Made in Europe : le plan français pour nous réindustrialiser, une illusion made in techno-paradise ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La véritable question porte sur le partage des gains de productivité en Europe, comme on peut le voir avec Airbus, dont une bonne partie de la chaîne de production est dictée par des décisions politiques.
La véritable question porte sur le partage des gains de productivité en Europe, comme on peut le voir avec Airbus, dont une bonne partie de la chaîne de production est dictée par des décisions politiques.
©LOIC VENANCE / AFP

Planification

La France veut promouvoir un plan de réindustrialisation Made in Europe, pour réindustrialiser l’UE.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : La France veut promouvoir un plan de réindustrialisation Made in Europe, pour réindustrialiser l’UE. Peut-il vraiment être efficace ou n’est ce qu’une illusion ?

Alexandre Delaigue : Cela va être difficile car plusieurs choses vont poser des problèmes. D’abord, quand on dit qu’on veut de la réindustrialisation, même s’il y a un côté symbolique et émotionnel, il ne faut pas oublier que la désindustrialisation est une tendance mondiale. Les gains de productivité dans le secteur manufacturier sont bien trop élevés par rapport à la demande. Donc la part de l’industrie n’a augmenté nulle part ces dernières décennies. La première question est donc : est-ce symbolique ? Ou alors cela répond à un besoin mais cela soulève un paradoxe. Une industrie manufacturière a besoin de gains de productivité et il n’est pas certain qu’elle puisse le faire en s’installant dans le pays. D’un autre côté, nous nous sommes rendu compte que nous étions très dépendants de chaînes de production basées à l’étranger, ce qui crée des pénuries, comme on le voit avec le paracétamol. Donc on peut faire revenir des activités si l’on veut, mais ça a un coût. Si une entreprise délocalise, elle le fait pour des questions d’attractivité du territoire. Donc il faut pouvoir assumer les coûts de la réindustrialisation, et ce, sur le long terme. C’est parfois difficile à justifier.

Ensuite, un certain nombre d’entreprises aujourd’hui sont proches d’un modèle d’entreprise sans usines – on garde la conception mais on externalise la production -. Ce modèle peut fonctionner mais il fait perdre des savoir-faire et des gains de productivité. L’exemple typique est celui d’Alcatel, qui a fait ce pari, alors qu’elle était plus grosse que Samsung. Aujourd’hui, tout le monde a oublié Alcatel et Samsung est devenu un géant.

Mais la vraie question, c’est celle du partage de ce type de gains en Europe. On le voit avec Airbus dont une bonne partie de la chaîne de production est dictée par des décisions politiques. Le partage entre des entreprises européennes ou des Etats européens qui coopèrent via des chaînes de valeurs n’est pas immédiat. Cela va poser des questions et au moins dans un temps provoquer des ralentissements. Par ailleurs, aujourd’hui, il n’y a pas de consensus sur la direction à prendre en Europe. C’est vrai pour de nombreux points, à commencer par la question énergétique. Savoir si on veut produire plus d’énergie ou stabiliser notre consommation n’est déjà pas consensuel, alors savoir ce que serait un système énergétique optimal, n’en parlons pas : pronucléaire ou anti et si on arrête le nucléaire, quoi pour le remplacer, etc. Par exemple, hormis la France, personne ne veut des EPR 2. Même chose pour la filière des véhicules électriques : les pays sont en concurrence et les Etats vont favoriser les entreprises nationales. Donc une réindustrialisation européenne est bien plus facile à dire qu’à faire.

La planification peut-elle être efficace pour une réindustrialisation ?

La planification, c’est très bien quand vous savez où vous allez. Si vous avez un objectif et voulez mobiliser des ressources ensemble, il faut être rationnel et à ce titre, la planification marche sans doute mieux que la coordination par le marché. Mais le problème, c’est que dans de nombreux domaines, nous ne savons pas où nous allons. Il suffit de regarder les technologies du futur : bien malin celui qui saura dire les secteurs d’activité qui fonctionneront dans 20 ans. Si l’on regarde l’automobile, Toyota, première entreprise du secteur au niveau mondial, a misé sur l’hydrogène quand tous ses concurrents parient sur l’électrique. Peut-être qu’ils ont raison contre tout le monde ou bien ils font une grosse erreur, mais difficile de savoir ce qui sera vrai dans 10 ou 20 ans. Dans ces conditions, impossible de planifier. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut aucune planification. Elle pourrait être très utile dans le secteur énergétique.

La « subvention massive » peut-elle fonctionner ?

L’externalisation s’étant d’abord faite à des fins de rentabilités, il peut être pertinent, au départ, d'avoir des subventions comme incitation au retour. C’est l’argument de l’industrie dans l’enfance. Mais le risque c’est que l’industrie dans l’enfance devienne l’industrie Tanguy, qui ne devient jamais autonome et continue d’être nourrie aux subventions. Il faut donc que le dispositif incitatif soit capable d’être contraignant et puisse résister au chantage à l’emploi du type : « je suis une grosse industrie, je fournis beaucoup d’emplois ». Ou alors comme dans le cas du cinéma : en cas de bons résultats, il faut des subventions pour nous féliciter. Et quand ils sont mauvais, il faut des subventions pour éviter la disparition de l’industrie. Il faut réussir à éviter ces canards boiteux incapables de s’en sortir par eux-mêmes.

Y-a-t-il un sens à vouloir répondre à l’Inflation Reduction Act de Biden par un équivalent européen ?

L’Europe s’appuie, dans son fonctionnement interne, sur les règles du commerce international dans le cadre de l’OMC. On y trouve notamment un dispositif contre les discrimination et le traitement national. Il faut traiter les entreprises étrangères comme les nôtres. C’est une règle de l’OMC et de l’UE, qui y a vu une base d’opportunité pour un marché commun. L’Europe a donc toujours respecté ces règles. Elle s’est alarmé que Trump ne les respecte pas, mais a blâmé sa personnalité. Aujourd’hui, l’administration Biden fait la même chose d’ostensiblement discriminatoire sur la favorisation des entreprises. Et l’Europe se dit, si les Etats-Unis le font, pourquoi pas nous. Il est important de préciser que dans les propositions de Biden, il y a plein de dispositifs dont nous disposons déjà en Europe. Mais cet Inflation Reduction Act n’est pas une bonne chose pour les Etats-Unis, puisque c’est la preuve de l’échec politique américain. Il y a certains élus qu’on ne peut convaincre, acheter même, que comme ça, en leur permettant de garantir des emplois à leur électeurs. Les Français et les Européens sont jaloux de ce qui est en fait un dysfonctionnement du système américain. 

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