Mais comment expliquer l’effroyable débâcle des exportations françaises de biens ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Site d'assemblage de l'Airbus A350, à Colomiers près de Toulouse, dans le sud-ouest de la France, le 9 décembre 2022.
Site d'assemblage de l'Airbus A350, à Colomiers près de Toulouse, dans le sud-ouest de la France, le 9 décembre 2022.
©Valentine CHAPUIS / AFP

Chute

Depuis plus de vingt ans, la part des exportations françaises de marchandises dans les exportations de la zone euro est en chute.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : Depuis plus de vingt ans, la part des exportations françaises de marchandises dans les exportations de la zone euro est en chute, passant de 16 % des exportations totales de la zone euro en l’an 2000 à environ 11 % aujourd’hui. Comment expliquer cette chute ?

Jean-Marc Siroën : Cette chute est incontestable. On la retrouve aussi lorsqu’on regarde l’évolution des parts du marché mondiale qui déclinent davantage en France qu’en Allemagne ou qu’en Espagne. Pourtant, cette dégradation ne doit pas être surinterprétée. Elle est relative. Elle ne signifie pas que les exportations françaises aient diminué dans cette proportion mais que celles des autres pays ont augmenté plus vite. Par ailleurs, il ne s’agit que des biens. Il ne faut pas oublier les services qui se sont mieux comportés même si certains secteurs phares, comme le tourisme, peuvent donner des signes d’inquiétude.

Quoi qu’il en soit les contre-performances françaises révèlent certaines faiblesses de notre appareil productif. Le seul grand secteur à avoir augmenté ses parts de marché est l’aéronautique. Cette dégradation n’a pas d’explication simple : le coût du travail a été maîtrisé et la spécialisation française dans le moyen de gamme n’est pas une explication suffisante (l’Espagne spécialisée sur ce créneau a connu de meilleures performances). La faiblesse de l’investissement est un candidat plus sérieux. Elle est plus ou moins directement liée à deux autres caractéristiques de l’économie française. Premièrement, elle a moins su que les autres pays, l’Allemagne notamment, conquérir les marchés porteurs à commencer par celui de la Chine (ce qui pourrait d’ailleurs poser à ce pays des problèmes dans le futur). Ensuite, plutôt que d’investir en France, les entreprises ont préféré investir à l’étranger. La France est le recordman des effectifs employés à l’étranger : elle a davantage délocalisé que les autres sans que, pour autant, les filiales étrangères entraînent les exportations de leur maison mère comme c’était autrefois le cas. Un produit de marque française produit par une filiale de firme multinationale française (quand ce n’est pas un sous-traitant) et vendu à l’étranger, n’est pas considéré comme une exportation. Cette évolution est particulièrement frappante dans l’automobile, fleuron passé des exportations françaises. Certes, le revenu rapatrié de ces firmes multinationales compense au moins partiellement le déficit commercial, mais au détriment de l’activité et de l’emploi.

Les politiques menées depuis une vingtaine d’années ont-elles contribué à cette baisse ? Comment ?

Les politiques de l’offre qui ont été menées visaient surtout le coût du travail. Les résultats ont montré les limites de ce ciblage. Elles n’ont pas suffi à empêcher la délocalisation des activités de production situées en aval du processus de production et généralement intensives en main-d’œuvre. Certaines mesures ont pu aussi avoir des effets pervers comme le crédit d’impôt recherche qui incite les firmes à se spécialiser dans la recherche et le « design » pour mieux délocaliser ensuite les activités de production. Certaines grandes firmes se sont ainsi laissé prendre par le syndrome Apple qu’on pourrait caractériser chez nous par un « designed in France, assembled elsewhere » (« conçu en France, assemblé ailleurs »). Une des caractéristiques du seul secteur qui a amélioré ses parts de marché à l’exportation, l’aéronautique, a été justement que, sans délaisser la conception, il a conservé l’assemblage.

En valeur, le total des exportations françaises de biens s’envole, passant de 118 milliards d'euros au 1er trimestre 2021 à 153 milliards d'euros au 3ème trimestre 2022. En quoi est-ce trompeur ?

Il faut se garder de ce que les économistes appellent l’« illusion monétaire ». Les exportations « physiques » exportées n’augmentent pas dans les mêmes proportions car ces deux dernières années, la hausse des exportations en valeur est d’abord due à la hausse de leur prix, reflet de l’inflation mondiale. On exporte à peu près les mêmes quantités, mais plus chères. Il ne faut pas oublier non plus que l’année 2020 a été très défavorable aux exportations et que leur hausse est aussi un rattrapage. Finalement, en 2022 et si on élimine l’influence de la hausse des prix, la France exporte moins qu’elle n’exportait avant la crise de la Covid.

Y a-t-il encore une possibilité, ou un sens à essayer d’inverser la tendance face à l’ampleur de la situation ?

Le chiffre des exportations, qu’il soit exprimé en part, en valeur ou en volume ne suffit pas à établir un diagnostic ce qui rend les remèdes difficiles à trouver. Je prends un exemple pour montrer les limites des statistiques d’exportations : si, demain, l’ensemble de la chaîne de production des Airbus était réalisé en France (réacteurs, fuselage, etc.), ce qui est loin d’être le cas, nos exportations aéronautiques n’augmenteraient même pas d’un euro (seules les importations diminueraient). On se félicite des exportations françaises sans se soucier de leur contenu en valeur ajoutée française. À niveau de richesse (PIB) équivalent, la France pourrait donc tout autant exporter moins en reconquérant l’amont du processus de production qu’exporter plus en l’abandonnant (cas d’Airbus).

La France, plus que l’Allemagne, a toujours un problème avec sa perception de la mondialisation. On raisonne en produit sans se soucier suffisamment de la place du bien dans la chaîne de valeur où, d’ailleurs les activités de services et de R&D se mêlent aux activités industrielles (l’essentiel de la valeur ajoutée d’un téléphone portable considéré comme un bien industriel, se situe dans le secteur des services).

La question des exportations ne doit donc pas être sacralisée. Ce n’est pas seulement une question de politique commerciale. C’est avant tout une question de choix de spécialisation et de politique industrielle. On doit s’affranchir davantage (c’est en cours me semble-t-il) d’un raisonnement en termes produit pour un raisonnement en termes de chaînes de valeurs. La bonne question est : quelles étapes du processus de production doit-on, peut-on ou préférons nous développer.

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