Linceul de Turin : c’est la science qui prouve son authenticité<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue du Saint-Suaire de Turin.
Une vue du Saint-Suaire de Turin.
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Saint-Suaire

Dans Le Saint-Suaire de Turin, témoin de la Passion de Jésus-Christ, publié aux éditions Tallandier, Jean-Christian Petitfils revient sur l’histoire de l’objet le plus mystérieux du monde chrétien et montre que c’est en se plaçant sur le plan scientifique qu’apparaissent les faits les plus troublants et les plus déterminants.

Pauline de Préval

Pauline de Préval

Pauline de Préval est journaliste et réalisatrice. Auteure en janvier 2012 de Jeanne d’Arc, la sainteté casquée, aux éditions du Seuil, elle a publié en septembre 2015 Une saison au Thoronet, carnets spirituels.

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Jean-Christian Petitfils

Jean-Christian Petitfils

Jean-Christian Petitfils est Historien et écrivain. Il est notamment auteur d’une vie de Jésus (Fayard) et d’un Dictionnaire amoureux de Jésus (Plon), il vient de publier Le Saint-Suaire de Turin, témoin de la Passion de Jésus-Christ (Tallandier).

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Pauline de Préval : Pourquoi un tel livre aujourd’hui ?

Jean-Christian Petifils : Cela fait 44 ans que je m’occupe de ce mystère à la fois historique, archéologique et scientifique. Très vite, j’ai été convaincu de l’authenticité de ce linceul qui présente l’image dorsale et ventrale d’un homme mort, flagellé, torturé, avec tous les signes de la Passion du Christ. En écrivant ma vie de Jésus, en 2011, et mon Dictionnaire amoureux de Jésus, en 2015, je m’en suis servi comme d’un véritable document historique. A présent, je veux offrir au lecteur une synthèse de l’ensemble du dossier. Car souvent, le grand public en a une vision parcellaire ou obsolète, avec des idées fausses qui continuent d’être véhiculées en dépit des dernières expériences scientifiques.

Même si certains papes l’ont considéré à titre personnel comme une relique, l’Eglise n’a jamais pris de décret conférant officiellement un tel statut au linceul de Turin. Comment l’expliquer ?

Il est vrai qu’il y a eu des papes : Sixte IV, Jules II et même Jean-Paul II après l’expérience du carbone 14, qui ont dit que c’était une relique et non une icône. Mais ce n’est pas le rôle de l’Eglise d’authentifier une relique. Et elle le fera d’autant moins aujourd’hui que le Saint Suaire est devenu un objet de controverse scientifique et qu’au fond le fait qu’il soit authentique ou non ne change rien à la foi chrétienne.

Vous donnez sur son histoire des éclairages nouveaux et n’hésitez pas à dire que l’on peut retracer son parcours non seulement depuis le XIVe siècle, où des ostensions ont été attestées en Champagne, mais depuis le IVe, où il serait apparu à Edesse. N’est-ce pas un peu audacieux ?

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Pas du tout. On a longtemps considéré qu’il y avait deux trous dans son histoire. Le premier : entre la découverte du tombeau vide par Simon Pierre et Jean l’évangéliste, le 5 avril de l’an 33, et l’arrivée à Edesse, aujourd’hui en Turquie, vers 387-388, d’un linge où l’on vénérait l’image du Christ. A partir de cette date, on observe un changement radical dans l’iconographie et la numismatique : à la place d’un Apollon imberbe ou d’un jeune berger, on représente Jésus avec des cheveux longs, une raie au milieu, un petit carré entre les sourcils, un nez assez long, une barbe bifide… toutes sortes de caractéristiques qui subsistent jusqu’à nos jours. Mais on ne sait rien du linceul avant cette date, même si on peut imaginer qu’après l’avoir découvert dans son tombeau, les apôtres l’ont gardé précieusement en dépit du tabou qui pesait sur tout ce qui touchait à la mort chez les Juifs.

