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Lucide (elle) : Angela Merkel en Afrique pour prendre la mesure de la prochaine crise des migrants qui nous menace
©Reuters

Anticiper les risques

Après un long voyage diplomatique en Afrique subsaharienne, Angela Merkel a mis en garde les pays africains contre les conséquences désastreuses de la non-résolution des tensions politiques internes, notamment d'un point de vue migratoire. Le constat est courageux, mais demeure l'idée que la solution est un peu plus complexe que ce que présente la chancelière.

Serge Michailof

Serge Michailof

Chercheur à l’Iris, enseignant à Sciences Po et conseiller de plusieurs gouvernements, Serge Michailof a été l’un des directeurs de la Banque mondiale et le directeur des opérations de l’Agence française de développement (Afd). Il est notamment l'auteur du livre Africanistan - L'Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ? (Fayard, 2015). 

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Atlantico : En Ethiopie où elle terminait sa tournée africaine, la chancelière allemande Angela Merkel a insisté sur la nécessité d’accélérer la démocratisation dans les pays d'Afrique afin de prévenir une éventuelle crise migratoire à venir. Après être passée par le Niger, le Mali, puis l'Ethiopie, Angela Merkel n'a t elle pas le mérite de faire un constat nouveau en Europe, pour un dirigeant politique, prenant en compte le potentiel migratoire du continent africain, notamment entre les zones Sahel et la Corne du continent ?

Serge MichailofIl est excellent qu'Angela Merkel prenne ainsi conscience des risques migratoires en provenance du Sahel et de la corne de l'Afrique  et il est de bon ton de sa part d'insister sur l'importance de la démocratie. Mais tant le Niger que le Mali disposent de régimes élus démocratiquement.Si la situation est certes plus complexe en Éthiopie où le pays relève plus d'un "développementalisme démocratique" que d'une démocratie classique et que certains politologues taxent le régime de système oligarchique, il est certain que sous le précédent chef d’État Meles Zenawi le pays a fait des progrès considérables en termes de développement en partant d'un niveau absolument misérable. Les risques migratoires en Éthiopie sont plutôt à craindre au cas où les diverses émeutes qui se sont développées au cours de l'été et qui ont fait une centaine de morts et qui ont des causes foncières et ethnico politiques ne sont pas maitrisées dans le cadre d'un accord politique. 

Il y a en fait dans cette région proche de la corne du continent deux principaux risques migratoires : le premier est lié au régime dictatorial affreux qui règne en Érythrée. La jeunesse tente de fuir des recrutements militaires qui s'apparentent à des travaux forcés à quasi perpétuité et une véritable mise en esclavage. Sur ce plan il est vraisemblable que la déclaration de Angela Merkel s'adressait plus aux dirigeants Érythréens qu’aux Éthiopiens qui, finalement, tentent de suivre une voie qui n'est pas si différente que celle suivie par Singapour en son temps. Le deuxième élément à craindre est lié aux risques de débordement vers les pays voisins de la situation d'anarchie qui règne en Somalie. Les Shébab y poursuivent une lutte armée acharnée qui envoie des métastases dans toute la sous région, en Éthiopie et au Kenya. Si cette révolte n'est pas maitrisée, elle peut provoquer localement des paralysies de l''économie et d'importants mouvements de population.

Cette démocratisation reste un processus lent et incertain, et semble difficile à envisager dans le contexte actuel pour de nombreux pays africains. Quelles sont les limites de cette vision uniquement politique et locale de la question migratoire africaine ? 

Pour le Sahel la démocratie est loin de tout régler comme on le constate en ce moment au Mali où la situation ne s'améliore guère. Le problème de ces pays du Sahel est infiniment plus profond et plus grave que l'on imagine couramment. Il ne peut espérer se régler par un seul processus électoral même s'il est transparent. Ces pays sont en effet confrontés à un ensemble de crises : présence de groupes armés à leurs frontières et souvent à l'intérieur de leurs frontières, une immense misère de la population rurale car la transition des systèmes agricoles vers des approches plus intensives, plus productives et plus économes du sol et de l'eau ne se mettent pratiquement pas en place faute de moyens. La croissance démographique accroit la pression des hommes et des troupeaux sur les sols bien au delà de ce que la terre peut supporter ce qui conduit à des désastres environnementaux. Dans ce contexte où l'agriculture de subsistance nourrit à peine les bonnes années les agriculteurs, il n'y a pas de développement industriel et le secteur minier de crée pas d'emplois.

Au total il n'y a pas de création d'emplois à la hauteur des besoins pour les jeunes hommes qui arrivent chaque année sur le marché du travail, soit environ 500 000 par an pour l'ensemble Mali + Niger.... La surpopulation rurale dans un contexte de stagnation agricole (qui n'a pourtant rien d'inéluctable) et de sous emploi massif dans les autres secteurs, pousse beaucoup de jeunes à migrer d'abord vers les villes de la côte, puis vers le Maghreb et forcément vers l'Europe. Or ce phénomène, encore peu sensible, a de fortes chances de s'accélérer. Economiquement la meilleure option pour des jeunes est actuellement de s'impliquer dans les réseaux de trafics illicites (armes, drogues, migrants) et de passer progressivement vers les groupes armés qui contrôlent ces trafics. Quand on ajoute à cela la vague islamiste salafiste et wahhabite qui s'étend dans toute cette région, il y a de quoi effectivement s'inquiéter des risques d'accélération des migrations vers l'Europe de toute une frange de la population sahélienne qui va se retrouver sans emploi, dont l'économie risque d'être paralysée par les conflits et pillages. Boko Haram sur ce plan montre le type de désastre qui guette ces régions.      

Quelles autres propositions devront être étudiées rapidement si l'on veut prévenir une telle crise migratoire ?

Il faut travailler simultanément de toute urgence sur plusieurs chantiers fondamentaux pour avant tout créer des emplois pour les jeunes. Cela passe par des programmes massifs de développement agricole et de développement rural au sens large ( avec électrification rurale etc), mais aussi par des programmes de mise à niveau technologiques et managériaux de la myriade de PME du secteur informel à très faible productivité. On peutn également penser à l'amorce de programmes de maitrise de la fécondité qui impliquent des programmes d’alphabétisation et d'éducation des filles, de santé maternelle et de diffusion des méthodes contraceptives modernes ce qui n'est pas facile dans ce milieu culturel. Enfin cela passe, bien sur, par tout ce qui peut faciliter l'investissement privé et sa compétitivité et qui doit porter sur l'environnement des affaires, les grandes infrastructures économiques etc. Bref en fait tout le monde sait bien ce qu'il faut faire mais ce n'est fait que trop tard et à dose homéopathique car tant l'aide internationale que les dirigeants locaux ont souvent d'autres objectifs faute d'avoir mesuré l'ampleur de la crise qui couve.

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