Pourquoi le problème des jeunes est tout sauf la loi El Khomri (et ils en ont pourtant un vrai par ailleurs...)<!-- --> | Atlantico.fr
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Les lycéens ont manifesté dans les rues de différentes grandes villes en France. Mais, pourquoi ?
Les lycéens ont manifesté dans les rues de différentes grandes villes en France. Mais, pourquoi ?
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Jeunesse dans la rue

Depuis la crise de 2008, les inégalités intergénérationnelles ont explosé. Alors que dans son discours du Bourget en 2012, François Hollande avait fait de l'amélioration de la vie des jeunes une priorité, les conditions économiques et sociales de ces derniers se sont dégradées. C'est donc avant tout en réaction au décalage entre les promesses et les actes du Président que les jeunes manifestent aujourd'hui contre le projet de loi El Khomri.

François  de Singly

François de Singly

Professeur de sociologie à l’université Paris Descartes, François de Singly dirige le Centre de recherches sur les liens sociaux du CNRS. Il a notamment publié Séparée. Vivre l’expérience de la rupture (A. Colin, 2011) et vient de publier En famille à Paris (A. Colin, 2012). 

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Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Atlantico : Les étudiants et lycéens se sont associés ce mercredi 9 mars au mouvement de contestation du projet de loi El Khomri. Selon le syndicat lycéen, une centaine de lycées ont été mobilisés en France. Pourquoi la jeunesse, qui n’est pourtant concernée par aucune des mesures du projet de loi Travail, se mobilise-t-elle sur ce sujet ? 

Nicolas Goetzmann : Au travers d'une tribune publiée par Le Monde au cours de la semaine passée, plusieurs économistes de renom, comme Philippe Aghion ou Olivier Blanchard, ont soutenu le projet de loi El Khomri, au motif que celui-ci représenterait une "avancée pour les plus fragiles", en évoquant nommément les jeunes et les moins qualifiés. Ainsi, le texte de loi, s'il ne concerne pas directement et immédiatement les personnes qui manifestent, est donc bien orienté vers la jeunesse. Une réaction est donc légitime, que celle-ci soit positive ou négative. Cependant, cette proposition de loi représente surtout une opportunité de mobilisation de la jeunesse face à un président de la République qui, dans son discours du Bourget en 2012, avait indiqué : 

"Et moi, moi qui suis devant vous candidat à l’élection présidentielle, si je reçois le mandat du pays d’être le prochain Président, je ne veux être jugé que sur un seul objectif : est-ce qu’au terme du mandat qui me sera, si les Français le veulent, confié, est-ce que les jeunes vivront mieux en 2017 qu’en 2012 ? Je demande à être évalué sur ce seul engagement, sur cette seule vérité, sur cette seule promesse !"

Le Président se retrouve simplement confronté au retour de bâton de ses propres promesses électorales, et dont le résultat peut se résumer au simple fait que le chômage des jeunes est passé de 22,8% au T2 2012 à 24,00% au T4 2015.

Au-delà de ce projet de loi, le sentiment de révolte de la jeunesse n'est-il pas lié à d'autres facteurs d'ordre économique ou social ?

