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Quand Abdelhamid Abaaoud fuyait, il a fait appel à deux femmes musulmanes : l'une l'a aidé, l'autre l'a dénoncé
©Reuters

Révélations

Si Abaaoud avait minutieusement planifié les attentats du 13 novembre, il n'avait pas prévu grand-chose pour sa suite. Dans la chasse à l'homme qui a suivi et qui a mené à sa mort, deux femmes ont joué un rôle crucial.

Souvenons-nous. Abdelhamid Abaaoud est un des chefs d'orchestre des attentats de Paris du 13 novembre. Selon les autorités, il aurait lui-même tiré sur des innocents en terrasse avant d'aller examiner les restes du massacre au Bataclan. Objet d'une chasse à l'homme effrénée, il meurt à Saint-Denis au cours d'une longue fusillade avec les services de police.

Personne ne sait comment la police a retrouvé Abaaoud. Cette histoire, maintenant révélée par le Washington Post, a comme figures-clé deux femmes. Deux musulmanes. L'une qui a aidé Abaaoud - et l'autre qui l'a dénoncé, permettant aux forces de police de le retrouver.

Une histoire qui symbolise peut-être l'écarquillement de la communauté musulmane, dont certains membres se trouvent entraînés dans l'islamisme, alors même que d'autres s'y opposent.

"Il est important que le monde sache que je suis aussi musulmane", a déclaré la femme en question au Washington Post, demandant l'anonymat afin de se protéger. "Pour moi, c'est important que les gens sachent que ce qu'Abaaoud et les autres on fait n'est pas l'enseignement de l'islam." C'est une des raisons pour lesquelles elle a contacté le Washington Post, qui a également vu plusieurs documents d'enquête des services de sécurité français pour compléter son portrait des événéments. 

Le parcours de deux femmes

L'autre femme est Hasna Aitboulahcen, une jeune femme déséquilibrée, visiblement amoureuse d'Abaaoud, qui avait eu une vie troublée. La première femme avait été comme une mère de substitution pour Aitboulahcen.

Aitboulahcen avait passé son enfance chez des parents de substitution, fuyant une mère abusive et un père absent. Dans sa jeunesse, elle a, à de nombreuses reprises, abusé de l'alcool et de la drogue, avec des tentatives intermittentes de remettre sa vie d'équerre par une observance stricte de l'islam.

"Elle a vécu chez moi par intermittence, entre 2011 et 2014", explique la première femme. "Elle partait une, deux semaines, puis revenait pour un mois, et ainsi de suite. Elle prenait beaucoup de drogues, surtout de la cocaïne, et buvait trop." Mais "elle nous faisait toujours rire." Quand elle revenait, elle s'attelait aux tâches ménagères, exprimait une reconnaissance forte et sincère pour sa famille d'accueil et leur racontait des histoires.

A partir de 2014, la vie d'Aitboulahcen a radicalement changé. Sa pratique de l'islam est devenue plus sérieuse. Elle s'est mise à porter le niqab, et à chatter sur WhatsApp avec des gens en Syrie, probablement Abaaoud. Elle parlait de lui comme une femme amoureuse peut le faire, et a évoqué à plusieurs reprises un projet de mariage avec lui, même s'il n'est pas clair qu'il s'agissait d'un vrai projet ou d'un fantasme.

Une chasse à l'homme

Le moment crucial est venu deux jours après les attentats de Paris, à 21h30, au bord d'une route. Les deux femmes s'approchent d'un fourré. Un tiers qui les observe les guide par téléphone. "Avance. Stop. Il vous voit. Il arrive."

"Il", c'est Abaaoud.

Comme son collègue Salah Abdeslam, Abaaoud, qui avait si minutieusement organisé tout le processus pour les attentats de Paris, semblait n'avoir rien prévu pour la suite, peut-être parce qu'il pensait mourir ce soir-là. On sait maintenant qu'après les attentats les deux hommes ont cherché à joindre leurs familles pour trouver de l'aide, ont cherché des planques sans vraiment de stratégie. Le dimanche soir, un inconnu avait appelé Aitboulahcen. "Je ne vais pas tout t'expliquer. Tu as vu la télé." Abaaoud a besoin d'un endroit pour se cacher un jour ou deux, explique la voix. Aitboulahcen, folle de joie, s'exclame : "Dis-moi ce que j'ai à faire."

Lorsqu'Abaaoud sort du fourré où il se cache au bord de la route, Aitboulahcen lui saute au cou. "Hamid ! Tu es vivant !" La première femme frissonne d'effroi, ne dit rien. Abaaoud donne 5 000 euros à Aitboulahcen, et des instructions : elle doit lui trouver des vêtements et un logement.

Pour la première femme, la peur cède lentement à la colère, et elle somme Abaaoud d'admettre sa culpabilité dans les attentats, et de s'expliquer. Celui-ci le fait sans problème, expliquant que l'islam impose de dire la vérité. Les femmes ont une voiture, où attend le mari de la première femme. Abaaoud fait 150 mètres avec eux avant de changer abruptement d'avis et d'exiger de sortir.

Quelques secondes après, le portable sonne. "Tu peux dire au petit couple que s'ils parlent mes frères vont s'occuper d'eux." Lorsqu'Aitboulahcen rigole en transmettant la menace, le mari de la première femme lui donne une gifle.

En rentrant, le couple essaye de faire boire Aitboulahcen pour la convaincre d'appeler la police, mais elle ne veut pas. Tout le monde a trop peur pour appeler la police - pourtant, le lendemain matin, lorsqu'elle sort brièvement, la femme appelle la police. Elle passera toute la soirée avec des enquêteurs de la Sous-direction anti-terroriste de la police. Lorsqu'elle rentre, elle dit à Aitboulahcen qu'elle est allée au restaurant et au cinéma.

Pendant les 24 heures suivantes, la chasse à l'homme semble s'interrompre. Mais en sous-main les services de sécurité français se mobilisent. Ils suivent le téléphone d'Aitboulahcen et savent qu'elle s'organise pour aider Abaaoud. Le mardi soir, elle dit au revoir à sa famille d'accueil pour la dernière fois. Sa mère adoptive lui demande de laisser une adresse, et, dans une mesure de confiance ou d'inconscience, Aitboulahcen lui donne.

C'est l'adresse où aura lieu la fusillade de Saint-Denis qui aura été suivie sur les écrans du monde entier, et où Abaaoud et Aitboulahcen trouveront la mort. Si les premiers rapports avaient déclaré qu'Aitboulahcen s'était fait sauter avec une ceinture d'explosifs, il apparut ensuite que ce n'était pas elle. Le rapport médico-légal établira qu'elle est morte d'une "asphyxie mécanique due à une compression de la poitrine" - écrasée et étouffée par des gravats après l'explosion.

Aujourd'hui, la première femme se sent coupable pour la mort d'Aitboulahcen. Et elle craint pour sa vie, malgré une protection policière. 

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