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Lutter contre les discriminations ? Encore faut-il savoir ce que recouvre le terme de "diversité"...
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All together but all different

La diversité, un concept moderne et novateur, marqueur d’un début de XXIe siècle qui prend à bras le corps ses scléroses et rigidités mentales ? Faut voir...

Antoine  de Gabrielli

Antoine de Gabrielli

Antoine de Gabrielli est dirigeant de Companieros, fondateur de l'association Mercredi-c-papa et initiateur du projet Happy Men. Blogueur sur la question de l'égalité professionnelle entre hommes et femmes (www.mercredi-c-papa.com), il est également membre de la Commission égalité professionnelle du Medef, de la Charte de la Diversité, de l'Association Française des Managers de la Diversité (AFMD) et du Club XXIème siècle qui œuvre pour l'intégration républicaine. Suivez Antoine de Gabrielli sur Twitter : @happy_men_fr ou @adegabrielli 

Voir la bio »

"Démarche volontaire d’une organisation qui vise à recruter et à conserver des employés appartenant à différents groupes sociaux (...) » (Konrad et al., 2006) ou encore « démarche managériale visant à faire évoluer les représentations pour éliminer tout comportement discriminatoire dans l’entreprise et instaurer une culture de la tolérance, qui permette l’inclusion de chacun avec ses apports et ses différences » (Bender, 2007), la diversité est un concept d’origine anglo-saxonne qui met principalement l’accent sur les enjeux économiques pour l’entreprise, ainsi que l’analyse AFMD*.

En France, l’Article 1er de la constitution française stipule que : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

 Aussi, comme l’indique Laure Perret (« La diversité des genres contribue-t-elle à la performance de l’entreprise ? ») : « D’une façon générale, la notion de diversité peine à trouver sa légitimité dans le contexte français de l’attachement à une vision uniformatrice et universaliste de l’égalité entre les individus, quels que soient leur sexe, leur religion, leur origine, etc. ». « Il y a un primat de l'unité en France » ajoute Jacques Demorgon (« Les cultures d’entreprises et le management interculturel »).

Catégories contre universalisme ? Individu contre communauté ? Le débat est ancien et va bien au delà du seul cadre de l’entreprise…

De Saint-Paul à Marx, une très rapide histoire de la diversité…

Au début étaient les Grecs… non pas ceux qui défraient aujourd’hui la chronique financière mais les anciens, ceux de la Philosophie et de la République.

Pour ces anciens grecs, le monde était assez simple : d’un côté les grecs, de l’autre les barbares. Ces derniers, à l’époque, ne sont pas nécessairement chevelus, habillés de peaux de bêtes et armés de gourdins : ce ne sont simplement que des… étrangers : le mot « bar-bar » désigne celui qui ne parle pas le grec et s’exprime de manière inintelligible aux grecs.

Arrive la révolution chrétienne avec Saint-Paul : « Il n'y a plus ni Juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme, nous sommes tous frères dans le Christ » (Epitre aux Galates, Ga 3/28). Alain Badiou dans son « Saint-Paul », y a vu « La fondation de l'universalisme ». Le « geste inouï de Paul », au regard de son temps et de sa double culture (juif et citoyen romain), est effectivement de sortir la vérité de l’Homme de l’emprise communautaire, qu’il s’agisse d’un peuple, d’une cité, d’un Empire, d’un territoire ou d’une classe sociale, en posant les conditions d’une singularité universelle.

Pour Philippe Cibois (« Universalisme »), « Les mots de Saint-Paul semblent à ce point en phase avec les valeurs contemporaines qu’on pourrait voir dans le christianisme l’origine de la « diversité », au sens moderne du terme, qui veut la fin des discriminations supportées en raison du sexe, de l’âge, d’un handicap ou encore d’origines sociales ou ethniques… ». Nietzsche en faisait d’ailleurs reproche au christianisme qui avait selon lui répandu « le poison de la doctrine de l'égalité des droits pour tous » (L’Antéchrist p43).

Le concept de lutte des classes, décrit par Marx dans « Le Capital », revient, à partir d’une interprétation de la réalité sociale de son temps, sur cette vision de l’universalité : pour Marx, il y a polarisation de la société en deux classes rivales : les bourgeois capitalistes et les prolétaires. La singularité de chaque homme, telle que l’avait portée la tradition chrétienne, s’efface donc derrière les déterminismes des classes sociales. « Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c'est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience » (Marx, Critique de l'Economie politique, 1857). Cette même analyse sera plus tard le terreau intellectuel du féminisme radical, qui interprète comme une véritable lutte de classes les rapports entre hommes et femmes, faisant de chaque homme et de chaque femme des individus d’abord déterminés par leur sexe au sein de rapports dominants-dominées.

Le paradoxe de la « Diversité »

 Le but de ce rappel historico-philosophique n’est pas de prendre parti mais de comprendre que le débat entre catégorisation et singularité est ancien, profond, et qu’il traverse aujourd’hui la question de la « Diversité », notamment en entreprise.

Tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, utilisent cette notion en connaissent le paradoxe : le simple fait d’identifier une catégorie humaine contribue à accentuer la stigmatisation de ceux qu’elle décrit.

On le sait, les stéréotypes stigmatisants sur les hommes et les femmes, comme sur toute catégorie humaine répertoriée par la loi comme pouvant supporter des discriminations (2), ne sont pas nécessairement faux : si nous rions tant aux sketches de Florence Foresti (« j’aime pas les garçons », « l’amour pour les filles »), c’est bien que nous y trouvons une part de vérité. Le danger provient des généralisations déterminées, au sens où Marx l’entend, par la simple appartenance à une catégorie. C’est de là que peuvent naître les discriminations, quand l’individu disparaît derrière un groupe de référence auquel il est rattachable.

Dans l’entreprise, l’impasse du seul raisonnement par catégories.

Ce danger se manifeste de manière très concrète en entreprise, comme dans toutes les organisations. Les femmes moins disponibles que les hommes ? C’est vrai, les statistiques le prouvent. Mais qu’en est-il de cette femme, ici, avec qui je parle ? Quelle est sa situation de famille ? Quelle est la division des tâches dans son couple ? Quels sont ses choix personnels ? Quelle est son organisation ? Si je l’enferme, au sens de Marx, dans la catégorie « Mère de famille », je la stigmatise et, probablement, je la discrimine.

Toujours dans l’entreprise, la notion de « diversité », telle qu’elle est le plus souvent utilisée aujourd’hui en France recouvre un grand nombre de catégories opposables les unes aux autres dont l’accumulation devient rapidement d’un maniement délicat : homme ou femme, handicapé ou valide, senior, origine sociale ou ethnique, orientation sexuelle… aucune de ces diversités n’est exclusive l’une de l’autre. On peut imaginer, si la pratique des quotas devait être généralisée, le casse-tête que serait demain la constitution d’un conseil d’administration non discriminant.

Deux niveaux complémentaires de lutte contre les discriminations

Luc Boyer (« Risques et limites de la Diversité ») indique que « Dans toute bonne formation à la gestion de la diversité, l’objectif est (…) d’aller à la rencontre de l’Autre dans ses différences. Il s’agit, bien plus que de savoir lutter contre les discriminations, d’apprendre à reconnaître l’Autre en chacun pour pouvoir réellement promouvoir ses diversités ». C’est donc à une volonté de prendre en compte l’individu, Autre toujours différent, qu’il appelle de ses vœux.

Dans les organisations (entreprises, administrations, etc.), nous pensons, nous, que la notion de catégorie, et donc de diversité, et celle de singularité, et donc d’universalité, sont complémentaires, en cela qu’elles ne s’adressent pas au même niveau d’action et qu’elles sont toutes deux indispensables.

La lutte contre les discriminations a besoin d’un raisonnement par catégories. Il est nécessaire à la définition des politiques, à la construction des plans d’actions et à la mesure des résultats. Mais dans la relation entre personnes, telle qu’elle est vécue dans toute relation professionnelle, hiérarchique ou non, le respect de la singularité de chacun par chacun est la clef de voûte de la non discrimination. La capacité à prendre en compte la singularité, certes dans un environnement professionnel lui-même générateur de contraintes, est donc à la base une compétence individuelle, professionnelle et managériale, indispensable à la non discrimination. D’où les échecs qui ont pu être enregistrés dans les politiques de diversité : sans un puissant volet formation, dont le cœur est la prise de conscience personnelle de nos tendances naturelles à catégoriser, elles sont toutes, toujours, vouées à l’échec.

De la différence à la singularité : les mots d’Alexandre Jollien.

Alexandre Jollien, philosophe atteint d’athétose (infirmité motrice cérébrale) à sa naissance, interviewé le 10 janvier 2004 par Libération, déclarait : « la première fois où je suis sorti, j'ai voulu savoir à quoi ressemblait une personne normale. Autant vous le dire, aujourd'hui, je cherche encore... ». Il ajoutait : « Je préfère parler de singularité, ce qui est autre chose que la différence (…) la différence est toujours sur un terrain réactif : je suis différent par rapport à un autre. La singularité, elle, n'appelle pas la comparaison. Alors que la différence est subie, la singularité est assumée. Elle n'est pas monolithique, elle est composite, infiniment complexe. Philosophiquement, il serait préférable d'insister davantage sur l'humanité qui nous lie les uns les autres, le handicapé, le Noir... que sur nos différences. Il ne s'agit pas de respecter le handicapé et le Noir parce qu'il est handicapé ou parce qu'il est noir mais parce qu'il s'agit de personnes à part entière avec lesquelles on partage des valeurs communes. »

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(1) : AFMD : Association Française des Managers de la Diversité

(2) : Les 18 critères de discrimination sanctionnés par la loi sont : l’origine, le sexe, la situation de famille, la grossesse, l’apparence physique, le patronyme, l’état de santé, le handicap, les caractéristiques génétiques, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’âge, les opinions politiques, les activités syndicales, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée. Source: Article 225-1 du Code Pénal

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