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Mais au fait à quoi sert vraiment un Premier ministre depuis la mise en place du quinquennat ?
©Reuters

Beaucoup de bruit pour rien ?

Celui qui est censé nommer le gouvernement est-il pour autant aussi influent que le Président depuis Jacques Chirac ? Les derniers exemples ne montrent-ils pas que rien n'est facile pour l'hôte de "l'enfer de Matignon".

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlanrico : Alors que le nom du nouveau Premier ministre était le sujet de toutes les attentes au cours de ces dernières heures, ne peut on pas voir un phénomène "d'emballement" alors que la correspondance du calendrier électoral a pu modifier le rôle même du Premier ministre ? En prenant en compte l'esprit des institutions de la Ve République, à quoi sert réellement un Premier Ministre, d'un point de la ligne politique définie, dans la mise en place du quinquennat ?

Jean Petaux : L’attente qui a prévalu avant la nomination d’Edouard Philippe à Matignon est intéressante à plusieurs titres. D’abord elle montre que le « suspens » du nom fonctionne toujours bien. S’il n’y avait aucun intérêt à cette nomination on peut imaginer qu’elle ne susciterait pas un tel attrait. Ensuite, pour cette fois-ci, on mesure bien quels ont été les ingrédients de la « dramaturgie » : quelle stratégie allait choisir le nouveau président de la République ? Qui allait-il nommer ? Un homme ? Une femme ? De droite ? De gauche ? Un technicien ? Expérimenté ? Novice ? Si ces questions se posent à chaque fois, elles ont lieu bien plus en amont de la nomination tout simplement parce, sauf à remonter au général de Gaulle qui n’était pas tout à fait le genre à s’épancher dans les gazettes sur le choix de ses éventuels premiers ministres (il n’en a eu que trois en 10 ans d’ailleurs) on n’a jamais rencontré une telle situation où le secret et l’incertitude ont prévalu jusqu’au bout. Le premier ministre, selon la lettre des institutions « gouverne ». C’est lui qui, théoriquement, « fait tourner la maison France ». Pendant que le président « préside ». Voilà pour le papier et le texte. Depuis longtemps, bien avant l’instauration du quinquennat et le « calage » des législatives un mois après les présidentielles, la question de la répartition (le partage) des pouvoirs entre les deux éléments de ce que l’on a nommé très vite la « dyarchie » au sommet de l’Etat s’est posée sous la Vème République. Les trois « expériences » de cohabitation ont permis d’avancer empiriquement aussi sur cette question. Dans ces cas très particuliers (9 ans au total des 59 ans de la Vème République) le chef du gouvernement est doté d’une marge de manœuvre et d’une capacité d’action plus grandes que lorsque le PR est issu de son camp politique. Pour le cas précis du « couple » Macron-Philippe la nouveauté est réelle. L’un et l’autre ne sont pas issus du même camp politique. Le premier a choisi justement le second (alors que « rien » ne l’y obligeait, autrement dit aucune majorité parlementaire contraire à la majorité présidentielle) dans un « bloc » politique différent du sien. On comprend les intentions : faire exploser la droite de gouvernement mais on imagine aussi ce que cela peut impliquer d’un point de vue institutionnel. Il y aura bien une marge de manœuvre laissée au nouveau PM par un PR qui va lui permettre de gouverner. Mais, et c’est là que la contradiction n’est pas loin d’effleurer : comment concilier cette position principielle avec ce qui a été dit par le nouveau PR lui-même dans son discours d’investiture : « Je ne cèderai sur rien »… On conçoit mal que ce soit une autre ligne que la « ligne politique Macron » qui l’emporte et qui soit appliquée par le gouvernement. Mais alors quid de la « ligne Philippe » (autrement dit la « ligne Juppé » exprimée lors de la partielle de la droite en novembre 2016 puisque cette « ligne Juppé » est la « ligne Philippe ») ? La dérive de la pratique constitutionnelle a conduit à faire du dernier premier ministre que la droite ait connu, entre 2007 et 2012, un « collaborateur » selon les propos de celui qui le détestait, Nicolas Sarkozy parlant ainsi de François Fillon. On voit bien qu’il est urgent de revenir à une meilleure compréhension de la lettre constitutionnelle. Paradoxalement le quinquennat devrait inciter le PR à laisser le PM gouverner sans prendre des coups à sa place. D’une part cela aurait le mérite de faire du locataire de Matignon un vrai fusible à même de « griller » si nécessaire (et donc d’éviter un épisode à la Valls contre Hollande) et d’autre part cela permettrait au titulaire de l’Elysée de prendre de la hauteur et de se tenir au-dessus de la mêlée. Emmanuel Macron a certainement compris tout le pari qu’il y a à tirer d’une telle pratique du pouvoir. Qu’il puisse s’y tenir sous la pression de la contingence, de la conjoncture et des chaines d’information en continu c’est une autre histoire…

