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Macron-Trump, le match des présidents “surprise” : et celui qui a le mieux transformé l’essai jusqu’à présent est…
©AFP

Avanatage

Parfois comparés, souvent opposés, Emmanuel Macron et Donald Trump ont tous deux créé la surprise lors de leurs élections respectives. Ou en sont-ils à présent ?

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : 18 mois après l'élection française, 2 ans après l'élection américaine, ou en sont les deux présidents politiquement ?

Rémi Bourgeot : Donald Trump est contesté de façon extrêmement vive, sur de nombreux fronts, mais il faut également noter une évolution substantielle du débat aux Etats-Unis sur un certain nombre de sujets, en particulier commerciaux, et notamment au sein du parti démocrate. La renégociation de l’accord de libre échange nord-américain avec le Mexique et le Canada a permis de donner une certaine cohérence à la politique commerciale dont beaucoup ne voyaient que le caractère assurément erratique. Le débat ne se concentre plus tellement sur l’opposition binaire entre ceux qui voudraient déclencher une guerre commerciale tous azimuts et ceux qui estiment que les déséquilibres commerciaux n’ont aucune importance. Une série d’articles et d’éditoriaux d’auteurs classés dans le camp démocrate, notamment dans le New York Times, ont illustré l’évolution du débat dans un sens favorable aux renégociations commerciales. Ceux-ci tendent à accorderun certain crédit à Trump sur la réforme de l’Alena, dans la perspective de trouver les moyens d’un rééquilibrage, certes plus difficile, avec la Chine. Il ne serait pas surprenant de voir dans deux ans un candidat démocrate porter une approche reposant sur ce nouveau consensus commercial, tout en s’efforçant de proposer une politique plus réfléchie dans ses objectifs industriels que ne l’est aujourd’hui celle de Trump.

Emmanuel Macron semble suivre une dynamique politique à peu près opposée, étant parti, au contraire de Donald Trump, d’un fort capital de crédibilité, sur l’échiquier mondial en particulier, sur la base de ses projets de refondation européenne et de son invocation d’une modernité transcendante. Rattrapé par l’effondrement du paysage politique, il voit désormais son approche personnelle remise en cause, qui plus est dans un contexte de ralentissement économique marqué.  Ses projets européens sont confrontés au refus allemand. Et sa série de « transformations »peine à constituer une véritable stratégie de développement à même de susciter l’adhésion.

On voit aux Etats-Unis un président fortement contesté, avec une crédibilité inexistante auprès de toute une partie de la population, mais on ne peut que constater également, malgré la violence des polémiques, une évolution plus large du débat sur les moyens de rééquilibrer l’économie dans un sens plus favorable à la société, et de mettre à profit la révolution technologique en cours.

Alors que la France avait été présentée pendant quelques semaines comme l’élève modèle de la démocratie libérale face à Trump, la réflexion y apparaît finalement comme paralysée, malgré notre potentiel considérable dans les évolutions technologiques actuelles, par l’affaissement de la structure politique du pays. La pérennité des deux grandes structures partisanesaux Etats-Unis permet, malgré les aléas liés à la remise en cause actuelle, de mener certains débats économiques nécessaires, là où la France semble davantage s’enfermer dans un jeu de transcendances rivales.

Nicolas Goetzmann : La synthèse des enquêtes d'opinion américaines produite par realclearpolitics montre un niveau de soutien de 43.6% à Donald Trump deux années après son élection. De son côté, Emmanuel Macron a vu sa côte de popularité chuter autour des 30% en ce début octobre (33% pour IFOP et Odoxa). La principale différence est la stabilité du soutien donné à Donald Trump depuis l'élection qui s'oppose à la chute marquée d'Emmanuel Macron dans les sondages depuis l'été. Donald Trump est parvenu à construire une base électorale solide en polarisant fortement le débat sur le terrain politique intérieur et en obtenant des résultats économiques importants, notamment avec la baisse du niveau de chômage à un niveau jamais atteint depuis 1969, soit 3.7%.

Si les deux hommes peuvent être comparés par leur conquête du pouvoir surprise, un style direct, et une volonté d'incarner une forme de monde nouveau, c'est évidemment sur les résultats que la différence se fait. L'arrogance perçue par les Français, dans le cas d'Emmanuel Macron n'est pas compatible avec l'absence de résultats. Les Français ont accepté l'arrogance (perçue par près de 80% des Français) du chef de l'État car elle était associée à une perception de compétence. Mais la difficulté actuelle à présenter des résultats provoque la chute de cette perception de compétence, et seule l'arrogance demeure. Concernant Donald Trump, ses outrances ont provoqué à l'inverse une présomption d'incompétence, qui a longtemps amusé les commentateurs, pour en arriver à présenter un bilan économique fait de baisse du chômage, de baisse de la pauvreté, de hausse des salaires, et de négociations commerciales qui produisent des résultats. On assiste aujourd'hui à une forme de réhabilitation partielle de Donald Trump à l'aune de ces résultats.

