Lutte contre les mariages forcés : pourquoi empiler les législations ne suffira pas<!-- --> | Atlantico.fr
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Deux projets de loi seront bientôt soumis au vote des parlementaires pour lutter contre les mariages forcés.
Deux projets de loi seront bientôt soumis au vote des parlementaires pour lutter contre les mariages forcés.
©Reuters

Je le veux (ou pas)

Lundi, la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem a relancé le débat sur le mariage forcé, annonçant deux projets de lois bientôt soumis au vote des parlementaires et une campagne de prévention.

Gérard  Neyrand

Gérard Neyrand

Gérard Neyrand est sociologue, est professeur à l’université de Toulouse), directeur du Centre interdisciplinaire méditerranéen d’études et recherches en sciences sociales (CIMERSS, laboratoire associatif) à Bouc-Bel-Air. 

Il a publié de nombreux ouvrages dont Corps sexué de l’enfant et normes sociales. La normativité corporelle en société néolibérale  (avec  Sahra Mekboul, érès, 2014) et, Père, mère, des fonctions incertaines. Les parents changent, les normes restent ?  (avec Michel Tort et Marie-Dominique Wilpert, érès, 2013).
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Atlantico : Deux projets de loi seront bientôt soumis au vote des parlementaires et une campagne de prévention va être mise en œuvre pour lutter contre les mariages forcés, a annoncé lundi à Cergy la ministre des Droits des femmes Najat Vallaud-Belkacem. "Tromper quelqu'un pour l'emmener et le contraindre à subir un mariage forcé" deviendra un délit. Est-ce une solution adéquate ?

Gérard Neyrand : Un projet de loi n’est pas la panacée. Mais cela donne un cadre à la lutte contre le mariage forcé. Jusqu’à ces dernières années, la question était relativement absente du débat public cependant elle a connu un tournant dans les années 1990 quand des associations de femmes - qui elles-mêmes avaient été menacées de mariage forcé – ont commencé à faire entendre leur voix. Apporter une réponse légale au problème est intéressant même si ce n’est pas suffisant.

Être confronté à une jeune fille qui est en passe d’être mariée de force à un homme qu’elle n’aime pas demande une réponse immédiate. Des associations se sont donc formées et ciblent les communautés, turque par exemple, mais aussi des associations telles que « Ni putes ni soumises ». Des consulats sont parfois même impliqués dans ce type d’affaires puisque des jeunes filles sont mariées à l’étranger. Ils les ont donc aidé à rentrer en France afin d’annuler le mariage non consenti.

Pour réussir à enrayer le problème, il faut donc un accompagnement des jeunes gens mais aussi et surtout une réponse préventive.

Qui est concerné en France par le mariage forcé ?

Les femmes tout comme les hommes, de 15 à 25 ans, car au-delà, ils ont pris leur indépendance. Pourtant ces derniers y échappent plus facilement. En effet, les familles qui pratiquent le mariage forcé sont principalement de culture patriarcale. La pression est donc bien plus sur les épaules des filles. Si un garçon y est contraint, ce sera souvent parce que ses parents ne peuvent accepter son homosexualité.  

Les pays concernés ne fonctionnent pas sur le libre consentement comme c’est le cas dans les pays occidentaux d’où le peu de mariages forcés entre conjoints Français ou Européens. Pour eux, on ne peut pas parler de mariage forcé, plutôt de mariage arrangé. On les rencontre dans le cadre de la transmission familiale que ce soit chez la grande bourgeoisie ou chez les propriétaires terriens. Pour eux, l’intérêt est économique. On peut trouver cela condamnable moralement, mais pas légalement.

Pour certaines populations, le mariage arrangé est un peu la règle. Je parle principalement des pays d’Afrique sub-saharienne, du Moyen-Orient et d’Asie. En France, la majorité des cas est issue du Maghreb et de la Turquie, compte tenu de l’importance de leur immigration. Ces populations fortement rurales ont une logique de mariage arrangé très prégnante qui peut parfois dériver vers un mariage forcé. Une fois sur le territoire français, les parents vont organiser l’union d’un membre de leur communauté qui vit en France, avec un autre qui vit toujours au pays. La logique est communautaire, religieuse.

Enfin, il est très difficile de donner un chiffre, étant donné que cela se passe dans l’intimité des familles, et que beaucoup de jeunes gens n’en parlent pas. Mais potentiellement, il y a un très grand nombre de personnes susceptibles d’être mariées contre leur gré tant l’immigration est importante en France. Certains enfants vont finir par accepter la situation, d’autres vont fuir, certains, aussi, vont parvenir à faire plier leurs parents.

Selon quelles modalités se présente-t-il ? 

L’une des grandes modalités est le retour au pays d’origine. L’occasion d’une fête de famille, de vacances, etc. Bien souvent, un cousin ou une personne proche de la famille ou d’amis va être sollicitée alors que la jeune fille, elle, n’ait, pour la plupart du temps, pas au courant de ce qui se trame. La contrainte est morale et peut devenir physique. Pour rappel, à partir du moment où le consentement n’est pas « libre et éclairé », le mariage peut être annulé… Une solution qui est trop souvent méconnue des jeunes filles. Par ailleurs, elles subissent de telles pressions, qu’aucun recours n’est envisageable.

Comment finalement lutter efficacement contre un phénomène extrêmement multiforme ?

Il faut mettre en place une logique de prévention, qui n’existe actuellement que sporadiquement dans les collèges et lycées où les assistantes sociales peuvent encadrer les jeunes filles inquiètent. Mais ces réponses ne sont pas disponibles sur tout le territoire. Une prévention nationale serait intéressante. Il y a déjà eu des campagnes télévisées d’ailleurs. Leur impact n’a pas été négligeable car ce fut l’occasion de diffuser à grande échelle un numéro d’urgence, un site sur lequel trouver du réconfort et de l’aide. Tout ce travail d’information est nécessaire aussi bien dans les structures d’intervention d’urgence que de prévention, et notamment par le biais de l’école.

Les parents doivent également être intégrés à ce programme de prévention. Quand j’ai interrogé les travailleurs sociaux, j’ai appris que des parents avaient fini par accepter, à force de discussions, de renoncer à marier leur enfant.

Enfin, les représentants des religions ont leur part de responsabilité. Dans le coran, il est dit que l’acceptation des deux époux est nécessaire. Aucun précepte religieux n’accepte ce type de logique. Ils devraient peut-être le rappeler !

Propos recueillis par Mathilde Cambour

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