Toujours de ce même point de vue de la ligne politique à quoi ont pu servir les derniers Premier ministres, Jean Pierre Raffarin, Dominique de Villepin, François Fillon, Jean Marc Ayrault, et Manuel Valls ? Que peut on en déduire ?

Ils n’ont pas servi à grand-chose parce que sous la Vème République le dernier mot appartient toujours au chef de l’Etat. Hormis une période de cohabitation, quand des PM ont vraiment voulu exister en propre face au chef de l’Etat, l’affaire s’est vite mal terminée pour eux. Qu’on en juge… Chaban veut-il innover avec un « discours de politique générale » très « programmatique » qui porte les axes de « sa » « Nouvelle Société » : la rupture est quasi-consommée avec le président Pompidou (et au moins avec ses deux conseillers Juillet et Garaud) dès septembre 1969. Chirac veut-il « avoir les moyens de sa politique » pour rester à Matignon, Giscard lui répond par un souverain mépris. Et Rocard entend-il faire entendre sa « petite musique rocardienne » au président Mitterrand que celui-ci le « flingue » chaque semaine dans l’idée de « lever l’hypothèque Rocard » pendant trois ans de mai 1988 à mars 1991… Donc aucun des premiers ministres que vous citez, pour parfaitement respectables qu’ils soient (Raffarin, Villepin, Ayrault par exemple) n’a été en mesure de souffler sur telle ou telle mesure ou volonté présidentielle. Deux d’entre eux néanmoins sont parvenus à « bloquer » « leur » président… Ce qui, a bien y réfléchir, n’est pas une modeste affaire. Fillon s’est imposé comme PM devant se succéder à lui-même en novembre 2010 alors que Sarkozy était très tenté de le remercier au profit, par exemple, de Borloo. Décidément Fillon doit beaucoup à la tactique du Bernard L’Hermitte… Quant à Valls, bien qu’incapable d’engager une politique vraiment originale par rapport au PR il est quand même parvenu (même si François Hollande l’a plus qu’aidé) à faire en sorte que le PR ne puisse se présenter à un second mandat… On en déduira donc que les PM ne servent pas tous à rien… Certains parviennent à se servir

Quels ont pu être les poids politiques des premiers ministre précédents ? Quels sont ceux qui on pu "décaler" la ligne politique défendue par le Président ? En quoi cela a t- il pu être différent de la période actuelle, dans quelle mesure ?

Incontestablement peu si on les passe en revue depuis 1959 (hors cohabitation) : Georges Pompidou ; Jacques Chaban-Delmas ;Michel Rocard et Alain Juppé. Dans tous ces cas ce « décalage » a été ponctuel et non global. Par exemple Pompidou a certainement eu les « coudées franches » en matière de développement du « colbertisme à la française », domaine que de Gaulle prisait peu. De la même manière en matière de libéralisation de l’information Jacques Chaban-Delmas a pu faire des choses.. Mais cela est resté ponctuel. Tout comme Michel Rocard a pu gérer les « Accords de Matignon » sur la Nouvelle-Calédonie, agissant sans la tutelle ombrageuse et jalouse de François Mitterrand. Quant à Alain Juppé : on se souvient qu’il échange beaucoup avec le président Chirac nouvellement élu en mai 1995 avant de lancer sa grande réforme à la rentrée 1995. Mais Jacques Chirac lui avait nettement conseillé de ne pas « toucher aux régimes spéciaux ». Pour l’heure, aujourd’hui, Emmanuel Macron aura bien besoin d’échanger avec Edouard Philippe pour trouver le bon ton… Mais si le retour à la lettre des institutions peut permettre d’assainir les positions des uns et des autres ce sera très bien.

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