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A quoi passe-t-on un jour férié dans un monde saturé de sollicitations ?
©Reuters

Repos forcé

Avec de plus en plus de commerces ouverts, les jours fériés ont tendance à ressembler à n'importe quel samedi. Cependant, indépendamment des convictions de chacun, les activités ne sont pas les mêmes selon qu'elles soient d'origine religieuse ou laïque.

Dominique Desjeux

Dominique Desjeux

Dominique Desjeux est professeur émérite à la Sorbonne, université de Paris. Il est le directeur de la Formation doctorale professionnelle en sciences sociales et responsable du Centre de Recherches en SHS appliquée aux innovations, à la consommation et au développement durable. 

Il est aussi notamment co-auteur, avec Fabrice Clochard, de "Le consommateur malin face à la crise. : le consommateur stratège" (juillet 2013) aux éditions de L'Harmattant

Il vient de publier L’empreinte anthropologique du monde. Méthode inductive illustrée, Peter Lang

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Atlantico : Quel parti tirait-on d'un jour férié par le passé, et qu'en fait-on aujourd'hui ?

Dominique Desjeux : Je remarque que de manière générale les moments libres comme les jours fériés proviennent des rythmes agraires et du rythme des saisons. Cela signifie que le rythme est lié au travail (une question particulièrement d'actualité !). Et je constate aussi que ce rythme est lié au religieux : ce sont les clergés qui se battent pour obtenir des jours fériés ou des jours de vacances, car cil s'agit de moments où il est possible de pratiquer le culte, ce qui assure le fonctionnement de la religion. C'est pourquoi les grands défenseurs du temps libre sont les religions. Voilà donc ce à quoi on se consacrait en grande partie par le passé.

Ce que je viens de décrire est battu en brèche aujourd'hui en France, cependant c'est toujours d'actualité dans un pays comme les Etats-Unis. La France est le pays le plus laïc qui soit, c’est-à-dire que la distinction est clairement faite entre la religion vécue comme une chose intime, et la religion vue comme une institution. Alors qu'aux Etats-Unis la religion est très mélangée avec la vie publique. La pratique religieuse joue donc un rôle important, et pose problème à la France avec l'arrivée de l'islam, qui est en train de déborder par rapport au cadrage du weekend et des jours fériés, puisque la pratique est quotidienne, a priori : un musulman est censé s'arrêter cinq fois par jour dans ses activités pour faire sa prière. On voit donc que les jours fériés étaient un bon moyen de cadrer le temps de travaux et de repos sans mélanger les deux, et que ceci est en train d'être remis en cause soit par l'arrivée de religions comme l'islam, soit par la remise en cause du dimanche et la vision selon laquelle on peut "l'ouvrir" pour consommer.

Votre question est donc totalement d'actualité, puisque nous assistons à la remise en cause d'une stabilité vieille de quelques siècles.

En outre, ces jours chômés ont sans doute un lien avec ce qu'on appelait auparavant "la paix de dieu", ces moments où les chrétiens s'interdisaient de se faire la guerre mutuellement. Aujourd'hui on voit bien que plusieurs de nos jours fériés sont liés à la guerre. C'est révélateur : le jour férié est le moment où l'on cesse de faire la guerre, où l'on cesse de travailler, et c'est le moment où l'on prie, nettoie, fait les courses et consomme.

Aux Etats-Unis par exemple, lorsque Roosevelt est arrivé au pouvoir dans les années 30, il a déplacé la date de Thanksgiving à la troisième semaine de novembre pour inciter les gens à consommer plus entre cette fête et celle de Noël. Cela fit scandale et fut abandonné par la suite. Cet exemple montre le lien entre les jours fériés et la consommation, et la bataille permanente entre la religion d'un côté et la consommation, la première voulant garder ce temps pour elle.

Que faisons-nous de nos jours fériés, aujourd'hui ?

Tout dépend du jour férié. Lorsqu'il s'agit d'une fête unique comme le 11 novemebre qui n'est pas liée à un weekend, ce qui exclut Pâques, les Français vont soit consommer, soit s'adonner à des loisirs, soit se balader. Il ne s'agit pas d'une fête familiale au cours de laquelle le repas prendrait une importance centrale. Le lundi de Pâques est férié, relié à un weekend, il est donc plus familial, et lié à un repas.

On distingue donc deux catégories : les jours fériés laïcs, qui ne sont pas familiaux et qui poussent donc davantage à la consommation ; et les jours fériés liés à la tradition religieuse, qui poussent inconsciemment à la réunion de la famille autour d'un repas.

Les possibilités d'activités sont bien plus nombreuses aujourd'hui. Comment cela se retrouve-t-il dans la manière d'aborder un jour férié qui ne serait pas consacré à la famille ?

La consommation est bien plus présente. Traditionnellement les commerces de bouche étaient déjà ouverts le matin de jours fériés, mais ça n'allait pas au-delà. Aujourd'hui une porosité se crée entre les jours de travail, qui étaient aussi consacrés à la consommation, et les jours de repos où l'on ne pouvait rien acheter. Dans les années 50 la distinction était très claire, et encore plus au Royaume-Uni. Le changement s'est fait notamment sous la pression touristique : on a commencé à autoriser l'ouverture de magasins les jours fériés et le dimanche dans les zones touristiques. Ce sont ces ouvertures qui changent en partie les activités auxquelles nous nous livrons.

Il se trouve par ailleurs que beaucoup de gens travaillent trop, et n'ont donc pas le temps de consommer en semaine. C'est pourquoi les jours fériés sont devenus des jours de consommation.

Les jours fériés ressemblent donc à n'importe quel weekend, aujourd'hui ?

Pas tout à fait, car il reste encore les grandes manifestations. Le 1er mai est en grand jour de manifestations partout en France, certes beaucoup moins important qu'il y a quelques décennies. Par contre pour le reste, ces jours ressemblent de plus en plus à des weekends modernes dans le sens où ils sont consacrés à des  activités de loisir familial ou non familial, et à de la consommation. En outre, de plus en plus de gens travaillent "en décalé" : ils ne travaillent plus de 9h à 17h en semaine, rythme calé sur celui de la famille, mais pendant les jours fériés et les weekends. Si bien que leur jour férié à eux sera avant ou après.

Sommes-nous dans l'idée de "rentabiliser" le temps libre que représente un jour férié ?

Il y a une chose que l'on fera toujours lors d'un jour férié, c'est "profiter" du beau temps. Cela dénote une volonté d'efficience. Cependant j'estime que la population se divise en deux : d'un côté ceux qui chercheront à tirer le meilleur parti de ce temps, soit pour une sortie culturelle, soit pour accomplir ce qu'ils n'ont pas eu le temps de faire en semaine, et de l'autre ceux qui considèrent que c'est un temps totalement libre sur lequel aucune contrainte ne doit peser.

Propos recueillis par Gilles Boutin

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