Nicolas Goetzmann : La notion de fracture générationnelle ne peut plus être niée. Selon les données fournies par l'INSEE, l'écart de revenus entre les 18-24 ans et les 65-74 ans était de 19,5% en 1996. Une telle différence peut parfaitement s'expliquer au regard des évolutions logiques de carrière, mais le fait est que l'écart s'est fortement élargi pour en arriver à 33,3% en 2013, et ce, sans logique apparente. De plus, cette progression ne s'est pas réalisée progressivement entre les deux périodes, car l'écart était encore de 19,8% en 2008, ce qui qui signifie que les inégalités intergénérationnelles ont explosé depuis la survenance de la crise de 2008. Pendant que le niveau de vie moyen des 65-74 ans progressait de 7,22% (2008-2013), celui des 18-24 ans baissait de 3,9%. La situation du chômage des jeunes ne s'est pas non plus améliorée au cours des dernières années, pas plus que celle des NEET (qui sont les jeunes non étudiants, sans emploi, et sans aucune activité), qui représentent plus de 18% de la jeunesse actuelle, soit un point de plus qu'en 2005. Toujours dans le même registre, le nombre de stagiaires est passé de 600 000 à 1 500 000 entre 2006 et 2012, ce qui a conduit le législateur à mettre une limite au nombre de stagiaires, à 15% des effectifs des entreprises. Pourtant, la jeunesse actuelle a atteint, dans son ensemble, un niveau de formation bien plus élevé que les générations précédentes. Seuls 6,3% des 18-24 ans n'ont aucun diplôme contre 20% de la population totale ou 50% des plus de 65 ans. Et que dire du logement ? Le simple fait d'imaginer acquérir un logement un jour est devenu hors de propos pour toute personne se présentant actuellement sur le marché de l'emploi. La société semble totalement verrouillée et sans avenir possible. 

Mais du point de vue des seniors, les jeunes d'aujourd'hui ne sont pas des victimes puisque leurs conditions de vie semblent supérieures à celles auxquelles ils ont eux-mêmes été confrontés au cours de leur jeunesse. Ce qui produit une incompréhension entre les générations, parce que, comme l'indiquait déjà Tocqueville, c'est la notion de frustration relative qui guette la jeunesse actuelle. Il ne s'agit pas de se comparer aux générations antérieures pour se satisfaire des conditions actuelles, mais de constater simplement une absence de perspectives, d'horizon. Le sociologue britannique WG Runciman affirmait en 1966 : "les attitudes, aspirations et frustrations, dépendent largement du cadre de référence dans lequel elles sont conçues", c’est-à-dire que la frustration se mesure à l'aune de ce que l'on pense pouvoir espérer, et non pas en se comparant au passé. La crise a engendré un coup d'arrêt de la réalité, alors que les aspirations ont continué de grandir. Ici, il ne s'agit pas de savoir qui a raison, mais de prendre en compte la nature humaine. 

Quels ont été les effets de la crise économique de 2008 sur la jeunesse ? Dans quelle mesure cette dernière en est-elle la première victime ? 

Nicolas Goetzmann : Plus cyniquement, ce n'est pas la crise en elle-même qui est la source de cette fracture, mais la réponse politique qui a été apportée à celle-ci. D'un point de vue économique, cette crise était absorbable par une large action de relance monétaire, mais une telle action supposait une prise de risque du côté de l'inflation. Or,un tel risque, aussi minime soit-il, n'est pas considéré comme étant "acceptable" dans une démocratie où le poids des retraités est disproportionné, électoralement parlant. Il suffit de rappeler qu'aux dernières élections régionales, 67% des plus de 60 ans ont voté, alors que 65% des 18-24 ans se sont abstenus. En se basant sur un tel constat, du point de vue des dirigeants, il est préférable de suivre une politique en accord avec son corps électoral, c’est-à-dire une politique préservant à tout prix le pouvoir d'achat des plus âgés, plutôt que de soutenir une véritable politique de l'emploi par une grande action macroéconomique. De plus, le cadre européen renforce ce prisme, car le pays qui dispose du poids politique le plus important de l'Union, c’est-à-dire l'Allemagne, est également le plus vieux du continent. L’aspect le plus malheureux, dans cette question, est qu'il n'est évidemment pas question d'aller faire les poches des retraités pour donner aux jeunes, mais de produire un contexte économique de plein emploi, qui doit profiter à tous, et notamment permettre de sécuriser les retraites sur le long terme. Ce qui signifie qu'il s'agit d'une vision politique à courte vue qui produit un tel résultat. Une autre politique est donc possible, en intégrant la jeunesse au projet de la France de demain. 

Selon Nicolas Sarkozy, la mobilisation des jeunes contre la réforme du Code du travail est instrumentalisée par les conservateurs. En s'arrêtant à ce constat, la droite ne risque-t-elle pas de passer à côté des vrais problèmes économiques et sociaux de la jeunesse, et de le payer cher en 2017 ?

