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Libye : après Kadhafi, 
l'islamisme au pouvoir ?
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Le jour d'après

Alors que le Conseil national de transition libyen poursuit son offensive sur les troupes de Kadhafi, la reconstruction du pays commence. Le CNT a indiqué que la Charia servirait de base législative à la prochaine constitution du pays. Tentative d'ébauche du futur de la Libye...

Patrick Haimzadeh

Patrick Haimzadeh

Patrick Haimzadeh a travaillé comme coopérant, analyste ou négociateur dans des contextes de crise, pour le compte de la France ou des Nations Unies, en Egypte, en Irak, au Yémen et au sultanat d’Oman.Il a été également membre de la Commission du désarmement de l'Irak de 1996 à 1999. 

Il a été diplomate, de 2001 à 2004, en Libye.

Il est l'auteur de "Au cœur de la Libye de Kadhafi" (JC Lattès, 2011). 

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Atlantico : Comment les dirigeants du Conseil national libyen (CNT) ont-ils été nommés ? Qui est leur chef Moustafa Abdeljalil ?

Patrick Haimzadeh : Le CNT a été mis en place le 27 février 2011, 10 jours après le début de l’insurrection, sur un mode très opaque. Les principales villes libérées en premier se sont organisées et ont désigné un conseil municipal local qui lui-même a désigné un responsable. Ce sont ces responsables qui ont plus ou moins coopté les figures que l’on voit actuellement à la tête du CNT, pour la plupart d’anciens apparatchiks du régime de Kadhafi.

Moustafa Abdeljalil est le président de ce CNT. Il était ministre de la Justice sous Kadhafi et Président de la Cour d’appel de Libye. Il a participé notamment à la condamnation des infirmières bulgares. Il était relativement critique par rapport à Kadhafi. Il n’a pas toujours été d’accord avec lui sur un certain nombre de sujets, notamment sur le traitement réservé aux opposants islamistes. Il a une formation de juriste en Charia, il est originaire d’El Beïda en Cyrénaïque, qui est une ville plutôt conservatrice. C’est quelqu’un de traditionnel, de pieux et qui ne s’en cache pas.

Cependant on ne peut pas le cataloguer. La Libye est un pays qui est à 100% musulman, il n’y a ni minorité juive ni arabe comme il peut y avoir dans les autres pays du Moyen-Orient. Il y a une grande homogénéité et le fait religieux ne pose pas problème. Une grande majorité de Libyens seront pour une constitution qui découle de la Charia. La Charia n’étant pas uniquement « couper des mains » comme on le croit chez nous, mais plus une législation inspirée de la tradition du prophète et du Coran.

Que deviendront les membres du CNT après la transition démocratique ?

La transition démocratique me parait un vœu pieux. Cela va être très compliqué. Dans une révolution, les gens qui ont la légitimité sont ceux qui ont les armes et qui occupent le terrain. Ceux-là ont surement une vision différente pour l’avenir de la Libye que celle que peut avoir M. Abdeljalil qui est perçu par ces gens-là comme un ancien Kadhafiste. Ils disent « Nous nous sommes battus pendant six mois, lui est un ancien Kadhafiste, il était dans son bureau, il n’y a donc pas de place pour lui dans l’après Kadhafi. »

Après, vous avez bien sur des gens comme Ali Mohamed Al-Salladi prédicateur proche des frères musulmans, qui accuse un certain nombre de gens du CNT, dont leur numéro 2, d’être un extrémiste laïque. Il y a un clivage entre ceux qui voudraient plus d’Islam dans la Libye future et les autres.

Le CNT a déclaré que la Charia constituera le socle législatif libyen. Une montée d’un islamisme radical est-elle à craindre ?

Ce sont deux choses indépendantes. Ce qui fait le terreau de l’islamisme dans beaucoup de pays c’est l’impression que les dirigeants peuvent être vendus à l’Occident, mécréants. Si Moustafa Abdeljalil ne promet pas la Charia, il se coupe de ces bases. Il donne du terrain à des islamistes qui éventuellement auraient une stratégie d’accession au pouvoir violente. S’il devait y avoir une vraie consultation, les Libyens opteraient probablement pour un système plus conservateur religieusement qu’il ne l’était sous Kadhafi, notamment en matière d’émancipation des femmes.

Il y a deux grandes tendances quand on parle d’islamisme. Une tendance légaliste, avec une vision politique, un petit peu comme les Frères musulmans en Egypte et une vision plus militaire, les djihadistes, qui sont eux plutôt pour une accession au pouvoir par le rapport de force, comme le GIA en Algérie dans les années 1990.

Bernard Henri-Lévy à péroré en affirmant que ses « amis » du CNT lui avait affirmé que le Libye serait laïque. BHL a-t-il pris cela pour argent comptant ? Ses « amis » lui ont-ils vraiment dis cela ?

Est-il possible d’envisager qu’une démocratie puisse prendre racine en Libye ?

Une démocratie implique de réintroduire la totalité de la population dans le jeu politique. Je suis perplexe sur la capacité de ce pays à sortir de 42 ans de dictature et de six mois de guerre civile, qui ne sont d’ailleurs pas terminés. Les combats continuent dans le grand sud, toujours fidèle à Kadhafi. La démocratie implique une souveraineté minimale sur l’ensemble du territoire national, Il faudra passer d’un rapport de force militaire à un rapport de force électoral.  Pour l’instant c’est loin d’être le cas.

De la façon dont on sortira de cette guerre civile dépendra éventuellement la construction d’une démocratie. Tous les gens ont des armes à Tripoli, il y a des milices qui défendent chacune les intérêts de leur zone géographique. Il n’est pas sûr que ces gens acceptent de déposer les armes.

La tradition démocratique ne peut pas se construire de l’extérieur, on ne peut arriver avec des fonctionnaires de l’Onu qui font du « state building » (construction d’un Etat). On peut éventuellement les aider mais on peut difficilement savoir ce que les Libyens vont choisir comme modèle, comment ils vont régler leurs différends.


Quel crédit doit-on accorder aux accusations de tortures portées par Amnesty International à l’encontre du CNT ?

On ne peut pas accuser Amnesty International d’être de prêt ou de loin des nostalgiques de la dictature Kadhafiste. Ils ont fait un travail très sérieux d’investigation sur le terrain : je pense donc que ce qu’ils avancent est vrai. Il n’y pas de culture des Droits de l’homme innée en Libye, cela s’éduque. Beaucoup de gens se sont improvisés combattants, ils avaient beaucoup de comptes à régler.

Il y a surement aussi un décalage entre les dirigeants du CNT, qui peuvent appeler leurs troupes au respect des Droits de l’homme, et les combattants sur place. Les milices ne sont pas dans une relation de subordination hiérarchique comme dans une armée « normale ». Les gens du CNT peuvent très bien tenir un discours sincère, contre les exactions, mais ils n’ont pas les moyens de contrôler leur base. D’ailleurs à Syrte et à Bani Walid, le CNT aurait voulu que les choses se règlent par la négociation mais le « terrain » voulait la guerre, une résolution militaire. Le CNT a fini par céder.

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