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Louis XVI / Emmanuel Macron : le match des lettres aux Français
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Jusqu’où, ça ira, ça ira, les…?

Bien avant le Grand débat voulu par Emmanuel Macron, et plus précisément le 27 avril 1789, le roi Louis XVI convoquait les Etats-généraux à Versailles. La ressemblance des démarches est intéressante et mérite d'être éclairée.

Olivier Gracia

Olivier Gracia

Essayiste, diplômé de Sciences Po, il a débuté sa carrière au cœur du pouvoir législatif et administratif avant de se tourner vers l'univers des start-up. Il a coécrit avec Dimitri Casali L’histoire se répète toujours deux fois (Larousse, 2017).

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Relire la lettre aux Français d'Emmanuel Macron 

Relire la lettre de convocation des Etats Généraux par Louis XVI

Atlantico : Quels points communs entre ces lettres peut-on trouver ?

Olivier Gracia : La première chose frappante est la forme que prend cette annonce aux Français : une lettre. A l'époque c'est cette lettre qui marque définitivement l'ouverture des États Généraux de 1789 et c'est amusant de voir que 200 ans plus tard les méthodes n'ont pas changé et que l'on recourt à l'écrit pour convoquer une assemblée extraordinaire. De la part d'Emmanuel Macron, le choix peut étonner : il choisit la lettre plutôt qu'un moyen de communication plus moderne.

Lorsque l'on regarde les deux lettres de près, celle de Louis XVI est beaucoup plus courte et lapidaire que celle d'Emmanuel Macron. Le vrai débat de la lettre royale est celui de la fiscalité et des finances. Il exprime directement sa volonté de convoquer les sujets du royaume quels qu'ils soient : les trois ordres (noblesse, clergé et tiers-état). Ils réfléchissent ensemble à la politique à mener pour une répartition plus juste des taxes du royaume car c'est notamment de là que part la crise de 1789. Ce volet fiscal est effectivement compris dans la lettre d'Emmanuel Macron. C'est même le premier sujet qu'il aborde : les impôts et l'action publique.

On remarque donc un contexte à la fois différent et très similaire. La convocation des États généraux comme celle du Grand Débat National partent tous deux de la question fiscale. Louis XVI fait beaucoup mention des provinces au sens global du Royaume. Il explique que "Ces grands motifs nous ont déterminé à convoquer l'assemblée des États de toutes les provinces". Il y a là cette volonté du Roi comme celle d'Emmanuel Macron de faire remonter toutes les informations qui ne viennent pas forcément de la capitale mais surtout des provinces, là où étaient à l'époque les foyers des Jacqueries et là où sont aujourd'hui aussi les foyers d'insurrection citoyenne. Louis XVI compte évidemment sur les assemblées de province pour nommer les porte-paroles légitimes – via des élections d'ailleurs – pour décider des députés des États Généraux. Emmanuel Macron se repose lui sur les maires qui sont les politiques les plus proches et les plus appréciés des Français. Donc dans le cas de Louis XVI et d'Emmanuel Macron il y a ce souci de la territorialité et d'écouter les doléances de la "France réelle".

On retrouve ainsi une similarité dans la forme et dans la volonté de faire remonter ces doléances au pouvoir comme s'il existait une déconnexion entre le pouvoir et le "pays réel". C'est assez évocateur. De la part de Louis XVI, c'est peu étonnant étant donné son statut de monarque absolu, gérant d'un modèle politique à bout de souffle et coupé de ses sujets. On le remarque dans de nombreuses doléances du XVIIIème siècle, les paysans français se sentent abandonnés par l'aristocratie qui préfère siéger à Versailles que retourner dans leur province.

Le constat est actuellement assez similaire. Il y a un sentiment d'abandon de la population de France, notamment des gens résidant en province et ne se sentant pas représentés par le pouvoir centralisateur jacobin parisien. Il y a aussi ce phénomène d'ultra-élitisme, condamnés hier autour du Roi et aujourd'hui autour du président. Finalement les deux événements sont assez semblables et ont deux volontés communes. Il y a une volonté légitime de remettre à plat la fiscalité et celle de moderniser et redorer le blason de la monarchie/République, de montrer que le Roi/président est encore à l'écoute.

