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Mais à quoi servent encore les grands raouts internationaux ? Derrière les tensions sur le G20 de Hambourg, la grande panne de la gouvernance mondiale
©REUTERS/Rob Griffith/Pool

Sommet

Pourquoi les institutions internationales, de l’OTAN à l’ONU, du FMI à la Banque mondiale, pensées dans le monde d’après 1945 sont devenues obsolètes dans le monde de 2017.

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Cyrille Bret

Cyrille Bret

Cyrille Bret enseigne à Sciences Po Paris.

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Atlantico : Ces 7 et 8 juillet, les plus grandes nations se réuniront à Hambourg dans le cadre du G20, et ce dans un climat houleux entre grandes puissances, et sur fond de remise en cause des institutions internationales de la part de Donald Trump en particulier. Au-delà de la critique du nouveau Président des Etats Unis, dans quelle mesure ces institutions, du G20 au G8, de l'ONU à l'OTAN, du FMI à la Banque Mondiale, peuvent-elles être effectivement considérées comme obsolètes dans leur forme actuelle ? Quels sont les dysfonctionnements les plus importants de ces institutions au regard du monde "tel qu'il est" aujourd’hui ? 

Jean-Marc Siroën : Toutes ces organisations n’ont ni la même histoire, ni le même statut. L’ONU, le FMI et la Banque Mondiale sont des institutions qui relèvent du droit international. Elles sont nées de la volonté des Alliés après la seconde guerre mondiale et avant la guerre froide. Elles répondaient tout particulièrement au souhait de l’Amérique rooseveltienne, de faire gouverner le Monde par des « Nations Unies » libres mais contrôlées par un condominium de cinq puissances où la France a d’ailleurs été ajoutée in extremis aux « Big Four » initialement prévus par Roosevelt (Etats-Unis, Grande-Bretagne, URSS, Chine). C’est dans ce cadre que le FMI et la Banque Mondiale ont été créés à Bretton Woods (1944) autour d’un certain ordre monétaire fondé sur la suprématie du dollar, des changes fixes et le contrôle des capitaux. On pourrait y ajouter le GATT fondé sur l’ouverture au commerce. C’est parce que le système monétaire de Bretton Woods a volé en éclat en 1971, qu’à l’initiative du Président Giscard d’Estaing, a été mis en place un « club » informel de nations riches et capitalistes, le G7 (Etats-Unis, Canada, Japon, Grande-Bretagne, France, Italie Allemagne) auquel s’est joint l’URSS avant d’en être exclu suite à l’annexion de la Crimée. Pendant plus de trente ans, ce club à vocation essentiellement économique a coordonné les politiques économiques avec, notamment, des interventions concertées sur les marchés des changes ou des règles communes pour le traitement de la dette des pays en développement. De fait, ces règles se sont imposées au FMI et à la Banque Mondiale, chargés de les mettre en œuvre. Lors de la crise de 2008, le G7-G8 est apparu trop peu représentatif en ignorant des pays émergents et, notamment, la Chine d’où la montée du G20. Quant à l’OTAN, elle aussi régie par les traités internationaux et pur produit de la guerre froide, c’est une alliance militaire qui, par construction, ne peut avoir la même vocation universaliste que les autres.

Le Monde « tel qu’il est aujourd’hui » est une facilité de langage qui reste un peu floue. Depuis la seconde guerre mondiale, les institutions ont toujours su s’adapter au Monde « tel qu’il était » soit en redéfinissant leurs missions initiales, comme l’on fait les institutions de Bretton Woods, soit en en faisant apparaitre de nouvelles institutions fussent-elles informelles. Ce fut le cas du G7, puis du G20 lorsque la montée en puissance des pays émergents était devenue trop évidente. On peut également citer les COP, producteurs de traités internationaux sur l’environnement, dont le Traité de Paris (COP21).