Le second trou, à mon avis, n’en est pas un. On a longtemps considéré, à partir d’un texte du chevalier Robert de Clari qui aurait vu le linceul à Constantinople en 1203, qu’il avait disparu pendant le sac de la ville par les croisés l’année suivante. En réalité, Robert de Clari fait allusion à une prétendue relique qu’on montrait à l’église des Blachernes, au nord de Constantinople, alors que le précieux linge était conservé dans l’église du palais impérial, au Pharos, à 4 km de là, avec d’autres reliques de la Passion. Quand on lit les récits de visiteurs ou de moines de cette époque, on sait que la ville était truffée de fausses reliques. Le linge de l’église des Blachernes était probablement l’une d’entre elles. Il est inimaginable qu’au moment où les croisés entouraient la ville, on ait laissé le Saint Suaire sans garde. On le voit d’ailleurs apparaître ultérieurement dans des textes comme celui de Nicolas Mésaritès, le gardien des reliques : en 1207, il en parle comme étant toujours au palais du Pharos.

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Le linge a dû être transféré en France en même temps que d’autres reliques de la Passion cédées par Baudouin II à Saint Louis. Il est resté pendant un siècle à la Sainte-Chapelle, puis a été offert par Philippe VI à Geoffroy de Charny, son porte-oriflamme, en septembre 1347. Philippe de Valois ne s’est pas rendu compte de l’importance du cadeau qu’il faisait, car pour lui, l’authentique linceul du Christ était conservé à Cadouin. Le chevalier a fondé une collégiale à Charny, et les ostensions ont commencé en 1354-1355. A partir de là, on a une continuité presque absolue jusqu’à nos jours, puisqu’on sait que la petite-fille de Geoffroy de Charny, Marguerite, a vendu le linceul à la Maison de Savoie en 1453 et que celle-ci l’a cédé au Saint-Siège en 1983.

Vous dites vous-même que l’histoire ne peut à elle seule démontrer qu’il s’agit du linceul du Christ et que c’est en se plaçant sur le plan scientifique qu’apparaissent les faits les plus troublants…

L’histoire ne nous donne aucune certitude. C’est la science, qui le fait. En 1898, un avocat italien connu pour ses travaux photographiques, Secondo Pia, fut autorisé à prendre des clichés du linceul lors d’une ostension dans la cathédrale de Turin. Lorsqu’il vit apparaître dans ses bacs de développement le visage du Christ en positif, il faillit lâcher sa plaque de verre. Le linceul était une sorte de négatif qui n’apparaissait pas à l’œil nu. Or on n’imagine pas qu’on puisse fabriquer une telle image au cours des âges antérieurs.

Au cours des années 1970, des Français et un Américain, John Jackson, ont mis en évidence son caractère tridimensionnel : il y a un rapport entre l’image et la plus ou moins grande proximité du corps de l’homme au linceul et du linge. Elle semble une projection orthogonale de ce corps. Elle ne peut donc pas être une peinture, comme pouvaient l’affirmer ceux qui refusaient de croire à l’authenticité du Saint Suaire. Ils puisaient cet argument dans un échange de lettres entre les évêques de Troyes Henri II de Poitiers et Pierre II d’Arcis et le pape Clément VII, suite aux premières ostensions qui avaient eu lieu au XIVe siècle. En 1978, une équipe de 33 chercheurs, essentiellement américains, le STURP, est arrivée à la conclusion que cette image était le résultat d’un léger brunissement des fibrilles de lin sur une épaisseur très fine de 20 à 40 microns. Par quel procédé ? Mystère. Il y a eu des tentatives naïves et prétentieuses de la reproduire, mais toutes ont échoué. On ne sait pas non plus comment le corps de l’homme au linceul a pu disparaître au bout de 36 heures, car il n’y a aucune trace d’arrachement des caillots de sang. Cela interloque les scientifiques, mais ce sont des faits.

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Vous contestez la datation au carbone 14 faite en 1988 sur laquelle s’appuient encore les détracteurs de son authenticité. Pourtant, cette datation avait été acceptée par l’archevêque-custode de l’époque, Anastasio Ballestero, qui s’était lui-même chargé de l’annoncer. Pourquoi ne serait-elle plus valable ?