On souhaite au Grand Débat National plus de succès que les États Généraux. La forme était certes différente, il y avait trois ordres (Noblesse, Clergé et Tiers-État), mais les deux premiers étaient ligués contre le Tiers-État, qui représentait pourtant 97% de la population. Les Gilets jaunes ont aussi ce sentiment, celui de représenter une majorité des Français qui n'est pas écoutée.

Il y a une similarité très surprenante entre les deux événements. Cela semble justifié pour la monarchie absolue, ça le semble moins pour une démocratie moderne.

Justement, le fait d'avoir besoin d'un grand débat national en République prouve-t-il la faillite de cette République ?

Que l'on parle de Grand Débat National deux siècles après la Révolution, cela pose effectivement la question de savoir si la Révolution a réellement gagné en France ! Par essence, la République ne devrait pas avoir besoin de ce débat national ! En monarchie, il y avait une logique, il y avait peu de moyens d'expression démocratiques et les États Généraux possédaient donc une vraie légitimité. Aujourd'hui nous avons l'impression de vivre en monarchie.

Il y a aussi un autre point qui interroge. Lorsque l'on convoque les États Généraux, c'est en période de grande crise. En créant ce Grand Débat National, Emmanuel Macron consent que la République arrive à une période charnière. Le gouvernement a tenté par différents moyens de juguler le mouvement des Gilets jaunes mais il n'a désormais plus d'autres choix que de bloquer le pays sur un Grand Débat National pour redéfinir la politique générale étatique.

D'ailleurs les questions posées par la lettre d'Emmanuel Macron sont de bonnes questions mais la description en était mauvaise. Je doute que beaucoup de Gilets jaunes l'aient lue. Il existe le sentiment qu'il s'agit de simples mots et que le gouvernement bloquera de toute façon tout ce qui pourrait sortir de ce débat national.

Pour remettre en perspective, on peut d'ailleurs rappeler que Louis XVI était un roi modernisateur et il avait toujours imaginé avec ses ministres un impôt plus juste. Il était donc dans une logique progressiste mais il était tenu par des intérêts plus forts que lui : ceux de son aristocratie et de l'Église qui l'en ont empêché. Mais si l'on s'en tient à sa volonté profonde comme le relatent les historiens, Louis XVI est un Roi moderne et était sans doute plus ouvert à la discussion que ne l'est Emmanuel Macron.

Par leur échec et leur inutilité, les États Généraux de 1789 ont amené de profonds changements et le passage à une monarchie constitutionnelle. Peut-on imaginer un phénomène similaire ?

Effectivement, l'Histoire se répète et peut-être que l'échec des Etats Généraux annonce l'échec du Grand Débat National. On peut imaginer que les instances qui nous représentent ne sont plus légitimes et qu'une Assemblée citoyenne émerge comme à l'époque l'Assemblée Nationale.

La question majeure est: qu'adviendra-t-il si échec du Grand Débat National il y a ? La Révolution aurait pu être tuée dans l'œuf si les États Généraux avaient réussi… Si le Tiers-État avait été écouté lors des États Généraux, on aurait évité la fronde des députés, l'Assemblée Nationale, la Prise de la Bastille… Louis XVI aurait pu éviter la Révolution en agissant de manière plus habile.

La réussite ou pas du Grand Débat National dépendra du président. Les États Généraux représentent la dernière carte, un échec nous plongerait dans l'inconnu… On peut tout de même espérer que l'on ne répète pas l'Histoire à l'identique. Même si la République fonde sa légitimité dans la Révolution, il ne faut pas oublier les périodes de chaos qui ont suivi. Il est d'ailleurs ironique de constater que cette même République craint une Révolution similaire à celle qui l'a créée. Pourtant le couplet qu'elle a retenu - à savoir "Aux armes, citoyens" - nous fait vivre en permanence dans la mythologie révolutionnaire. Il est difficile de reprocher aux Français d'avoir des velléités insurrectionnelles lorsqu'on berce dans ce mythe de la Révolution depuis deux siècles. 

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