Le but de ces institutions est de créer de la stabilité, qu’elle soit politique ou économique. Il est donc tout à fait normal qu’elles apparaissent ou interviennent dans des situations de crise. Le G20 a ainsi plutôt bien fonctionné lors de la crise de 2008. Mais, dans les faits, ces institutions ne fonctionnent bien que s’il existe un, ou à la rigueur, des leaders. Or si le leadership permet de contrôler le système à son profit, il a aussi un coût. Pour obtenir un consensus, le rapport de force ne suffit pas. Le leader doit aussi prendre en charge une plus grande partie des exigences du système qu’il a mis en place. La fonction de leader assumée par les Etats-Unis n’a jamais été évidente. Pour l’imposer Roosevelt avait dû combattre l’isolationnisme traditionnel de son pays. Depuis, Trump est le premier à remettre en cause aussi radicalement le multilatéralisme rooseveltien en considérant que la charge du leadership n’est plus acceptable. Au même moment, d’autres pays, l’URSS ou la Chine, revendiquent un leadership qui n’est pas seulement régional. Si crise des organisations internationales il y a, il faut d’abord la voir comme une crise de leadership.

Cyrille Bret : Les organisations internationales sont sous le feu des critiques depuis au moins la fin des années 1990. Les critiques du candidat puis du président Donald Trump s'ajoutent au réquisitoire déjà constitués durant la décennie 2000. Quels sont les principaux chefs d'accusation adressées s au système onusien fondé en 1945 par le Traité de San Francisco, aux institutions issues des accords de Bretton Woods de 1944 (FMI et Banque mondiale), à l'Alliance atlantique issue du Traité de l'Atlantique Nord de 1949 et au G7 issu en 1975 de la crise économique ?

- la représentativité : le Conseil de sécurité des Nations-Unies, avec son système de membres permanents et de veto, les droits de vote au FMI, proportionnels au poids des économies dans le système économique des années 1990 et la composition du G8 limité aux économies industrialisées des années 1980 sont critiqué pour représenter avant tout les intérêts des grands pays industrialisés et militarisés d'Amérique du Nord et d'Europe de l'Ouest. Ce que l'Inde, la Chine, la Russie ou encore le Mexique et l'Algérie critiquent dans ces institutions, c'est la non-représentativité. Un peu comme les partis minoritaires mais puissants en France critiquent la surreprésentation de LREM à l'Assemblée nationale par rapport au FN ou à la France insoumise. Ce serait la première illétigitimité de ces organisations internationales. Contre cette non représentativité, il conviendrait de créer d'autres organisations, comme le G20.

- l'efficacité : l'ONU est fortement critiquée pour son incapacité supposée à prévenir et à régler les conflits. C'est l'évidence : l'ONU n'a pas empêché les conflits en ex-Yougoslavie, n'a pas résolu les conflits au Yemen, au Soudan, en Somalie. Au contraire de ce procès en inefficacité, le FMI et la Banque mondiale sont accusés d'être "trop efficaces". Ces institutions imposeraient des politiques d'austérité budgétaire et de libéralisation des économies funeste aux économies de la Grèce, etc.

L'OTAN fait l'objet d'une critique assez spécifique : elle est accusée, par la Russie, depuis la fin des années 1990, de favoriser l'instabilité politique dans les Etats et les régions anciennement dominées par l'URSS. La Fédération de Russie lui impute les révolutions de couleur en Ukraine et en Asie centrale. Elle l'accuse aussi de bellicisme notamment en raison du déploiement du boucler anti-missile en Turquie, en Roumanie, en Tchéquie et en Pologne. Le président Trump critique l'OTAN pour de toutes autres raisons : les Européens ne paieraient pas leur contribution financière à un juste niveau. L'OTAN serait pour eux le prétexte pour ne pas payer le prix de leur sécurité. Les critiques du président Trump ne sont dont pas la synthèse d'un corpus largement accepté de défaut du système. Elles mettent en évidence surtout son agenda politique, assez classique, qui est de faire contribuer les alliés en Europe, au Moyen-Orient (EAU, Arabie Saoudite, Egypte) et en Asie (Japon, Taiwan, Corée du Sud) tout en leur imposant une ligne stratégique.