Nicolas Goetzmann : Le vote générationnel ne semble pas encore conscient à ce jour. Mais en se prononçant en faveur des politiques d'austérité, de la rigueur, et des efforts infinis, l'offre politique actuelle propose la mise en place d'un cadre économique dévastateur pour la jeunesse européenne. Et l'absence d'offre politique adaptée au contexte produit une abstention massive de la jeunesse. Le risque politique d'une telle situation est d'en arriver à une fracture politique effective entre jeunes et moins jeunes, et que ces populations en arrivent à s'opposer entre elles. De plus, il est également nécessaire de prendre en compte le fait que cette situation n’est pas nouvelle. Entre 1975 et 2015, le taux moyen du chômage des jeunes a été de 17,7%, entre 5,8% au T1 1975 et 24,00% au T4 2015. La première génération ayant été confrontée à cette situation est donc la génération X, suivie de la génération Y. Ce qui commence à faire un peu de monde.

Concernant la droite, ce qui semble "rassurant", c'est que la gauche ne se préoccupe pas plus de la jeunesse, ni dans son discours, ni, surtout, dans ses actes. Dans l’optique de la présidentielle, si les partis se contentent de l'abstention de la jeunesse en s'épargnant de construire des programmes apportant des solutions concrètes à la situation actuelle, alors le taux d'abstention des 18-24 ans sera, une nouvelle fois, massif. Et en attendant, l’analyse de Tocqueville, liant frustration relative et instabilité politique, continuera à prendre racine.

Propos recueillis par Emilia Capitaine

Le désenchantement de la jeunesse et l’amour du rétroviseur des adultes

Quand la génération des babyboomers était jeune, elle croyait que l’Occident était un Eden où on pouvait même contester l’abondance éternelle des biens à consommer. Elle avait donc le moral. Elle avait seulement peur de s’ennuyer dans des sociétés qui leur reconnaissaient peu de droits. Alors la jeunesse d’alors a secoué le cocotier d’une société, et elle a gagné un nouvel âge de la vie, « jeune adulte ».

Mais la fête a mal tourné pour la génération suivante de jeunes. Avec la crise, la société du travail garanti s’est figé, en excluant de plus en plus, en interdisant de plus en plus d’accéder au « vrai » travail, en prolongeant les périodes d’essais. Pour oublier ce panneau de sens interdit, les jeunes font la fête, boivent quelquefois, sont libérés sexuellement. Cela ne suffit pas à leur bonheur. A juste titre. Ils se demandent quel est leur avenir ? Pour rendre la situation plus noire, ils apprennent que la Chine s’est réveillée pour de bon, et que l’Orient menace l’Occident. Depuis des années, les jeunes français n’ont pas le moral.

Quand on est désenchanté, on se replie sur sa génération, on oublie d’aller voter et tous les supports technologiques l’autorisent facilement, jusqu’à ce que cela ne suffise pas. Est-ce que le projet de loi de réforme du marché du travail va être un réveil ? Personne ne le sait encore. Quelquefois le réveil sonne et on se rendort. La sociologie n’a jamais su prédire un mouvement social ! Ce qui est certain à mon sens c’est qu’aucun discours, de gauche ou de droite, ne permet aujourd’hui à la nouvelle génération de jeunes de devenir « enchantés ». Ce n’est pas avec des intellectuels comme Finkielkraut qu’ils vont avoir le moral. Regarder dans le rétroviseur est devenu la pensée dominante de droite ou de gauche ! C’est la faute à 68, revenons à la Troisième République et à la laïcité ! Quand vont-ils se taire ? Ils contribuent à la démoralisation de la Nation et de la jeunesse.

Oublions-les. Inventons enfin un âge heureux des jeunes adultes qui ne soient pas, à l’exception d’une petite élite, à l’ombre, à l’ombre des parkings des stages. 

François de Singly

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