs hiérarchies, mais si parfois ces contacts peuvent être pesants. Ils ne sont jamais inutiles.

En bref, les entreprises n’ont pas assez de recul pour savoir précisément quel effet peut avoir le télétravail sur la productivité, mais les sociologues du travail estiment qu‘il faudra à terme, l‘organiser sérieusement et en vérifier les différentes formes de coût.

En attendant, le télétravail importé avec la pandémie a ouvert pour le chef d’entreprise, un énorme chantier de réorganisation et de gestion. Tout faire pour remettre au boulot les salariés, c’est-à-dire tout faire pour rendre l’entreprise désirable et plus compétitive dans un univers qui va devenir de plus en plus concurrentiel. Tout le monde est d’accord pour penser que si pour des raisons sanitaires, le télétravail était quasiment obligatoire. Le télétravail ne pourra plus se justifier pour des raisons sanitaires dès que les risques santé seront écartés par la vaccination généralisée. La part de télétravail va dépendre de la gestion de l’entreprise et de ses rapports avec ses salariés.

Les aspects techniques du chantier sont relativement faciles à appréhender.

L’entreprise saura mettre en place les conditions sanitaires efficaces (si l’Etat l’y autorise.) 

L’entreprise saura investir dans le matériel informatique. Elle l’a déjà fait. C’est une question de coût.

L’entreprise devra inventer des moyens d’audit du travail réalisé, ce qui sera plus délicat à mettre en œuvre.

Les aspect juridiques, financiers sont beaucoup plus compliqués pour s’adapter au télétravail. Le salarié en télétravail garde un lien très fort, de par son contrat de travail, avec son employeur. Il n’est ni entrepreneur individuel, ni profession libérale. Il a dans le cadre de son contrat (CDI ou CDD) des droits mais il a aussi des obligations. Tout cela doit être respecté ou amendé.

A noter que les centrales syndicales elles-mêmes sont très mal à l’aise avec une pérennité des organisations de télétravail. Il va leur falloir, elles aussi, réfléchir à la façon dont elles peuvent exercer leur contre-pouvoir et leur pouvoir de cogestion paritaire dans des conditions de travail. Il est évident que la durée légale du travail n’a pas le même sens pour un télétravailleur que pour un salarié qui travaille dans un atelier.

Les aspects humains vont imposer aux directions d’entreprise de mettre à plat tous leurs outils de motivation, ou même d’intéressement. Ces outils passent par le salaire et toutes les formes d’indemnités (problèmes des heures supplémentaires, des primes repas, primes transports.) Toutes les formules de motivation vont devoir être revues et corrigées.

Jusqu’alors tout le monde s’est organisé dans l’urgence pour sauver « les meubles » mais il  va falloir organiser cette forme nouvelle du travail en préservant la capacité et la quantité de travail, parce que c’est le nerf de la guerre.

Il y a aujourd’hui un risque de décrochage par rapport à la nécessité de continuer de travailler et même de travailler plus. On sait les dégâts provoqués par les 35 heures, parce que le système français ne s’en est pas encore remis.

Donc il faut que les entreprises se rendent désirables, il faut que leurs salariés aient l’envie de travailler dans l’entreprise. Et l’entreprise qui sait donner envie à ses clients de lui rester fidèle ou à ses actionnaires l’envie de l’accompagner, doit savoir donner envie à ses salariés de la rejoindre et de lui rester fidèle.

La pire des choses qui puisse arriver à l‘entreprise, et même à tout le système français, serait que le télétravail soit utilisé finalement, pour raccourcir, la durée du travail.

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