Quels sont les défis posés par cette transformation du monde depuis 1945, et comment pourraient s'adapter les institutions entre relations multilatérales et bilatérales ? Quels sont les enjeux prioritaires à traiter pour parvenir à un fonctionnement optimal de ces institutions ? 

Jean-Marc Siroën : Encore une fois, le Monde n’a pas cessé de changer depuis 1945. Avant même 1950, la guerre froide et la victoire de Mao en Chine réduisaient à pas grand-chose le condominium à 5 imaginé alors. Il faudra attendre bien longtemps pour que l’URSS et la Chine participent au FMI et à la Banque Mondiale.

Les principaux enjeux sont de plusieurs ordres. D’ordre politique d’abord : le terrorisme, le risque de désagrégation de certains pays, la folie d’autres (on pense à la Corée du Nord). Une nouvelle « crise des missiles » n’est pas impossible. Elle n’est toutefois pas probable. 

D’ordre économique ensuite où pourrait s’aggraver les jeux « gagnants-perdants » voire « » perdants-perdants » comme la concurrence et l’évasion fiscale sur lesquelles ont d’ailleurs agi, et plutôt bien même si tout n’a pas été fait, le G20. Mais il reste des sources de tensions. Le passage il y a maintenant plus de quarante ans à un système de taux de change flottant est aussi une source de tension en activant la tentation de dévaluations compétitives. Bretton Woods n’a ainsi pas réussi à tenir plus de vingt-cinq ans son ambition de stabilité des changes. Il n’a pas été remplacé, avec le paradoxe que chacun est reconnu libre d’avoir le système de change qu’il souhaite tout en s’exposant aux critiques et, demain, peut-être, aux rétorsions des pays qui s’estimeraient lésés par leur taux de change sous-évalué. La question de l’ouverture au commerce s’inscrit dans une même perspective. Le principe fondateur du GATT puis de l’OMC était : « si je veux exporter plus facilement chez les autres, je dois aussi accepter d’importer plus chez moi » est devenu : « je dois pouvoir exporter chez les autres, mais ne rien concéder en échange ». Ce n’est évidemment pas tenable. Le risque serait donc une fermeture brutale des marchés ou, pour moins importer, les pays exporteraient également moins. Jusqu’à maintenant les organisations internationales, le G7 et le G20 avaient continué d’affirmer, même hypocritement, la nécessité d’un commerce ouvert. Mais un changement d’attitude de la part des Etats-Unis a été constaté depuis, notamment lors du dernier sommet du G7.

Enfin, la transition énergétique est devenue un sujet de coopération internationale majeure, non seulement parce qu’elle nous engage pour le futur, mais parce que ses enjeux économiques et géopolitiques sont considérables. 

Cyrille Bret : L'inadaptation des organisations internationales issues soit de la la Deuxième Guerre Mondiale soit de la Guerre Froide soit encore de la fin des Trente glorieuses tient à plusieurs phénomènes relativement récents :

- la mondialisation: l'augmentation des échanges de biens et de capitaux, la promotion du libre échange et l'abaissement des droits de douane, l'intégration massive de nouveaux acteurs dans les échanges (Chine, Brésil, Mexique, etc.) a transformé l'économie et la géopolitique contemporaines. De nouvelles puissances ont émergé depuis la fin de l'URSS qui ne se reconnaissent ni dans les principes ni dans la répartition des pouvoirs au sein de ces organisations. Ainsi, ils ont développé des forums alternatifs : le G20, le forum des BRICS, l'Organisation de Coopération de Shanghai, etc. La voie de l'adaptation est déjà marquée dans certains cas par la coordination entre les anciens et les nouveaux forums : la Chine a vu son poids s'accroître dans les institutions de Bretton Woods, le G8 et le G20 se coordonnent souvent, etc. Toutefois, la réforme de l'ONU est bloquée et les évolutions sont lentes.