Cependant, les deux hommes sont aujourd'hui confrontés à des problèmes parallèles. Emmanuel Macron éprouve des difficultés à former un nouveau gouvernement dans une perspective d'élections européennes qui pourraient s'annoncer périlleuses. De son côté, Donald Trump pourrait subir une défaite pour les mid-terms de ce mois de novembre. Mais si l'on voit mal comment Emmanuel Macron pourrait se reconstruire politiquement en l'absence de résultats économiques, on peut assez bien imaginer que Donald Trump s'accommode d'une majorité démocrate en ressortant son "plan infrastructures". Il sera difficile pour ces derniers de refuser un tel projet, dont Donald Trump sera le principal bénéficiaire sur le plan politique.

Comment comparer le bilan des deux présidents au regard des promesses faites à leur électeurs, comment comparer leur situation vis à vis de leurs partis respectifs ?

Nicolas Goetzmann : Les orientations politiques prises par Emmanuel Macron sont conformes à ses engagements de campagne, mais les résultats ne sont pas là. La difficulté est qu'Emmanuel Macron s'est engagé sur deux thèmes principaux, la réforme économique et la refondation européenne. La révision à la baisse des prévisions de croissance pour le pays pour les prochaines années vient neutraliser les promesses faites sur le terrain économique. Et concernant l'Europe, l'accord qui a été présenté comme "historique" par le Chef de l'État – la déclaration de Meseberg- ressemble plus à un camouflet sur cette question qu'à une quelconque victoire. Les ambitions européennes d'Emmanuel Macron sont restées des ambitions, parce que la plupart ont été retoquées par Berlin. Donc, effectivement, le bilan n'est pas à la hauteur des promesses, ce qui est logiquement la source de l'effritement progressif des soutiens politiques d'Emmanuel Macron. Il faut noter que cette faiblesse est aujourd'hui exploitée par les LR qui ont choisi d'emprunter un chemin de droite libérale sur le plan économique, venant ainsi directement concurrencer le président sur ses bases. Sur les sujets régaliens, Emmanuel Macron n'est pas parvenu à s'imposer sur des thèmes ou il est considéré comme jouant sur la notion du en "même temps".

Mais c'est là une différence avec Donald Trump qui a pu compter sur un grand parti pour le porter au pouvoir, malgré les réticences des Républicains à soutenir un tel candidat. Le système politique américain est parvenu à faire naître, en son cœur, un candidat radicalement nouveau, avec une offre politique nouvelle, ce que les partis politiques Français ne sont pas parvenus à faire. Le dégagisme français s'est fait en dehors des partis. Ils n'ont pas réussi leur mue pour présenter un candidat antisystème au sein de ces partis de gouvernement, et Emmanuel Macron le paye très durement aujourd'hui par l'incapacité à trouver une profondeur politique autour de lui.

De son côté, on a pu voir comment Donald Trump a encore consolidé sa base et le parti avec la nomination du juge Kavanaugh et le soutien total qu'il lui a apporté. Ici, Trump soigne son parti, et ses électeurs historiques sur des questions de société. Trump "délivre" à son électorat tout en polarisant la société.

Rémi Bourgeot : Aux Etats-Unis, les chiffres de croissance impressionnants et le chômage très bas donnent à Trump une certaine marge de manœuvre politique, bien que l’on puisse craindre que cette forte croissance ne repose sur des facteurs de court/moyen terme, comme la relance par les baisses d’impôts, et bien que l’exubérance financière actuelle ne fasse planer le risque d’une crise sérieuse à l’horizon 2020. Les classes populaires commencent seulement maintenant à véritablement profiter de l’amélioration économique, et elles seraient pourtant les premières à souffrir d’une nouvelle crise. Trump a par ailleurs voulu signifier à son électorat rural que ses attaques commerciales devaient directement leur profiter, en tentant de négocier une augmentation des exportations agricoles américaines pour compenser les déficits commerciaux avec la Chine et l’UE. Manque une véritable stratégie industrielle, au-delà de ces messages de nature politique. Le lancement d’un plan de rénovation des infrastructures pourrait néanmoins constituer un geste supplémentaire, à la fois bénéfique aux classes populaires et nécessaire à la compétitivité du pays.

En ce qui concerne le parti, Donald Trump semble vouloir assurer une certaine cohésion, malgré le rejet pas certains courants de son approche commercial, en reprenant la plupart des thèmes géopolitiques qui leur sont chers, comme par exemple sur l’Iran. Les rebondissements liés à la gestion de son administration et aux diverses guerres de tranchées institutionnelles sont quasi-quotidiens, mais on assiste aussi, en contrepoint, à des déclarations indiquant une forme de soutien, notamment de républicains relativement jeunes qui ne voient pas nécessairement un avenir dans l’approche traditionnelle du parti telle que l’avait incarnée les deux derniers candidats républicains malheureux à la présidentielle.

