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Ententes entre producteurs : 
“Les cartels sont une spoliation 
du pouvoir d’achat 
contre laquelle il faut lutter !”
©

Le (vraiment) contre

L'Autorité de la Concurrence a sanctionné récemment plusieurs ententes entre entreprises dans divers secteurs industriels. Ces cartels s'entendaient pour fixer entre elles un prix minimum ; une façon pour les producteurs de faire face à la grande distribution. Abusivement ?

Emmanuel Combe

Emmanuel Combe

Emmanuel Combe est vice-président de l'Autorité de la concurrence et professeur affilié à ESCP-Europe. Il est également professeur des universités.

Spécialiste des questions de concurrence et de stratégie d’entreprise, il a publié de nombreux articles et ouvrages, notamment sur le modèle low cost (Le low cost, éditions La Découverte 2011). Il tient à jour un site Internet sur la concurrence.

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Atlantico : Farines, endives, lessives : l'Autorité de la Concurrence a sanctionné récemment plusieurs cartels qui s'entendaient sur les prix. Est-elle dans son rôle ?

Emmanuel Combe : Tous les pays développés luttent aujourd’hui contre les pratiques de cartels. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’un cartel, ce n’est rien d’autre qu’une spoliation du pouvoir d’achat des consommateurs, une manière artificielle d’augmenter les prix, sur le dos de la société. Le produit que vend le cartel n’a pas changé, il n’est pas meilleur qu’avant mais il est désormais vendu plus cher tout simplement parce que plusieurs firmes concurrentes en ont décidé ainsi. Des firmes en cartel se comportent comme si elles étaient en monopole, alors qu’elles ne le sont pas.

Vous noterez que les prix élevés peuvent tout à fait se justifier, par exemple lorsqu’une firme lance de nouveaux produits innovants. Mais dans le cas d’un cartel, nous ne sommes pas du tout dans ce type de configuration : on complote simplement pour monter les prix et pour figer la dynamique du marché. Pour prendre une image empruntée au domaine du sport, c’est un peu comme si dans une course cycliste on désignait les vainqueurs à l’avance ou on s’entendait sur le résultat de la compétition. Où est le mérite économique ? En concurrence, chaque entreprise doit faire valoir ses propres mérites par rapport à ses concurrents.

Un cartel est-il mauvais en tant que tel ou peut-on imaginer qu'il représente une solution logique contre le pouvoir de la grande distribution ?

Contrairement aux idées reçues, les autorités de la concurrence ne sont pas aveugles et sourdes aux spécificités et aux difficultés que peuvent rencontrer certaines professions et certains secteurs, notamment lorsqu’ils doivent faire face au pouvoir de la grande distribution. Pour autant, cela ne justifie pas d’en arriver à des comportements aussi extrêmes et injustifiables que les cartels. Il existe d’autres moyens, moins distorsifs de concurrence, pour surmonter ces situations.

Par exemple, pour aider les agriculteurs, l’Autorité de la Concurrence a proposé à plusieurs occasions des solutions novatrices et efficaces : signature de contrats à long terme avec les transformateurs, qui permettent de donner aux agriculteurs de la visibilité sur les prix et les volumes ; regroupement des agriculteurs au sein de grandes coopératives, pour faire contrepoids à leurs clients.

Comment expliquer que ces ententes aient pu perdurer aussi longtemps ?

Il est très difficile de détecter les cartels, dans la mesure où il s’agit par définition de pratiques secrètes. La discrétion est donc la règle. Mais de grands progrès ont été accomplis depuis plusieurs années dans la lutte contre les cartels, grâce à la mise en place de ce que nous appelons les « programmes de clémence ».

Si un membre du cartel accepte le premier de dénoncer l’entente et de collaborer avec les autorités de concurrence, il peut obtenir une immunité totale de sanctions. Cet outil se révèle très efficace et la plupart des cartels qui sont aujourd’hui détectés en Europe le sont par la clémence. A titre personnel, je pense que l’on pourrait aller plus loin en France et garantir aux salariés de l’entreprise qui collaborent la première avec l’Autorité de la Concurrence une immunité de poursuites pénales, comme cela se fait dans d’autres pays. Il n’y a pas de raison que l’entreprise, c’est-à-dire les actionnaires, échappe à l’amende alors que les salariés peuvent être de leur côté poursuivis au pénal.

Le montant des sanctions est-il suffisamment élevé sachant qu'il représente finalement assez peu au regard des sommes engrangées lors de ces ententes ?

Les sanctions pécuniaires obéissent à des règles précises et ne sont pas déterminées au hasard. D’ailleurs, la loi française est très claire et précise à ce sujet : les sanctions doivent être notamment proportionnées au dommage causé à l’économie et à la gravité des faits. Une pratique de cartel est par nature très grave ; quant au dommage causé, il doit être apprécié au cas par cas. Ce qui est sûr, c’est qu’un cartel qui a causé un grand dommage devra logiquement être sanctionné fortement : à gain illicite élevé, amende élevée.

Vous noterez que le montant des sanctions infligées par la Commission européenne a considérablement augmenté depuis l’ère Monti, au début des années 2000 : faire un cartel et se faire prendre peut coûter aujourd’hui très cher. Le montant des amendes se chiffre, pour les plus grosses affaires, en centaine de millions d’euros. Le temps du laxisme et de la douce négligence est donc bien révolu.

Comment justifier que le montant des amendes collectées bénéficient aux caisses de l’État et pas directement aux consommateurs lésés ?

Mais l’Etat, ce sont les Français et les consommateurs ! L’argent ainsi récolté sera utilisée pour financer des dépenses publiques comme la Santé ou l’Education.

Si vous voulez dire en revanche que les consommateurs victimes d’un cartel ne reçoivent pas de compensation parce qu’ils sont inorganisés et trop nombreux, alors il faut sans doute réfléchir à la mise en place d’une action de groupe en France. Une class action équilibrée, qui ne se transforme pas en lynchage médiatique des entreprises mais qui permette simplement aux victimes de faire valoir leur droit fondamental à réparation. Cela existe déjà dans d’autres pays, et pas seulement aux Etats-Unis : le Portugal, le Brésil, etc. En France, c’est un serpent de mer depuis 30 ans. Mais je pense que cela finira bien par arriver un jour chez nous parce que cela va dans le sens de l’Histoire, celle d’un consommateur qui devient acteur de la régulation du marché.

Les ententes entre cartels sont-elles plus nombreuses en France qu'à l'étranger ?

Difficile de répondre à cette question. Par définition, nous ne connaitrons jamais l’ensemble des cartels qui sévissent en France et dans d’autres pays et il est donc douteux de faire une comparaison. Le fait que plus de cartels soient détectés dans un pays ne signifie pas forcément qu’il y en a plus ; cela peut être aussi le signe d’une plus grande efficacité dans la détection.

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