Insee et niveaux de vie : le lourd chagrin des classes moyennes<!-- --> | Atlantico.fr
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L'Insee publie ses statistiques sur les niveaux de vie en 2011.
L'Insee publie ses statistiques sur les niveaux de vie en 2011.
©Reuters

Bonjour tristesse

L'Insee publie ses statistiques sur les niveaux de vie en 2011 : les grands perdants des quinze dernières années écoulées sont les classes moyennes.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Comme chaque année, l’Insee publie ses observations sur le niveau de vie des Français. C’est un mélange de chiffres et de textes dont je recommande l’analyse à chacun.

L’Insee, ce monde opaque

On me permettra de commencer ce billet par « un coup de gueule » d’exaspération face à l’inertie que l’Insee oppose aux principes démocratiques. Comme d’habitude, l’Insee ne publie qu’une infime partie des données qu’elle publie, et elle trie soigneusement, c’est-à-dire de façon opaque et idéologique, les informations qu’elle met à disposition du public.

Ainsi, ne sont publiés que des tableaux Excel parcellaires, là où l’on A DROIT à une mise à disposition complète de la base (je renvoie à mes billets sur ce point – voir en fin d’article). Ainsi, des données entières sont escamotées par l’Insee et inaccessibles. J’y reviendrai dans ce billet.

En tout cas, cette opacité de l’Insee, qui a décidé unilatéralement et sans contrôle démocratique l’usage qu’elle ferait de données publiques, est insupportable.

Le chagrin des classes moyennes

Donc, je reviens au titre de ce billet, en l’illustrant d’emblée par un graphique placé au centre de la présentation de l’INSEE:

Ce graphique montre de façon évidente trois phénomènes majeurs : tout d'abord, la catégorie qui a bénéficié de l’augmentation la plus rapide de son niveau de vie est celle des « 5% les plus riches » – en réalité des 5% bénéficiant des revenus les plus élevés. Avec un indice de 100 en 1996, cette catégorie est à 127 en 2011.


Ensuite, « les plus pauvres » (1er décile) étaient, jusqu’en 2008, les autres grands gagnants de la décennie, avec une augmentation plus forte que celle du dernier vingtile. Depuis 2008, les plus modestes souffrent manifestement, avec une forte régression de leur niveau de vie. Néanmoins, sur une période de 15 ans, « les plus pauvres » ont quand même vu leur niveau de vie augmenter plus vite que les autres, dernier quintile mis à part ;


Enfin, les grands perdants des quinze dernières années écoulées appartiennent aux « classes moyennes », c’est-à-dire au ventre mou de la société (ni les plus pauvres, ni les plus riches, c’est-à-dire du 3è au 7è décile). Ce sont eux dont le niveau de vie a le moins augmenté, et qui converge d’ailleurs aux indices 117/118 : soit une élévation du niveau de vie d’à peine 1 point par an.


Et c’est probablement le phénomène le plus intéressant à saisir dans notre société des années 2000 : le prix que les classes moyennes paient à la collectivité, et qui se traduit forcément par un sentiment de prolétarisation ou de précarisation, en même temps qu’un sentiment de ras-le-bol favorable à l’émergence du Front national.

L’agaçante idéologie bobo de l’INSEE

Face à cette lecture me semble-t-il ponctuelle, linéaire, franche, du graphique de l’Insee, pourtant trié sur le volet par cette grande machine à produire de la statistique officielle, on ne peut qu’être déconcerté par les analyses littérales publiées en même temps que les chiffres (parcellaires). Pas une fois en effet, l’Insee ne relève le sacrifice des classes moyennes…

En revanche, l’Insee s’intéresse beaucoup à l’augmentation du coefficient de Gini, qui mesure les inégalités, et beaucoup au sort des plus modestes. Loin de moi l’idée de nier la souffrance des plus pauvres. Mais enfin, c’est quand même curieux de se focaliser sur la situation d’une catégorie qui sort malgré tout plutôt gagnante, aussi curieux que cela puisse paraître, des quinze années passées, sans s’intéresser au sort bien plus gênant de la majorité…

Ce grand mouvement de déclassement progressif de la société française, qui fait le jeu des extrêmes politiques, est totalement occulté par le discours officiel.

Tout aussi curieusement, l’Insee a décidé de régresser par rapport à l’ère Sarkozy sur la question des « plus riches ». Rappelons que Nicolas Sarkozy, avec tous les défauts qu’on lui connaît, avait imposé, à la suite du rapport Stiglitz qu’il avait commandé, une statistique sur le 1% de la population le plus aisé. L’Insee a beaucoup tardé pour s’exécuter… et elle a décidé de passer cette instruction à la trappe pour se contenter désormais d’une analyse des 5% les plus aisés.

Si nous revenions à la statistique Sarkozy, nous constaterions sans doute que la progression du niveau de vie du 1% le plus riche est beaucoup plus forte que pour le reste de la société. Mais cela, l’Insee le cache, et en violation complète du droit communautaire, l’Insee interdit aux citoyens lambdas de faire le boulot à sa place.

Ce n’est pas que j’en veuille aux plus riches d’être de plus en plus riches. Simplement, nous comprendrions probablement mieux la société française si l’Insee le permettait. Car ce sentiment de rupture dans la société entre une élite de plus en plus aisée, un groupe de revenus modestes dont la précarisation est atténuée par des politiques sociales, et une majorité qui paie pour tout le monde et se serre beaucoup la ceinture, ce sentiment-là repose sur des facteurs objectifs que l’Insee nous interdit d’étudier, d’objectiver, de débattre. D’où ce sentiment de frustration qui dégrade à une vitesse effrayante le débat public.

Cet article a initialement été publié sur le site d'Eric Verhaeghe : Jusqu'ici tout va bien.

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