En se concentrant sur la checklist des réformes structurelles préconisées au cours des dernières décennies, l’approche d’Emmanuel Macron suscite l’opposition de nombreux groupes sociaux sans pour autant offrir une stratégie de croissance qui intégrerait le potentiel français en ce qui concerne la révolution technologique en cours dans le monde. L’idée d’un grand bon en avant dans la construction européenne avait par ailleurs été présenté comme une garantie de stabilité et de définition d’une politique commune à l’échelle européenne, qui n’est plus d’actualité étant données les divergences franco-allemandes sur ces sujets. Le ralentissement économique, après une reprise seulement limitée, ajoute à ce climat politique, dans un contexte de chômage qui demeure particulièrement élevé. La rhétorique qui consiste à opposer le sort d’une élite mondialisée allant de succès en succès à celui des classes populaires ne permet pas, par ailleurs, d’identifier les dysfonctionnements particulièrement marqués en France en ce qui concerne la relégation de l’élite technique et scientifique. Ces blocages semblent freiner la réflexion sur les moyens d’initier un cycle de croissance substantielle, qui ne peut être basé que sur une montée en gamme technologique et un accroissement de la productivité, pour profiter à l’ensemble de la société. La boîte à outils des réformes dites structurelles a pu aider certains pays comme l’Espagne, ravagés par la crise de 2008, à s’orienter vers un rebond par les exportations à bas coûts, mais s’avère limitée lorsqu’il s’agit de mettre à profit les évolutions technologiques pour nourrir un régime de croissance durable.

Comment comparer les méthodes de gouvernement des deux présidents, avec quels résultats ?

Rémi Bourgeot : L’approche de Donald Trump repose sur la remise en cause théâtrale de ce qui est considéré comme acquis, en particulier lorsqu’il s’agit des relations internationales, aussi bien sur le plan commercial que sur celui de la défense. Tout en suivant les lignes fixées durant sa campagne centrée sur le concept « America first », il reprend des débats qui, en réalité, animent la scène parlementaire américaine depuis plusieurs décennies. Beaucoup des thèmes abordés par Trump l’avaient aussi été par Barack Obama, notamment au sujet des déséquilibres commerciaux et des modèles non-durables en la matière, mais suivant un style et une approche évidemment très différente. Trump tranche ces débats en menaçant de bouleverser les relations des Etats-Unis avec les pays en question. Sur la question commerciale, il s’est efforcé de trouver un accord avec ses voisins pour pouvoir faire davantage pression sur la Chine. On ne voit guère de négociations méticuleusement économiques en réalité, car son approche est de nature surtout politique. Le détail lui importe peu et il est avant tout focalisé sur la musique générale qu’il entend continuer à jouer sur la base de succès politiques auprès de l’électorat populaire. Au niveau économique, son plan de relance substantiel couplé à une série de renégociations commerciales remplissent cette fonction. Cela lui permet à la fois d’annoncer de forts chiffres de croissance à court terme et d’invoquer la cause d’un rééquilibrage général. Pour sa part, Emmanuel Macron a centré son approche sur l’idée consistant à mettre rapidement en œuvre un ensemble de réformes génériques permettant de gagner en crédibilité à l’échelle européenne puis d’y mettre en œuvre un grand projet fondé sur une mise en commun fiscal. Cette approche est également de nature politique. Mais en faisant appel à une sorte de transcendance des réformes structurelles et d’un parachèvement institutionnel européen qui ne viendra pas, manquent à la fois les moyens d’un rééquilibrage économique réel et une politique visant à entretenir la croissance.

Nicolas Goetzmann : C'est ici que la comparaison est la plus divergente. Nous avons un Donald Trump qui négocie en commençant par menacer sa contrepartie, que celle-ci soit un allié ou non, et qui n'hésite pas à aller jusqu'à l'intimidation. Après le choc des premiers mois, cette méthode commence à être éprouvée et des résultats sont apparus, notamment en matière commerciale avec le Mexique, le Canada, et possiblement la Chine à l'avenir. Pour évaluer la méthode Macron, il faut regarder son action au niveau européen. L'objectif était d'obtenir une refondation européenne. Pour arriver à ses fins, Emmanuel Macron a donné à l'Allemagne ce qu'il pensait être nécessaire ; les réformes. En faisant ces réformes, il pensait compter sur une attitude de bienveillance de la part d'Angela Merkel pour emporter l'adhésion à son projet. Et ce qui devait arriver arriva, Angela Merkel a largement détricoté les ambitions du président français. D'un côté, Trump joue à fond le rapport de force alors qu'Emmanuel Macron a compté sur la bienveillance. Cela est d'autant plus problématique qu'une négociation européenne menée par un Emmanuel Macron fraîchement élu et incarnant une ligne pro-européenne aurait pu obtenir des résultats en jouant sur les rapports de force. Ce capital politique n'a pas été utilisé, et il est sans doute trop tard aujourd'hui pour changer de ligne.

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