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Mafias de l'Est, RSA et Karine Lemarchand, la mère Denis reconnaîtrait-elle encore les campagnes françaises ?
©Reuters

Drôle de France

Que ce soit au niveau économique, démographique ou simplement sociologique, les campagnes françaises ont vécu de profonds changements depuis la période des Trente Glorieuses. Augmentation des crimes et délits, déficit de population féminine qui a inspiré L'amour est dans le pré.

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont

Gérard-François Dumont est géographe, économiste et démographe, professeur à l'université à Paris IV-Sorbonne, président de la revue Population & Avenir, auteur notamment de Populations et Territoires de France en 2030 (L’Harmattan), et de Géopolitique de l’Europe (Armand Colin).

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Atlantico : Quels sont les principaux changements que l'on a pu constater en termes démographiques dans les campagnes depuis les années 1970 ?

Gérard-François Dumont : La différence la plus notable est que les campagnes des années 1970 connaissaient, en moyenne, une intensité de l'émigration rurale encore importante, et concernait surtout beaucoup de jeunes actifs. Aujourd'hui, les campagnes regagnent en moyenne de la population[1]. Cela résulte du renouveau de l'attraction de nombreux territoires ruraux. En examinant le solde migratoire des territoires français depuis deux décennies, on s'aperçoit que celui de la quasi-totalité des villes est négatif, comme celui de l'Ile-de-France, alors que celui des campagnes est redevenu, en moyenne, positif. Il y a une attraction des campagnes par le désir retrouvé des ménages de vouloir vivre dans un cadre à dimension humaine et de s'éloigner de quartiers urbains dont la qualité de vie est jugée moindre. Exemple typique, la Seine-Saint-Denis est à la fois le département qui connaît la plus forte attraction migratoire, essentiellement internationale et, en même temps, la plus forte émigration vers d'autres territoires français.

Une autre changement fondamental tient à l’évolution des modes de consommation. De plus en plus, les personnes vivant à la campagne souhaitent jouir des mêmes possibilités de consommation que les urbains. Cela conduit par exemple à des revendications pour l’amélioration des réseaux de distribution d’internet haut débit.

La Gendarmerie Nationale, garante de l'ordre dans les communes de moins de 23 000 habitants, a récemment établi un rapport faisant apparaître une très forte augmentation du nombre de crimes dans les campagnes françaises. Les populations d’Europe de l'Est seraient à l'origine de ce déclassement des zones rurales. A quoi est dû la présence de ces minorités dans les campagnes françaises ?

L’augmentation des délits et des crimes dans les campagnes françaises n’est pas forcément le fait de personnes en résidence permanente. Au sein de l'Union européenne, l'ouverture à la libre circulation des personnes ne s'est pas forcément accompagnée d'un espace judiciaire aussi intégré. Alors qu'auparavant les mafias avaient des territoires limités, c'est-à-dire un pays, voir une région d’un pays, elles ont pu se déployer sur l'ensemble de l'espace européen. Nous voyons donc l'émergence de connections mafieuses qui s'occupent également de sillonner les campagnes françaises. On a vu des délits où des meubles de valeur étaient mis en vente sur des catalogues alors qu'ils n'avaient pas encore fait l'objet d'un cambriolage. On est donc dans une logique de réseaux mafieux qui se sont déployés ces dernières années. Dans les campagnes du centre de la France, par exemple, les cambriolages sont principalement le fait de bandes organisées avec souvent des relais au plan international. 

Des émissions de télé-réalité, comme L'amour est dans le pré, font état d'un véritable isolement des hommes dans les campagnes françaises, s'agit-il d'un vrai phénomène ? Comment expliquer que les femmes aient quitté à ce point les campagnes ?

Ce phénomène s'explique par deux raisons liées. D’une part, l'émigration rurale met en évidence que les femmes sont plus attirées par les lumières de la ville que les hommes. Il y a donc plus d'émigration rurale féminine que masculine. D’autre part, cette tendance s'explique entre autre par l'évolution des structures économiques, avec la tertiarisation de l’économie : dans les zones rurales, les hommes se voient encore proposés des emplois agricoles ou induits par le secteur agricole, tandis que les femmes sont moins présentes dans les métiers de l’agriculture. En revanche, elles sont beaucoup plus représentées dans l'emploi tertiaire, dont le développement s’est essentiellement localisé dans les villes, qu’il s’agisse du tertiaire marchand (centres administratifs des banques ou des assurances) ou non marchant (fonction publique de l’État ou fonction publique hospitalière).