Cette datation avait été faite par trois laboratoires d’Oxford, Tucson et Zürich. Mais très vite, outre le fait que l’expérience s’était déroulée dans un climat anti-religieux gênant, on s’est aperçu en voyant les chiffres publiés dans la revue Nature qu’il y avait une discordance troublante : il n’y avait que 5% de chances que les trois laboratoires aient analysé le même tissu. Les chiffres bruts n’avaient pas été publiés. C’est seulement en 2017 qu’un chercheur français, Tristan Casabianca, a obtenu du British Museum, coordonnateur de l’expérience, qu’ils le soient. Alors, on s’est aperçu que la dispersion était encore plus grande et qu’il n’y avait que 1% de chances que les laboratoires aient analysé le même tissu. Le protocole de recherche n’avait pas été respecté : les laboratoires avaient parlé entre eux et avaient éliminé certaines dates qui ne leur paraissaient pas normales. Enfin, en 2005, les travaux d’un savant américain, Raymond Rogers, ont montré qu’ils avaient travaillé à partir d’une zone de ravaudage. Des fils avaient été insérés dans le linceul au moyen âge. D’où la réaction du cardinal Ballestro : « j’ai été trompé ».

En avril dernier, une nouvelle méthode de datation aux rayons X imaginée par Liberato De Caro, chercheur à l’institut de cristallographie de Bari, a bel et bien fait remonter le linceul de Turin à l’époque du Christ. Donne-t-elle le fin mot de l’histoire ou doit-on s’attendre à de nouvelles révélations ?

Liberato De Caro est arrivé à la conclusion qu’il datait du premier siècle de notre ère en comparant un fil du linceul avec un fil d’un linge provenant de la citadelle de Massada, la dernière citadelle juive tombée en 73 face à l’armée romaine de Titus. En 2002, une experte en tissus anciens, Mechthild Flury-Lemberg, avait déjà été stupéfaite de voir dans la couture servant à raccorder une petite pièce qui courait le long du linceul un certain renflement observable uniquement sur un linge de Massada.

On a découvert sur les pieds de l’homme au linceul des traces d’aragonite, type particulier de carbonate de calcium présent dans certaines tombes de la Jérusalem ancienne. Je ne parle pas des inscriptions qu’on a pu lire le long de son visage, dont un fragment probable de la sentence écrite par l’huissier romain au moment de la fermeture du tombeau : in neccem ibis. Je ne parle pas de la pièce de monnaie placée sur son œil droit, un lepton frappé sous Ponce Pilate entre l’an 29 et l’an 31. Ni des pollens de plantes qui ne poussent qu’entre Hébron et Jérusalem retrouvés sur le linceul, ni des fleurs : le dr Avinoam Danin a identifié une fleur du Proche-Orient disparue depuis le VIIIe siècle.

Tout converge vers l’authenticité. Sans qu’il soit besoin d’attendre de nouvelles révélations, on ne peut plus dire : c’est un linge du moyen âge ou c’est peut-être le linceul de Jésus. C’est une certitude absolue. On a comparé ce linge avec deux autres reliques de la Passion. On voit que les tâches de sang se recoupent avec celles retrouvées sur le suaire d’Oviedo et la tunique d’Argenteuil : leurs positions coïncident et toutes sont du même groupe sanguin AB.

Lors de sa visite à Turin en 1998, Jean-Paul II avait qualifié le linceul de Turin de « provocation à l’intelligence ». Poserait-il plus de problèmes aux hommes de science qu’aux hommes de foi ?

Pour le croyant, il apporte des éléments nouveaux sur la Passion du Christ et conduit à s’interroger sur le mystère de la résurrection - sans en être la preuve, mais il n’en a pas besoin. Pour le non-croyant, il crée une certaine gêne, et ne lui laisse le choix qu’entre nier la réalité, en s’accrochant à la datation au carbone, et reconnaître son authenticité. Il est arrivé que de nombreux agnostiques se convertissent en l’étudiant. Paul Claudel ne disait-il pas : « plus qu’une image, c’est une présence » ?

Jean-Christian Petitfils : Historien et écrivain. Auteur d’une vie de Jésus (Fayard) et d’un Dictionnaire amoureux de Jésus (Plon), il vient de publier Le Saint-Suaire de Turin, témoin de la Passion de Jésus-Christ (Tallandier).

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