- la numérisation de l'économie: la révolution numérique a transformé les relations internationales. Elle a fait émerger des acteurs, les GAFA, dont le poids capitalistique est désormais comparable au PIB d'économies avancées. Elle a instauré une nouvelle rapidité virale dans la propagation des prises de conscience. Les institutions internationales normées semblent archaïques comparées à la formation d'une conscience et d'une opinion publique informée en temps réel par les réseaux sociaux. La voie de l'adaptation est difficile à trouver entre la lenteur nécessaire des institutions et l'immédiateté de l'économie numérique.

Quels sont les risques posés par des institutions actuelles ? Quels sont les blocages à attendre de cette inadéquation d’institutions à la situation dans le contexte actuel ? 

Jean-Marc Siroën : On ne doit pas se méprendre sur les organisations internationales. Le système mis en place après 1945 ne laisse pas beaucoup d’autonomie à ces organisations. Elles sont, comme disent les Américains, « member driven » c’est-à-dire dirigées par les membres qui sont les Etats avec, bien entendu, le poids écrasant des pays leaders qui est aussi une paralysie comme on l’a vu longtemps au FMI avec le droit de veto des Etats-Unis ou au Conseil de sécurité de l’ONU. Après la chute du mur de Berlin, on aurait pu espérer davantage d’autonomie. Force est de constater qu’à quelques exceptions près (la procédure de règlement des différends de l’OMC par exemple) elle ne s’est pas réalisée. Cela ne signifie pas que les organisations internationales ne soient pas utiles. Ce sont des lieux de discussion et d’information qui restent nécessaires. Mais si les Etats ne s’accordent pas sur les objectifs et ne parviennent pas à trouver des compromis pour les atteindre, les organisations internationales ne pourront pas faire grand-chose. Incontestablement, l’après crise économique a montré les limites du multilatéralisme d’après-guerre : crise ukrainienne, Brexit, retour de l’isolationniste aux Etats-Unis, pressions populistes, terrorisme et engluement des grandes puissances au Moyen Orient, menace de nouvelles crises financières, prétention de la Chine à un leadership mondial. Même si l’Europe doit continuer à jouer la carte des organisations internationales, elle devra aussi s’affirmer comme puissance. A l’heure actuelle, l’Europe n’est présente en tant que telle qu’à l’OMC même si elle a le statut d’observateur aux G7 et G20. Au FMI, chaque pays de l’euro est représenté séparément ce qui est aberrant. L’Europe pourrait être aussi un rempart si les signes précurseurs d’un désordre mondial que l’on constate aujourd’hui devaient rester sans réponse, moins de la part des organisations internationales, que des chefs d’état et des populations elles-mêmes.

Cyrille Bret : Le principal risque identifié est le désespoir. Devant la lenteur des réformes, des actions et des résultats des différentes organisations internationales, les Etats nationaux, les opinions publiques et les décideurs peuvent se désespérer. Un cas particulièrement décourageant est la situation de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE). Fondée en 1975 pour garantir la coexistence pacifique entre l'URSS d'un côté et les pays d'Europe occidentale de l'autre, cette organisation a pour mission de maintenir un dialogue direct avec la Fédération russe. Suite aux conflits en ex-Yougoslavie, en Géorgie, en Ukraine, etc. cette organisation est aujourd'hui bloquée parce que les gouvernements en désespère. Aujourd'hui, face à la tentation du retour aux Etats-nations qui s'exprime en France, aux Pays-Bas, en Autriche, en Hongrie et aux Etats-Unis, les vertus du multilatéralisme semblent oubliées. Pourtant, la concertation multilatérale, si elle est lente et ne produit des effets que graduels, est la meilleure façon de parvenir à une solution partagée et donc stable.

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