Lorsqu'on regarde la composition par sexe des territoires ruraux dans la tranche d’âge des 20-24 ans, la déficit de femmes est souvent important. Par exemple, dans le département de la Creuse, dans cette tranche d’âge, on compte selon le dernier recensement de population 2 612 hommes pour 2 193 femmes, soit presque 120 hommes pour 100 femmes. C’est dire qu’il y a localement un déficit de filles qui, toutes choses par ailleurs, fait penser à la Chine.

Pour palier ce problème, on a vu que certains ruraux faisaient appel à des femmes d'autres pays, notamment à l'Est du continent. A quel point ce phénomène a pu attirer une population aux intentions peu scrupuleuses ?

Il n'y a aucun lien entre les crimes et les soucis des personnes de sexe masculin des campagnes devant chercher une compagne ailleurs. Il y a un certain nombre d'homme qui trouvent ce que j’appellerai des "contreparties féminines" dans les pays de l'Est. En revanche, votre question fait référence à certaine pratiques mafieuses d’officines peu scrupuleuses qui promettent à des femmes de l'Est de trouver un mari moins modeste qu'elles, et qui se retrouvent exploitées par des réseaux de prostitution. 

Quelle responsabilité les pouvoirs publics ont-ils sur le déclassement des zones rurales ?

Les pouvoirs publics délaissent effectivement les campagnes pour deux raisons. D’une part, elle ont traduit le processus de métropolisation en idéologie selon laquelle le développement économique ne pourrait provenir que des métropoles, ce qui est totalement faux, puisqu’il y a de nombreux exemples de réussite de développement local en dehors des métropoles[2]. Deuxièmement, les pouvoirs publics maintiennent une inégalité fondamentale entre les villes et les campagnes dans la mesure où la dotation globale de fonctionnement par habitant versée par l'État aux communes est dépendant de la taille de la commune et nettement plus faible pour les communes moins peuplées. Si l'on voulait vraiment réaliser l'égalité des territoires, selon le titre donné à un ministère depuis mai 2012, il faudrait progressivement égaliser les dotations globales de fonctionnement de l'État par habitant. Outre l’inégalité foncière, s’ajoute les effets de seuil.

Il faut rappeler la cas d’une commune qui risquait, à l’occasion d’un recensement, de passer sous de la barre des 200 000 habitants et de perdre en conséquence des millions d'euros venant de la dotation de l’État. Cette commune a voté une subvention à un cirque de passage pour qu’il  reste sur son territoire jusqu’au jour du recensement, lui ajoutant les centaines de personnes lui ayant permis de ne pas franchir le seuil fatidique. Elle a donc ainsi préservé le budget municipal.

Est-ce qu'on peut parler d'une campagne qui se bi polariserait, entre d'un côté des habitants traditionnels, et une nouvelle génération d'actifs ex-urbains désireux de vivre loin de la ville mais y travaillant ?

Il est délicat de généraliser, car les situations sont extrêmement diversifiées selon les campagnes. Il est néanmoins possible de distinguer trois types de flux expliquant la renaissance moyenne des campagnes. Un premier est composé de retraités, qui n'ayant plus de contrainte liée à un lieu de travail, préfèrent un lieu de vie à la campagne, où également le prix du foncier et de l’immobilier est généralement moindre. Certains retraités transforment aussi leur résidence secondaire en résidence principale.

Un deuxième type d’attractivité migratoire des campagnes concerne une population active qui cherche un cadre de vie plus agréable tout en travaillant dans les villes, situation rendue possible par le développement des réseaux de transport (TGV, RER…). Mais parmi ces actifs, certains travaillent aussi dans des campagnes, parfois en y créant leur entreprise. 

Troisièmement, des personnes quittent l'Ile-de-France et les grandes villes du Nord et se disent que la pauvreté est plus agréable au soleil. Dans le département de l’Hérault par exemple, vous avez un certain nombre de personnes venues de la moitié nord de la France où elles étaient en situation de chômage et qui profitent de la saison touristique pour assumer un emploi saisonnier, et qui, finalement, restent sur place lorsque la saison touristique est terminée. L’Hérault est ainsi un département extraordinairement paradoxal. D’un part, son nombre d'emplois a considérablement augmenté de, 302 401 en 1999 à 385 129 en 2010, soit 27% en onze ans, et pourtant son taux de chômage est élevé (15,6% en 2010) et le pourcentage de personnes bénéficiant du RSA également élevé.



[1] Les campagnes françaises : un renouveau incontestable, mais très inégal, Population & Avenir, n° 715, novembre-décembre 2013.

[2] Cf. « Les territoires au secours de l’économie », Population & Avenir, n° 714, septembre-octobre 2013 ; Dumont, Gérard-François, Diagnostic et gouvernance des territoires, Paris, Armand Colin

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